Archives

Trouble dans le plan

Comme beaucoup d’intercommunalités Clermont Auvergne Métropole s’est engagée dans l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, tout en interrogeant et réorientant la culture de la planification, voire l’injonction planificatrice, à l’épreuve de l’anthropocène.

Clermont Auvergne Métropole a lancé un plan local d’urbanisme (PLU) dès sa création, en 2018. C’était autant une façon d’assumer une compétence réglementaire, conférée par le législateur, que de donner du corps à son projet de territoire. Elle a dû le faire dans un contexte où préexistaient 21 documents d’urbanisme différents et peu convergents, première difficulté classique de la planification. Un autre défi est apparu rapidement, renforcé par l’adoption de la loi climat et résilience en 2021 : comment se placer dans une trajectoire de sobriété foncière, là où toute son histoire urbaine s’était inscrite dans l’étalement comme seule réponse au développement ? Plus fondamentalement encore, qu’est-ce que la situation anthropocène, les changements globaux et la crise de l’habitabilité changent à cet exercice ? Là où notre héritage culturel et technique est empreint de certitudes sur notre capacité à planifier, c’est-à-dire à maîtriser notre destin territorial, il convient peut-être d’interroger cette culture planificatrice pour la réorienter. Récit d’une tentative.

Faire paysage ensemble

La première démarche que nous avons entreprise consistait à apprendre à regarder ensemble le territoire en l’arpentant. Accompagnés de notre agence d’urbanisme et d’une jeune paysagiste, Charlotte Rozier, des élus de l’ensemble des communes ont ainsi participé à des ateliers in situ. Cette expérience, puis son travail photographique et graphique ont permis de nourrir un diagnostic paysager partagé, préalable à toute forme de projection commune. Il a conforté l’intuition du caractère emblématique de notre socle naturel constitué par la chaîne des Puys-faille de Limagne, premier bien naturel français inscrit au patrimoine mondial en 2018, et le val d’Allier, une des dernières grandes rivières sauvages en Europe. Il a aussi révélé des cours d’eau plus modestes, et souvent cachés, qui traversent et structurent le territoire d’ouest en est.

C’était enfin l’occasion d’être attentifs à la dimension anthropique de ce paysage avec des éléments remarquables, comme notre patrimoine industriel et ouvrier, mais d’autres qui heurtent le regard, comme la colonisation des coteaux par l’habitat pavillonnaire. Cela n’a pas manqué de questionner ce qu’ont produit les politiques et les plans d’urbanisme dans le contexte culturel de la fin du XXe siècle. Le résultat de ce travail fondateur a été double : d’une part, il a permis de faire disparaître des frontières communales artificielles pour révéler des liens, des interdépendances, des communs paysagers ; d’autre part, de prendre conscience de notre responsabilité collective dans leur transformation.

Prendre la mesure

Habiter une métropole de taille moyenne et blottie entre deux parcs naturels régionaux, au coeur du Massif central souvent décrit ou rêvé comme le « château d’eau de la France », aurait pu nous conduire à nous croire naturellement plus résilients que d’autres. Pour autant, l’ampleur des changements à l’oeuvre et leur mesure précise dans le diagnostic initial ont montré, au contraire, de grandes fragilités : une ressource en eau menacée et dont le partage est l’objet de controverses locales, des îlots de chaleur urbains qui rendent la ville invivable lors d’épisodes caniculaires de plus en plus fréquents, une artificialisation qui renforce l’impact des crues, elles aussi plus récurrentes… De ces constats partagés est né le questionnement central du projet d’aménagement et de développement durable : à quelles conditions notre territoire sera-t-il habitable en 2050 ? Pour le dire autrement, quels changements de direction sont nécessaires aujourd’hui pour préserver cette habitabilité ?

Changements de regards

À l’aune du vertige que nous ont posé ces questions, notre seule certitude, que je crois partagée, a été la nécessité vitale d’une réorientation. Elle est passée par une inversion du regard sur la « destination des sols », au-delà des injonctions du « zéro artificialisation net » (ZAN), les « espaces naturels, agricoles et forestiers » – qui, dans nos imaginaires, constituaient essentiellement une réserve d’urbanisation – sont devenus des communs précieux, alors même qu’ils représentent encore, et c’est heureux, les deux tiers de la surface du territoire métropolitain. Ils ont rendu crédibles une perspective de préservation significative de biodiversité, la constitution d’un support pour une production alimentaire locale ou encore la possibilité d’une coexistence pacifiée avec les vivants non humains.

Cela a impliqué d’interroger notre représentation de la hiérarchie urbaine : dans cette nouvelle perspective, la frange devient le coeur de nos préoccupations, là où le centre, jadis puissant, s’avère un colosse aux pieds d’argile. Réduire les enveloppes ne suffit plus, il faut tracer la frontière de la ville et réinvestir les tissus déjà habités avec d’autres outils, d’autres modèles. L’équation s’avère complexe dans la mesure où cela induit aussi de ne pas fragiliser par la densification un environnement urbain déjà très artificialisé. Les nouvelles règles devront donc fonder un art de la bioclimatique urbaine contextualisée, prendre en compte les corridors et les réservoirs de biodiversité autant que les vents dominants ou l’orientation des façades.

Changements de pratiques

Pour réussir cette réorientation, nous nous sommes interrogés sur les notions même de plan et de règles. L’idée d’élaborer un projet de territoire de long terme, dont on évaluerait les résultats dans une décennie, n’était plus satisfaisante pour nous, si elle l’avait déjà été. Tout comme l’illusion que des règles mathématiques, comme les coefficients de pleine terre ou de biotope, pourraient produire par elles-mêmes des effets suffisants sans prendre en compte l’existant, le « déjà-là ». Ou encore, la croyance que le rôle de la collectivité pouvait se résumer à vérifier leur bonne application une fois que de telles règles seraient adoptées.

Nous avons donc proposé trois changements de posture. Premièrement, si la trajectoire est bien la question, il faut pouvoir mesurer que nous l’empruntons et ajuster quand c’est nécessaire, c’est donc dans l’évaluation/modification in itinere qu’est la clé d’un plan efficace. Notre PLU prévoit ainsi la présentation d’une évaluation environnementale annuelle à l’assemblée métropolitaine, avec des propositions de modification des règles pour tenir la trajectoire, notamment dans l’adaptation au changement climatique.

Deuxièmement, les règles d’urbanisme doivent atterrir, c’est-à-dire ne plus s’exprimer seulement dans des valeurs absolues, mais aussi dans des valeurs relatives qui prennent en compte l’existant, la réalité du sol. L’idée est que chaque porteur de projet se plie à une évaluation avant/après au regard du maintien des grands équilibres écosystémiques. Cet exercice produit une donnée précieuse qui, agrégée, pourra nourrir l’évaluation évoquée
précédemment.

Troisièmement, la collectivité se doit d’acculturer les acteurs et d’accompagner les projets plus que de se satisfaire de produire seulement de la norme. Elle doit, en fait, partager le fardeau de la réorientation écologique avec l’ensemble des parties prenantes de l’acte d’aménager ou de construire, y compris les habitants. Cette action culturelle d’un nouveau genre est une condition de l’acceptabilité sociale d’une planification écologique.

Pour un urbanisme du tact et du soin

Ces nouveaux champs impliquent de nouvelles ingénieries urbaines, au sein des services qui administrent les plans et instruisent les autorisations de droit du sol, mais aussi dans les agences d’urbanisme qui les accompagnent dans cette tâche. Ce travail essentiel réclame une humilité refondatrice, car si nous mesurons les limites des modèles du passé et si nous percevons des pistes pour les surmonter, ce ne sont pas des recettes qu’il suffirait d’exécuter. L’urbanisme a besoin de tact et de tacticiens, de soin et de soignants.

 

«Nous sommes en train d’inventer les refuges de demain»

Entre danse et philosophie, la plénière de clôture a démarré par un échange [1] avec Stéphane Cordobes, directeur général de l’agence d’urbanisme Clermont Massif central (AUCM).

Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir cette dernière journée par deux pièces de danse contemporaine [2] et une lecture d’un extrait de Vivre avec le trouble, de la philosophe américaine Donna Haraway ?

L’introduction de Vivre avec le trouble de Donna Haraway est d’une force saisissante : en quelques lignes, la philosophe nous plonge dans le monde anthropocène en mettant au premier plan une dimension que l’on préfère ignorer : le trouble. L’épreuve à laquelle est confrontée l’humanité est vertigineuse et profondément troublante. Troublante parce qu’elle menace les conditions d’habitabilité de la planète et souligne notre vulnérabilité ; troublante aussi parce qu’elle souligne combien nous sommes démunis, avec nos cadres de pensée et d’action, pour comprendre notre situation et y faire face.

Ce que nous voulions exposer lors de cette rencontre, c’est que ce trouble n’est pas secondaire par rapport à cette menace et cette limite. Il est consubstantiel d’un problème dont la réponse dépend aussi de notre capacité à appréhender sa dimension sensible, à le traiter non seulement avec notre puissance technique et notre intelligence analytique, mais aussi avec nos émotions et nos corps, nos imaginaires et nos attachements, nos savoirs sensibles justement. Le trouble ne doit pas être un obstacle que l’on tait, mais au contraire un levier que l’on active. Alors que la tempête Frederico causait d’importants dégâts à Clermont-Ferrand et bouleversait le déroulement de la rencontre, prouvant par l’exemple que la menace anthropocène est déjà là ; alors que nous interrogions la capacité de l’aménagement et de l’urbanisme à se réinventer pour répondre au nouvel enjeu d’habitation terrestre, les performances de Frank Micheletti et de Joanne Leighton opéraient cette transmutation : leurs danseuses et danseurs incarnaient, certes, la fragilité de nos mondes, mais, plus encore, la puissance des corps et des liens, de nos capacités collectives de mouvement. Leurs chorégraphies nous ont fait éprouver la possibilité de la réorientation et offert, provisoirement, un magnifique refuge.

Stéphane CORDOBES, lors de la plénière de clôture de la 44e rencontre FNAU © Félix de Malleray

Pourquoi avoir créé un pont entre les questions culturelles et celles de
réorientation écologique ?

Parler de « pont » est trompeur. L’image sous-entend que les questions culturelles et la réorientation écologique relèveraient de deux rives séparées qu’il s’agirait par une prouesse technique de relier : or, la réorientation écologique des territoires est fondamentalement culturelle. Il ne s’agit donc pas d’inventer un pont pour les réunir, mais, au contraire, de se décentrer, de sortir de la logique fonctionnaliste et de renoncer à l’artefact moderne qui conduit à se les représenter séparés. Aménager les territoires, avant de constituer un champ d’expertise et d’ingénierie, est le geste culturel commun qui nous permet de modeler nos milieux de vie pour les rendre habitables et susceptibles de satisfaire nos besoins en tant qu’espèce et société. Ce geste, dans sa tessiture moderne, réussit le monstrueux exploit de détruire les milieux – et tous ceux qui les animent – avec lesquels nous devons nécessairement composer pour édifier nos territoires de vie.

La réorientation écologique des territoires, c’est le réagencement de ce geste culturel aménagiste et des régimes de cohabitation qu’il informe, pour mieux tenir compte de nos dépendances et attachements terrestres et nous assurer que nos territoires de vie demeurent viables. C’est, d’un côté, reconsidérer cette pesanteur que dans nos fictions modernes les plus
folles nous continuons à mépriser : atterrir, comme l’affirmait Bruno Latour, auquel la rencontre rend évidemment hommage ; mais, c’est, de l’autre, retrouver la légèreté des dynamiques de création, d’adaptation et d’évolution qui sont le propre du vivant. Le même parlait alors d’engendrement.

On le voit, le choix de la danse pour constituer le fil rouge de cette rencontre n’a rien de hasardeux. Qu’est-ce que danser sinon un acte artistique de cohabitation qui, par nécessité, joue avec la pesanteur tout en expérimentant sans cesse, à force de légèreté, de nouvelles spatialités qui émeuvent ? De là à supposer que les aménageurs et urbanistes de demain devront se faire danseuses ou danseurs pour relever l’enjeu anthropocène, il n’y a qu’un pas, que cette rencontre a tenté de mettre en scène.

 

« Les agences doivent être les maîtrises d’ouvrage des enquêtes coopératives »

Après une performance scénique [Blue Marble Obsession] qui a marqué les esprits, Michel Lussault reprend le micro pour une masterclass animée par Stéphane Cordobes, directeur général de l’agence d’urbanisme Clermont Massif central (AUCM). Un temps d’échange autour des questions anthropocènes placé sous le signe de l’optimisme.

À l’issue de votre performance hier, vous nous avez promis que cette deuxième partie du récit serait plus joyeuse et centrée sur la réinvention de nos modes de vie. Vous avez mis en avant la question des productions de savoirs qui étaient dépassées par la situation. Qu’est-ce que cela signifie ?
Commençons par rappeler des éléments de lucidité. La lucidité ne signifie pas le désespoir, mais elle est impérative. L’optimisme est important, mais pas au prix de l’oubli de la lucidité. Elle nous conduit à un constat simple : il y a deux grands mouvements d’englobement qui concernent l’intégralité des espaces-temps et qui se mettent en système.
D’une part, il y a une urbanisation planétaire, qui n’est pas seulement démographique, paysagère et géographique. C’est un processus de mutation des formes et des cadres de vie des humains en société. Toutes les réalités humaines et non humaines de la planète sont aujourd’hui urbanisées. Pensons l’urbanisme comme ce qui résulte d’un processus d’urbanisation d’englobement planétaire. Où que vous résidiez, vous êtes concernés par cet englobement. D’autre part, nous sommes face à un changement global qui met en lien quatre phénomènes : le dérèglement climatique, la crise de la biodiversité, le stress sur les ressources et le bouleversement des métabolismes. Toutes les réalités humaines et non humaines sont intégrées dans ce changement. Il n’y aura pas d’espace à l’abri ou d’espace de secours.
Comment ces deux systèmes se lient-ils ? L’urbanisme planétaire vectorise le changement global, c’est pour cela que nous avons développé le concept d’« urbanocène ». Dès que les populations s’urbanisent, leur régime alimentaire change, il est plus carné et consommateur de produits agro-industriels. Sa production implique une exploitation des écosystèmes et conduit, entre autres, à la déforestation et l’assèchement des zones humides.
Nous sommes à un moment clé où nous commençons à connaître ces retours de pression : vagues de chaleur, mégafeux, sécheresses extrêmes, bouleversement de la relation au vivant qui expliquent l’apparition de nouveaux pathogènes. Il faut reconnaître que nous avons échoué à habiter cette Terre. Comment en sommes-nous arrivés là ? La lucidité exige que nous nous posions cette question. Il ne s’agit pas de trouver des boucs émissaires, mais de regarder les conséquences que cela provoque au regard de la justice sociale et environnementale. Les
plus pauvres et les plus faibles sont les plus exposés aux médiocrités des conditions de vie et à la dégradation des environnements. Arrêtons le faux débat « Fin du monde, fin du mois », c’est le même combat ! Je ne suis pas favorable à la désurbanisation, on ne peut pas sortir de cet englobement. Mais nous pouvons faire évoluer ses conditions et inventer d’autres urbanités. Dans les agences, vous êtes en première ligne de tout ça. Vous-mêmes dans votre for intérieur vous ne pouvez pas manquer de voir ce mur.

La façon dont nous habitons la Terre est bien une question culturelle. Nous devons réinterroger notre pratique de l’urbanisme et de l’aménagement. Quels conseils peut-on donner aux urbanistes pour amorcer cette révolution ?
La culture est ce qui nous permet de définir nos existences et d’en créer le sens. C’est le processus de construction de notre habitation. Il faut l’entendre au sens originel qui renvoie à l’espace et au temps de vie d’une espèce. L’urbanisme est affaire de sensibilités, d’affects et d’imaginaires. Il y a un enjeu dans l’urbanisme contemporain qui est de se réapproprier totalement le sensible.
Le culturel s’intéresse à la production du sens. Peut-être faudrait-il admettre que nous sommes dans un monde tellement complexe qu’il peut y avoir plusieurs significations d’un même phénomène. Cela conduit à refuser a priori qu’il n’y ait qu’une seule solution fixée. En particulier, ces lignes d’ingénierie que nous avons l’habitude de faire fonctionner pour arriver à des solutions que nous présentons comme optimales et fondamentales.

C’est l’une des difficultés que nous avons aujourd’hui dans l’action : admettre cette pluralité des significations qui refuse une solution unique. C’est un enjeu de connaissance et d’expérimentation autour de cette réappropriation, par nos métiers, de la question du sensible et de la façon dont on met le partage. Si on ne fait pas ça, on se condamne à être des administrateurs de la procédure. L’anthropocène oblige à redistribuer toutes les cartes.

Stéphane CORDOBES (à g.) et Michel LUSSAULT (à dr.). © Félix de Malleray

L’enquête pourrait-elle devenir un dispositif de production de savoirs et d’actions ?
Depuis que je m’intéresse à l’anthropocène, je n’ai jamais autant appris. Adoptons ensemble ces nouvelles manières de faire avec joie. Une première piste consiste à ne plus considérer l’espace comme une surface à équiper. Délaissons les approches géométriques et économétriques, car cette idée est la base de la conception moderne et occidentale du foncier. L’espace géographique sur lequel vous allez devoir travailler se compose d’interdépendances systématiques. Dès que vous activez un de ses composants, vous activez en retour des rétroactions sur l’ensemble du système de l’interdépendance.
Tout aménagement local est global. L’ensemble des liens d’interdépendance est activé par cet aménagement local. Il faut avoir une vigilance globale. Aujourd’hui, lorsque vous aménagez un
espace urbain dans une zone exposée aux vagues de chaleur, si vous ajoutez de la pleine terre, il faut que vous intégriez le fait que les vagues de chaleur vont modifier l’espace bactériologique.
Une deuxième piste consiste à entrer dans l’urbanisme par l’espace hérité. Je suis pour un urbanisme sans plan. Je milite pour l’abandon de la planification et du projet. Je pense qu’ils nous piègent et nous incitent à d’abord regarder les espaces et la projection des entités qu’on va pouvoir faire. Nous sommes dans la production de significations sur ce que cohabiter veut dire. L’implication habitante est absolument fondamentale. Pour cela, il faudra enquêter sur les gestes de cohabitation, et partir d’une méthode anthropologique. Il faut impliquer les habitants dès le départ. Les agences d’urbanisme doivent être les maîtrises d’ouvrage des enquêtes coopératives, pour faire en sorte que le public se constitue autour de problèmes de cohabitation. Ce n’est pas abstrait du tout. Vous pouvez le faire via des méthodes connues, nous en sommes capables. Bien sûr, cela heurte de front l’urbanisme réglementaire. Nous ne pouvons pas continuer vingt ans avec cette administration : l’empilement des normes, les prescriptions nationales, la contradiction des systèmes normatifs, ce n’est plus possible.

Se dirige-t-on vers un urbanisme apprenant, au centre duquel les agences auront un rôle de communication ?
Apprendre consiste à se mettre en situation et se faire dépasser par ce qu’on ignore et qu’on ne maîtrise pas. Apprendre, c’est le contraire du processus de contrôle. C’est entrer dans l’«incontrôlé». C’est pour ça qu’il faut des cadres aux apprentissages.
Apprendre, c’est accepter qu’il y ait du trouble dans tous les genres. Les agences d’urbanisme doivent devenir ces coopératives d’enquête qui vont orchestrer les processus d’apprentissage
coopératifs.
Vous allez vous-mêmes vous troubler par ce processus, bon courage ! Vous allez déranger les certitudes, inquiéter les sachants, ceux qui croient savoir ce qui est bon. Je n’ai pas de réponse à apporter aux questions que je pose. Ne croyez pas ceux qui pensent avoir une réponse, justement, le processus que je vous propose d’engager est un processus d’expérimentation. Le grand défi que nous avons est de rouvrir le champ des possibles et de réaccepter la pluralité. Réaccepter cette pluralité culturelle et la pluriversalité des références est plus difficile pour nous, Occidentaux modernes, car nous avons été biberonnés à l’idée que nous avions toujours raison. Les agences peuvent et doivent parvenir à cette scénarisation des devenirs. Au sens de Gilles Deleuze, les devenirs possibles, c’est ce qui n’est jamais écrit par avance. Nous ne sommes plus de simples administrateurs de projets.

Retours sur la 44ème rencontre FNAU

Il y a quelques mois, vous étiez plus de 900 participants à nous rejoindre à la Comédie de Clermont-Ferrand pour la 44ème rencontre nationale des agences d’urbanisme « No cultures, no futures ! Pas de réorientation écologique sans recomposition culturelle des territoires ».

Aujourd’hui, nous sommes heureux de partager avec vous différents témoignages de ce grand rendez-vous, qui a marqué une étape significative dans l’histoire de l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central et dans nos travaux et réflexions collectifs autour de l’intérêt des approches culturelles et sensibles dans les projets de transitions urbaines et territoriales.

Pendant trois jours, la Comédie de Clermont-Ferrand fut notre refuge pour écouter, apprendre et discuter, pour enquêter, expérimenter et atterrir, pour partager et nous émouvoir, littéralement  « nous mettre en mouvement ». Conférences, débats, performances, expositions, explorations, dégustations, danse : retrouvez l’essentiel de cette joyeuse expérience de co-habitation anthropocène au fil des pages du hors-série Urbanisme.

> Consulter le sommaire et commander la publication

 

Plénière d’ouverture, master class de Michel Lussault, exploration « urbanisme culturel », plénière de clôture, revivez les temps forts de la rencontre dans leur intégralité à travers une série de 10 podcasts.

> Ecouter les podcasts de la 44e rencontre FNAU

 

Invitée par l’Agence à apporter un témoignage sur la 44e Rencontre nationale des agences d’urbanisme, Lou Herrmann a écouté, regardé, capté les ambiances, les paroles, les situations… En assumant pleinement le point de vue subjectif du spectateur et de l’artiste, ses dessins saisissent des instants qui, assemblés, offrent de nombreux microrécits possibles de l’évènement.

> Consulter le carnet « Regard déssiné » de Lou Herrmann

Podcasts de la 44ème rencontre nationale des agences d’urbanisme « No cultures, no futures »

Revivez les temps forts de la 44ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme, organisée par l’AUCM et la FNAU, du 15 au 17 novembre 2023 à la Comédie de Clermont-Ferrand.

Comment changer nos régimes de sensibilité et d’intelligibilité, ré-informer nos imaginaires, comment transformer notre rapport au monde sinon en activant le levier culturel ? Comment aménageurs et urbanistes sont-ils susceptibles de se saisir des outils de l’urbanisme culturel, compris au sens large, pour travailler le champ cognitif autant/en même temps que les espaces ?

Passoires thermiques : de la nécessité d’unir nos efforts en Auvergne-Rhône-Alpes !

Pour accélérer la rénovation énergétique et limiter la précarité qui en résulte, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 prévoit l’interdiction progressive d’ici à 2034 de la mise en location des logements énergivores dits « passoires thermiques »[1]. Cette interdiction basée sur l’étiquette énergétique issue du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) du logement devrait fortement impacter le marché locatif. Elle s’inscrit également dans un objectif de sobriété foncière liée au Zéro Artificialisation Nette (ZAN), en obligeant à optimiser l’usage du parc de logements existant. La lutte contre les passoires thermiques constitue dès lors un défi d’ampleur, mobilisant l’ensemble des politiques publiques du logement, de l’urbanisme et de la maîtrise de l’énergie.
Afin d’appréhender les impacts de cette mesure, le réseau des quatre agences d’urbanisme d’Auvergne-Rhône-Alpes (Urba4) et l’ADEME ont proposé un cadre de réflexion et d’échanges aux collectivités, EPCI et acteurs de l’habitat de la région à travers la réalisation d’une étude dédiée, amorcée en 2022 et clôturée par un séminaire le 5 décembre 2023 [2].
Deux problématiques ont guidé les travaux et réflexions du groupe : quels sont les principaux impacts et enjeux de l’interdiction annoncée de mise en location ? Quels leviers peuvent être activés par les territoires pour agir sur les passoires thermiques ?
Pour y répondre, deux approches ont été déployées. Tout d’abord la quantification et la cartographie du phénomène à l’échelle régionale, pour permettre une meilleure connaissance et un potentiel suivi des logements étiquetés F et G [3]. En parallèle, l’organisation de groupes de travail et d’échanges sur les politiques publiques mobilisables et re-mobilisables pour agir sur ces logements, selon deux situations territoriales diversifiées : un groupe pour les territoires ruraux, un groupe pour les métropoles de la région AURA.

Vers une contraction massive du parc locatif privé en Auvergne-Rhône-Alpes ?

Selon les résultats du travail d’estimation mené dans le cadre de l’étude Urba4 [4], plus d’un million de logements seraient des passoires thermiques F et G à l’échelle régionale, soit 21 % du parc de logements. Ces passoires sont particulièrement nombreuses dans le parc de logements antérieur à 1975 (avant les premières réformes thermiques), où plus d’un logement sur 3 aurait un DPE F et G, mais aussi dans les logements de petites surfaces : 27,1 % de passoires estimées parmi les maisons de moins de 80 m² et 24,8 % parmi les appartements de moins de 60 m². A noter sur ce dernier point que les récentes annonces gouvernementales sur un réajustement de la méthode de calcul du DPE en faveur des petites surfaces, actuellement discriminées, pourraient réduire la part de passoires thermiques parmi ces logements[5].

Le parc locatif privé devrait être le segment du parc locatif le plus impacté par la réglementation, les logements y étant moins souvent réhabilités que dans le parc social. En Auvergne-Rhône-Alpes, 147 000 logements – soit 19,3 % du parc locatif privé – sont estimés être des passoires thermiques (F et G). Parmi ces logements, 60 000, soit 40 % d’entre eux, se situent au sein des quatre métropoles de la région. En volume, les passoires thermiques se concentrent ainsi sur les espaces urbains denses, où un enjeu de massification de la rénovation énergétique apparaît. Pour autant, en pourcentage de parc, les secteurs ruraux et de montagne sont amenés à être plus impactés. Le parc locatif privé étant généralement faible dans ces zones, l’interdiction de location, même de peu de logements, impactera fortement l’offre locative disponible sur ces territoires. Les conséquences et enjeux liés à l’interdiction de mise en location des passoires thermiques sont donc bien distincts selon les territoires.

De la nécessité d’engager une  démarche de rénovation du parc locatif privé

Les acteurs rencontrés lors de l’étude mettent en avant plusieurs enjeux liés à cette réduction annoncée de l’offre locative privée. Les solutions d’accompagnement existantes sont jugées insuffisantes au vu du volume de passoires thermiques à rénover, et la massification nécessaire de la rénovation thermique des logements apparaît difficile à mettre en œuvre. 

D’autres freins à une rénovation significative du parc locatif privé sont évoqués : capacité des propriétaires à réaliser des travaux  -par manque de ressources financières ou difficultés à se lancer dans des travaux-, difficultés à faire voter les travaux dans les copropriétés, absence de budget suffisant dans les collectivités pour accompagner financièrement cette rénovation par le biais de subventions complémentaires de celles de l’Etat.

Sans possibilité de réaliser les travaux nécessaires pour continuer à louer leur bien, les propriétaires-bailleurs pourraient adopter différentes stratégies : la mise  en vente de leur logement, qui interroge la capacité de l’acquéreur à réaliser les travaux et fait donc peser un risque de voir augmenter le nombre de propriétaires-occupants en précarité énergétique ; le report vers la location touristique du bien, le parc touristique n’étant pas concerné par l’interdiction de mise en location ; la mise en vacance du bien, par un désengagement du propriétaire qui ne souhaite ni vendre, ni réaliser de travaux ; le non-respect de l’interdiction et la mise en location du bien auprès de ménages précaires. 

La sortie massive de logements du parc locatif privé pourrait également avoir des répercussions sociales. Les passoires thermiques du parc privé sont souvent des logements occupés par des ménages relativement modestes. La faible qualité thermique de ces logements  maintient leurs loyers à des niveaux plus accessibles, ce qui confère à ce parc un rôle de parc social « de fait ». Dans ce contexte, la contraction du parc locatif privé pourrait accentuer les difficultés de logement de ménages modestes, qui se reporteront vers le parc social, contribuant à en accentuer la tension.

Globalement, la réduction probable de l’offre locative privée du fait de rénovations thermiques  insuffisantes, pourrait accentuer la tension sur les marchés locatifs. Dans un contexte de sobriété foncière, le développement d’une offre dans le neuf suffisante pour combler le retrait des passoires thermiques du parc n’est toutefois pas une solution envisageable. Ainsi, afin de maintenir une offre locative à la hauteur des besoins, les territoires n’ont d’autres choix que d’identifier des  leviers pour agir sur les passoires thermiques.

Divers leviers mobilisables et re-mobilisables par les territoires pour agir sur les passoires thermiques

Lors des groupes de travail, les acteurs mobilisés ont, au travers de leurs retours d’expériences, mis en avant plusieurs leviers pour agir sur les passoires thermiques. 

Premier levier, planifier, pour intégrer la rénovation énergétique dans des stratégies territoriales globales : les stratégies de lutte contre les passoires thermiques développées par les territoires nécessitent, pour plus d’efficacité et de cohérence avec l’ensemble des politiques du territoire dans un contexte de sobriété foncière, d’être inscrites dans les différents documents d’urbanisme (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal, Programme Local de l’Habitat…) afin d’avoir une vision territorialisée de la rénovation et de cadencer celle-ci dans le temps. Ces démarches de rénovation peuvent aussi s’inscrire dans des stratégies plus globales de revitalisation des territoires (Action Cœur de Ville, Petites Villes de Demain…), notamment dans les secteurs plus ruraux, pas toujours dotés de documents d’urbanisme.

Deuxième levier, inciter et accompagner la rénovation énergétique par un appui à des dispositifs d’accompagnement complets (financier, technique et administratif) à destination des particuliers, mais également des professionnels de l’immobilier. 

Troisième levier, contraindre, pour remobiliser des biens et enclencher une dynamique de rénovation énergétique : des outils tels que le permis de louer [6] ou la taxe sur les logements vacants,  au-delà de leur caractère coercitif, sont avant tout des portes d’entrées pour enclencher auprès des propriétaires de logements énergivores une dynamique de rénovation énergétique, voire anticiper des situations de dégradation.

Plus globalement, un besoin d’améliorer la connaissance des logements en situation de passoires thermiques pour développer des outils adaptés est également apparu : l’ensemble des acteurs fait le constat de l’existence d’une multitude de sources de données et d’outils, rendant la connaissance du phénomène peu lisible et peu précise. Ils soulignent ainsi l’intérêt de disposer d’un outil harmonisé de connaissance des passoires thermiques pour proposer des solutions de rénovation adaptées aux caractéristiques de chaque territoire. 

Si ces différents leviers ne sont pas mobilisables de la même manière par l’ensemble des territoires – les territoires ruraux par exemple n’étant pas tous dotés de documents d’urbanisme leur permettant de planifier la rénovation – tous mettent en avant la nécessité de s’appuyer sur une stratégie globale et un écosystème d’acteurs pour mettre en œuvre une rénovation efficiente, à la hauteur des enjeux soulevés par l’interdiction de mise en location des passoires thermiques.

Unir les efforts pour lutter contre la rénovation énergétique paraît ainsi une nécessité.

La recré-action fait son chemin, en reconsidérant la place du vivant dans la fabrique urbaine

Réintroduire le vivant dans les cours d’écoles

La cour de l’école primaire de Châteaugay a constitué le premier arrêt de cette balade. A cette occasion, Thomas Weibel, conseiller délégué à la ville de Clermont-Ferrand en charge de la végétalisation des cours d’école et Elodie Sauzède, chargée de mission Nature en ville à la ville de Clermont-Ferrand ont présenté à deux voix le projet “Respire la récré” qui consiste à redonner une place à la nature dans les cours d’école clermontoises. 

Issu d’une promesse électorale forte, ce projet hérite du constat selon lequel les cours d’école sont inadaptées aux besoins des enfants, tant en termes de développement social, humain et cognitif qu’en termes de motricité. Réintroduire le vivant dans ces espaces a des effets très positifs pour le développement des compétences motrices des enfants, la pratique de l’activité physique mais aussi pour le confort de tous, en rafraîchissant les espaces extérieurs. Deux dimensions de projets et d’enveloppes budgétaires qui y sont consacrées ont été prévues. Dans le cas des projets les plus modestes, la co-construction avec l’ensemble des personnes fréquentant les établissements concernés, principe opérationnel général, se double de leur participation active. Enseignants, animateurs périscolaires, parents d’élèves et élèves sont invités à contribuer aux travaux, aux plantations et aux transformations des espaces. La transformation progressive des cours d’école donne des résultats très positifs et le projet gagne, suite à des premières expériences, en fluidité et en capacité d’essaimage. 

Mieux comprendre les arbres pour en faire nos alliés face au changement climatique

Dans un second temps, Thierry Ameglio, directeur de recherche à l’UMR PIAF, a présenté le travail de son laboratoire de recherche sur la “Physique et Physiologie Intégrative de l’Arbre en environnement Fluctuant” (PIAF) au groupe rassemblé dans le parc Jay. Spécialisé depuis plusieurs années sur la question de la végétation en ville, les travaux de ce laboratoire s’intéressent aux effets sur tous types d’arbre des conditions environnementales particulièrement contraintes que les environnements urbains proposent aux sujets : sol limité, chaleur émanant des bâtiments… Le PIAF participe ainsi actuellement à plusieurs expérimentations destinées à éclairer les choix d’avenir pour les plantations nouvelles au regard du contexte climatique et de la résistance connue des espèces végétales. Thierry Ameglio a partagé avec le groupe l’exemple de l’observation en cours sur les arbres du quartier Saint-Jacques à Clermont, exposés à de nouvelles conditions de vie suite à la destruction de la “Muraille”. Une instrumentation permet de suivre, par des capteurs positionnés sur les sujets observés, le bien-être et le niveau de stress hydrique auquel ils sont confrontés. Thierry Ameglio a ainsi fait remarquer qu’une suite de jours chauds sans précipitations avait permis d’observer une réduction du diamètre des branches de ces arbres. 

Se mettre à la place des arbres, une manière de sortir d’une approche utilitariste ?

En guise de transition vers le moment de la séance consacrée à la balade sensible, Stéphane Cordobes, directeur de l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a noté le maintien d’une vision très utilitariste des végétaux dans les présentations proposées : les arbres sont considérés pour leur intérêt pour le confort des humains et utilisés pour les apports en matière de qualité de vie induits. La transformation culturelle importante que le contexte d’urgence écologique, climatique et sociale impose impliquerait cependant davantage de lier de nouvelles relations avec la végétation et les animaux en redéfinissant la nature de nos cohabitations, de nos liens et du partage des ressources nécessaires aux besoins du vivant, toutes espèces confondues. 

Mentionner, comme l’a fait Thierry Ameglio, l’existence d’un “cri de l’arbre” lorsque celui-ci est soumis à des événements stressants peut-il contribuer à nous relier davantage à ces vivants non humains ? C’est ce que la balade sensible s’est attachée à produire, en invitant les participants à se mettre “dans la peau d’un arbre” et à imaginer ce que les arbres nous diraient s’ils partageaient le même langage que nous. Cette expérimentation a été perturbée par une collision entre un véhicule et un chien à proximité du groupe. Cependant, cette expérience commune a mis l’accent sur plusieurs notions telles que la fragilité du vivant et l’insécurité et la conflictualité des espaces urbains. L’acceptabilité sociale, qui préoccupe les acteurs du territoire, a également constitué un fil rouge de cette séance. Entre des riverains qui s’opposent parfois à laisser davantage d’espace aux végétaux, la pression foncière, des demandes toujours croissantes d’espaces à urbaniser et les limites des outils réglementaires et de leur application, les élus ont exprimé un certain découragement quant à leur capacité à protéger les végétaux et à contribuer à la transformation des imaginaires et au développement de nouvelles formes de relations et d’interactions avec la végétation et les animaux. 

En conclusion, les participants ont exprimé une volonté de transformer les manières de travailler et d’être au monde, notamment en partant du PLU de la Métropole, non comme un document figé mais comme un lieu de réflexion et de mise en oeuvre susceptible de recevoir des ajustements et nécessitant, de ce fait, un travail collaboratif en continu à maintenir sur la durée de son exécution.

Un marché locatif privé de l’agglomération clermontoise encore accessible mais amené à se tendre dans les années à venir ?

Un marché locatif privé local abordable et dynamique en comparaison des OLL du réseau

Avec un niveau de loyers hors charges observé de 9,3 €/m² tous types de logements confondus en 2022, l’agglomération clermontoise fait partie des territoires où les niveaux de loyers sont les moins élevés : vingtième niveau de loyer le plus bas sur les 54 territoires observés par le réseau [4]. L’agglomération clermontoise est ainsi parmi les territoires les plus abordables comparativement aux autres territoires couverts par un OLL. Pour autant, son marché locatif privé connaît un dynamisme à la relocation : il est constaté un écart moyen de +0,7 €/m² entre les logements loués dans l’année et l’ensemble des logements loués du parc privé, proche de la moyenne nationale. Dans les marchés les moins dynamiques, cet écart est inférieur à 0,5 €/m² et supérieur à 0,8 €/m² pour les marchés les plus dynamiques. Ces résultats confirment les tendances observées lors des précédentes enquêtes.

Néanmoins, ces loyers sont aussi à apprécier au regard des capacités des ménages à les payer. De ce point de vue, le marché locatif privé clermontois est accessible, au regard des revenus des ménages du territoire et des niveaux de loyers pratiqués, et proche du marché locatif privé nancéien [5] : les revenus annuels médians des locataires [6], de l’ordre de 19 900€, permettent d’accéder sans trop de difficulté à des logements loués autour de 9,8€/m². Du fait de revenus annuels médians disponibles moins élevés (16 900€) pour des niveaux de loyers équivalents, le marché locatif nîmois est en comparaison plus tendu. Parmi les autres marchés comparables au marché clermontois, le marché locatif privé tourangeau est lui aussi équilibré mais à des niveaux de loyers et de revenus disponibles plus élevés (10,4 €/m² et 20 700€), quand le marché stéphanois se caractérise par des niveaux de loyers et des revenus disponibles beaucoup plus bas (7,4 €/m² et 17 400€).

Les disparités de loyers observées sur le territoire de l’agglomération clermontoise

Les niveaux de loyers [7] observés au sein de l’agglomération clermontoise sont très différenciés au regard des caractéristiques des logements, dont certaines sont à même de faire croître le loyer. Ainsi, la localisation, la taille, la période de construction, le type du logement sont autant de critères qui font qu’un bien est plus ou moins recherché, et son montant de loyer plus ou moins élevé.

Caractéristiques du logement impactant à la hausse le montant du loyer au sein du Grand Clermont

Caractéristiques du logement Impact sur le montant du loyer
Localisation +2 €/m² pour un logement situé à Clermont-Ferrand comparativement à un bien situé en dehors de la métropole
Taille du logement +2,7 €/m² pour un T1 comparativement à un T2
Type d’habitat +1,4 €/m² pour un appartement par rapport à une maison
Epoque de construction +1,8 €/m² pour un logement construit après 2005, par rapport à un logement de la période 1946-1970

Les logements récents ont par exemple une consommation énergétique moindre, qui se traduit souvent par des montants de loyer plus élevés pour ces biens. De la même façon, les loyers des petits logements sont relativement plus élevés car ils correspondent à la demande majoritaire des jeunes ménages actifs en emploi (55 %) ou des étudiants (19 %), vivants seuls (62 %), à proximité des zones d’études ou d’emplois : cette adéquation avec les besoins des locataires joue sur l’attractivité des T1 et T2 et donc sur le montant de leur loyer.

Si les niveaux de loyers en €/m² sont les plus élevés au centre de Clermont-Ferrand, c’est en dehors de la métropole que le coût du logement est le plus élevé pour les ménages locataires du parc privé. En effet, le parc locatif dans cette zone est composé essentiellement de grands logements (46 % de T4 ou +) et de maisons (50 %). La taille des logements étant plus importante (55 m² en moyenne au centre contre 78 m² hors métropole), le loyer médian en euros y est finalement plus élevé. Ainsi, un locataire en dehors de la métropole paie un loyer médian de 540 € contre 486 € pour un locataire dans Clermont-Ferrand.

Un parc locatif privé plus difficile d’accès dans la métropole clermontoise et la ville-centre

Dans la plupart des EPCI du Grand Clermont, le parc locatif privé est facilement accessible [8] aux ménages du territoire : 70 % des ménages ont accès à plus de 90 % du parc locatif privé. Pour autant, cette accessibilité est plus restreinte à Clermont-Ferrand où seulement la moitié des ménages ont accès à 90 % ou plus du parc locatif privé. Dans la ville-centre, les ménages les plus modestes n’ont d’ailleurs accès qu’à 10 à 25 % du parc locatif privé.

Accéder à un logement locatif est une chose, pouvoir supporter les augmentations de loyer en est une autre. De 2016 à 2020 [9], le revenu médian des locataires du parc privé de Clermont Auvergne Métropole a augmenté de 4,8 %, là où les niveaux de loyers avaient augmenté de 3,9 %. Sur cette période, l’augmentation des revenus des locataires du parc privé leur permet donc de supporter le coût de leur loyer et leur augmentation. Pour autant, à Clermont-Ferrand, le revenu médian des locataires du parc privé a connu une augmentation de 4,2 % sur cette période tandis que les niveaux de loyers avaient augmenté de 4,4 %. Dans la ville-centre, le marché locatif privé est ainsi plus tendu, les loyers ayant augmenté plus rapidement que les revenus des locataires du parc privé.

Entre 2016 et 2022, les niveaux de loyers sont passés de 8,6 €/m² à 9,6 €/m², soit une hausse de 0,7 €/m² à l’échelle de l’agglomération clermontoise, dont + 0,3 €/m² entre 2020 et 2022, signe d’une accélération de cette tendance à la hausse. Cette augmentation a été plus importante à Clermont-Ferrand, où les loyers ont augmenté de 0,9 €/m² sur la période 2016-2022. Le contexte estudiantin de la ville corrélée à, la forte présence de petits logements dans le parc locatif privé (60 % de T1 et de T2), et l’importante mobilité des locataires (36 % des locataires clermontois ont emménagé il y a moins d’un an) sont en effet plus à même de faire augmenter rapidement les niveaux de loyers.

Un marché locatif privé qui pourrait se tendre ?

Les niveaux de loyer du marché locatif privé de l’agglomération clermontoise pourrait continuer à augmenter, avec pour conséquences des difficultés plus importantes pour se loger, notamment à Clermont-Ferrand et pour les plus modestes. Pour autant, ce risque devrait être limité pour les locataires en place, au moins jusqu’à la fin du 1er trimestre 2024, le gouvernement ayant décidé de plafonner l’IRL [10] à 3,5 % jusqu’à cette date en raison de l’inflation.

L’interdiction progressive de mise en location des “passoires thermiques” [11] pourrait également entraîner une contraction du parc locatif privé, avec pour conséquence des difficultés prégnantes d’accès au logement locatif privé pour les ménages modestes souvent occupants de ces logements. Les logements construits avant les premières réformes thermiques, insuffisamment isolés au regard des exigences actuelles représentent un peu plus de deux logements sur cinq dans le parc locatif privé de l’agglomération clermontoise. Localement, il est estimé que 19 % des logements du parc locatif privé du Grand Clermont, toutes époques de construction confondues, sont des « passoires thermiques » (DPE F et G) [12]. Le volume de logements mis en location pourrait ainsi se réduire dès 2025 si les propriétaires n’engagent pas de travaux de rénovation énergétique.

Enfin, le développement du parc des locations meublées pourrait également contribuer à tendre le marché locatif privé clermontois. Ces dernières années, les locations meublées connaissent un essor important sur le territoire, marqueur du développement du marché de la location étudiante sur la métropole. Leur volume a fortement augmenté entre 2013 et 2019, passant de 6 315 logements à 8 220 logements à l’échelle du Grand Clermont. La majorité de ces locations meublées se situent à proximité des lieux d’études, 80 % des meublés du parc locatif privé du Grand Clermont se situant à Clermont-Ferrand. Une location meublée se louant plus chère qu’une location vide (+2, 7 €/m² pour un T1 meublé par rapport à T1 loué nu), les propriétaires bailleurs sont attirés par ce mode de location, et pourraient l’être de plus en plus puisque les locations meublées ne sont pas concernées par l’interdiction de location des passoires thermiques.

L’augmentation des loyers observée, bien qu’encore supportable par les ménages locataires du parc privé, la possible contraction de l’offre locative privée liée à l’interdiction de mise en location des passoires thermiques et la part de plus en plus conséquente de logements meublés aux loyers plus élevés sont autant de facteurs qui pourraient amener le marché locatif privé de l’agglomération clermontoise à se tendre. Les difficultés d’accès au parc locatif privé pourraient notamment s’accentuer à Clermont-Ferrand où les étudiants et les jeunes ménages, dont les revenus sont souvent modestes, représentent une proportion importante des locataires.

La « Tournée des popotes » : une contribution à l’évolution d’un système (d’aide) alimentaire à bout de souffle

La lutte contre la précarité alimentaire : un secteur exsangue où le Puy-de-Dôme ne fait pas figure d’exception

L’année 2020 et les désordres occasionnés par les confinements ont mis certaines difficultés sociales sur le devant de la scène, au premier rang desquelles l’accès à l’alimentation des personnes en situation de précarité. A l’échelle nationale, les associations d’aide alimentaire n’ont eu de cesse depuis, de tirer la sonnette d’alarme [1] en raison des difficultés qu’elles rencontrent : diminution des denrées disponibles, augmentation du nombre de demandeurs, injustice perçue relative à la dégradation des dons de la grande et moyenne distribution, ….

Les effets de la crise (inflation, hausse des coûts de l’énergie) impactent directement les familles les plus précaires. La situation est grave : les associations insistent sur l’arrivée de nouveaux demandeurs qui, jusqu’ici, parvenaient à s’en sortir et à se stabiliser de manière autonome malgré des situations pécuniaires limites. Aujourd’hui, cet équilibre ne se fait plus, et les nouveaux demandeurs affluent alors même que les associations peinent à recevoir la quantité de denrées dont elles disposaient à l’époque où le champ de la lutte contre le gaspillage alimentaire n’était pas concurrentiel. L’ouverture de ce champ à d’autres acteurs (plateforme de lutte anti-gaspillage du type « too good to go », rayons -30% dans les supermarchés [2], …) a directement impacté les associations distributrices d’aide alimentaire qui recevaient par les ramasses hebdomadaires ou quotidiennes, les invendus des supermarchés locaux. Les quantités de dons lors des collectes annuelles diminuent également.

Ainsi le représentant de la Banque alimentaire d’Auvergne indique, lors d’une « popote » dédiée aux questions d’approvisionnement, qu’en novembre 2023, « il nous manque 30 tonnes de denrées pour finir l’année [3]». Le Secours populaire d’Issoire confirme avoir, au mois de septembre 2023, distribué autant de denrées et de colis que sur l’année 2022 entière. Et l’ensemble des associations locales s’accorde sur cet état de faits.

Une transition non maîtrisée vers un nouveau système

Si le problème est simple à comprendre, les solutions pour y répondre sont complexes à trouver. La première réponse apportée ou recherchée est souvent financière : davantage d’argent disponible pour les associations leur permet effectivement de compenser la diminution des denrées reçues ou l’absence de certaines denrées, notamment en produits frais.

Face au manque de denrées collectées, le recours à l’achat à partir de leurs fonds propres ou grâce à des subventions augmente. D’un système de redistribution d’excédents de production ou de denrées en voie de péremption afin de lutter contre le gaspillage alimentaire tout en contribuant à nourrir les familles les plus précaires, les acteurs de l’aide alimentaire deviennent progressivement, par leur mission de solidarité, un des acheteurs principaux des Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) locales. Elles se tournent alors vers les institutions locales pour combler le déficit financier conséquent. 

Certaines associations mentionnent des dépenses de plusieurs dizaines de milliers d’euros hebdomadaires auprès des supermarchés locaux. Ce phénomène fait, au-delà de leur mission de redistribution d’un existant, des associations d’aide alimentaire un acteur à part entière du système alimentaire et des choix territoriaux qui peuvent être faits. Les acteurs sont conscients de cette évolution et notent, avec tristesse et regret, la disparition d’une certaine forme de solidarité : « Il nous faudrait revoir notre conception du don ». Cependant, ils n’interrogent pas encore leur positionnement en tant que premier consommateur auprès de la grande distribution. Leur force de plaidoyer est essentiellement orientée aujourd’hui pour maintenir le système de redistribution et du don tel qu’il a été historiquement conçu.

Or, si l’aide alimentaire a été créée dans un contexte d’augmentation de la précarité des ménages et de surproduction alimentaire à l’échelle européenne, la réalité est aujourd’hui autre [4]. La « Tournée des popotes » vient interroger ce phénomène en inscrivant la réflexion dans le contexte actuel de globalisation, qui conduit chaque individu à dépendre de territoires de plus en plus grands, y compris pour le besoin quotidien qu’est l’alimentation. Les “popotes” vont jusqu’à questionner, au-delà de l’augmentation de la précarité des ménages, les enjeux de résilience collective et de sécurité alimentaire à plus long terme. Il y a en effet un sujet de temporalité à travailler, entre l’urgence de donner un plat chaud aux personnes démunies qui ont faim aujourd’hui, et celle d’anticiper les effets des actions conduites au quotidien sur le système alimentaire dont dépendront les générations futures.

L’achat de denrées n’est heureusement pas la seule solution aujourd’hui retenue. D’autres initiatives plus créatives ont été repérées à l’occasion de la « Tournée des popotes » : les associations d’aide alimentaire développent en effet des trésors d’ingéniosité pour faciliter l’accès aux excédents des jardins de particuliers en milieu rural, pour cultiver elles-mêmes leurs propres jardins, pour rencontrer et développer des partenariats avec les agriculteurs locaux… Mais ces initiatives, encore embryonnaires, se heurtent à de nombreux obstacles, parmi lesquels : la disponibilité du foncier, l’identification de producteurs locaux pouvant contribuer, la capacité à maintenir des prix justes pour les consommateurs en situation précaire, les associations et les producteurs. Ces nouvelles actions mais aussi l’irrégularité des dons ou des produits proposés par les partenaires obligent par ailleurs les associations à disposer de toujours plus de compétences logistiques et de capacité de stockage, voire de traitement et de transformation.

Comme dans le même temps, les associations ont toujours à accueillir les familles, organiser les ramasses à l’aube, redistribuer des produits de plus en plus aléatoires et gérer des conflits entre les familles que cela peut créer, la question du maintien du modèle du bénévolat est posée, d’autant plus s’il faut produire des rapports d’activité quasi-professionnels pour pouvoir prétendre aux subventions.

Favoriser les rencontres des forces-vives locales pour s’outiller face aux enjeux communs

« Portée à plusieurs, la charge est moins lourde », ce dicton populaire résume parfaitement les objectifs et l’intérêt de la « Tournée des popotes », prise comme action d’interconnaissance et d’échange de bonnes pratiques. Etre ensemble est un premier pas pour faciliter la conception de projets innovants, la mutualisation des actions, la réduction des coûts pour chacun ainsi qu’in fine, la pertinence et l’efficacité des actions publiques et la cohérence de leur mise en œuvre par les associations.

L’Agence d’urbanisme a construit la « Tournée des popotes » comme un lieu de réflexion ouvert pour aborder les principaux enjeux [5] auxquels sont confrontés les acteurs de l’aide alimentaire au regard des objectifs de justice alimentaire et d’adaptation au changement climatique :

  • l’offre de services à destination des publics précaires et sa couverture sur le territoire,
  • la qualité des denrées et de l’alimentation des publics précaires et l’accès à une alimentation suffisante et de qualité,
  • la capacité des acteurs à accompagner les publics précaires vers une autonomie – entre autres – alimentaire.

A partir de ces trois enjeux, un programme de “popote”a été proposé et monté en partenariat avec des acteurs locaux. Le principe de fabrication de ces rencontres est double : solliciter les acteurs locaux pour qu’ils partagent les actions qu’ils mettent en œuvre et répondre aux sollicitations de certains en organisant des popotes dédiées aux problématiques qui les préoccupent.

La « Tournée des popotes » a donc été menée comme une action engageante, de proximité et de lien avec une diversité d’acteurs, et d’activation de l’envie d’agir et de partager. Pour ce faire, un grand nombre d’entretiens a été réalisé en préambule pour recenser les actions mises en œuvre et les volontés de se questionner localement sur l’un ou l’autre des sujets.

Au total, 5 séances ont pu être montées sur des thématiques en rapport avec le plan d’action. Elles se présentent comme une interrogation des déclinaisons opérationnelles de ce plan ou comme un élargissement de la question, notamment sur le sujet d’un contexte environnemental insuffisamment pris en compte par les acteurs de l’aide alimentaire.

Destinée à l’ensemble des acteurs du Puy-de-Dôme, cette action de mise en réseau des acteurs d’un secteur s’est vite confrontée à la question de la géographie et des territoires. L’option opérationnelle retenue a été de faire avec les acteurs locaux prêts et disposés à recevoir la « Tournée » sur leur territoire ou dans leurs locaux et d’inviter sur le site candidat l’ensemble des acteurs départementaux repérés. La « Tournée » a ainsi inscrit ses rencontres à Issoire, Saint-Eloy-les-Mines, Cournon d’Auvergne, Clermont-Ferrand et Gerzat.

Vers où mènent la rencontre et le dialogue

La « Tournée des popotes » s’intéresse à plusieurs niveaux de rencontre et de dialogue :

  • Entre acteurs d’un même territoire, pour fluidifier et favoriser les actions locales, le partage des enjeux et des problèmes et la mutualisation des solutions à apporter.
  • Entre acteurs de différents lieux, mais possédant des rôles et des fonctions similaires. La mise en lien s’effectue ainsi principalement au niveau des acteurs de l’aide alimentaire, mais peut s’élargir, quand des contacts sont trouvés, au monde agricole, aux acteurs des communes et intercommunalités, …
  • Entre acteurs de terrain et acteurs de la gouvernance. Sur cette dernière, le lancement de groupes de travail interinstitutionnels et quelques rencontres entre acteurs départementaux et acteurs intercommunaux constituent une ébauche de système coordonné de l’alimentation au sein duquel s’intègre la question des publics précaires et de la justice alimentaire.  

Ainsi, l’ambition de la mise en réseau portée par la « Tournée des popotes » vise autant l’élargissement et la diversification des relations des acteurs de terrains que la mise en dialogue du terrain et de l’opérationnel avec la décision politique et le financement.

En 2024, un rapport de recherche-action fera le bilan de ce travail mis en place pour faire se rencontrer et dialoguer les acteurs autour de la notion de justice alimentaire et de la résilience des territoires. Une journée de clôture, à la fois bilan de cette recherche-action et ouverture sur de nouvelles perspectives pourra alors être organisée. Dans l’intervalle, la plateforme en ligne de diffusion [6] des comptes-rendus des « popotes » et d’échanges partenariaux, mise à disposition par l’Agence, est ouverte et peut être saisie et utilisée par tous les acteurs intéressés pour diffuser les évènements qu’ils organisent, commenter les contenus produits ou partager leurs propres travaux.

Le vélo et la marche, des modes de mobilité dominants en 2050 ?

Un horizon favorable aux mobilités actives en 2050

Imaginez ! En 2050, la société française est neutre en carbone. En termes de mobilité, ce résultat est lié au fort usage des modes actifs par lesquels est assurée la moitié des déplacements. Ceci a été permis, d’une part, par un rapprochement des logements avec les lieux de travail, d’études ou d’achats. En effet, la distance parcourue pour les déplacements du quotidien a été réduite de 15 à 20 %[1] par rapport aux années 2020. D’autre part, la mise à disposition d’infrastructures sûres et confortables permet à tous de se déplacer à pied ou à vélo, y compris dans les espaces de faible densité.

Ainsi, Jade, jeune maman de 30 ans qui vit dans une maison de bourg à 15 km d’une ville moyenne, amène à pied ses enfants, l’un à l’école, l’autre à la crèche qui occupe le rez-de-chaussée de l’ancienne gare ferroviaire. De là, elle prend tous les jours le train pour se rendre dans la ville la plus proche pour y travailler. Arrivée à destination, elle va chercher son vélo qui est stationné chaque nuit dans l’ancien parking à voiture de la gare. Elle se rend ainsi très rapidement, et dans un cadre agréable, à son travail qui se trouve à seulement 3 km de la gare. Le soir, après être allée chercher ses enfants et être rentrée au domicile, elle les amène au centre sportif municipal qui se trouve à un peu plus d’un kilomètre de son domicile. Elle enfourche le vélo cargo stationné chez elle.

Dans un petit collectif de ce même village vit Patrick, retraité (85 ans), qui rencontre de plus en plus de difficultés à se mouvoir en autonomie. Pour autant, il n’est pas isolé ni exclu. En effet, il a emménagé dans un habitat intergénérationnel, qui se trouve au cœur du village. Patrick sort de chez lui au quotidien pour aller chercher du pain sur la place centrale du village et fréquente le bus santé qui s’installe en pied d’immeuble tous les vendredis matins. Pour les courses, ses co-résidents se relaient pour lui apporter l’alimentaire ; pour les médicaments, le pharmacien assure une tournée en vélo-cargo deux fois par semaine. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il s’évade depuis son salon, à travers diverses expositions en Europe et se rappelle les escapades à bas prix qu’il avait pu effectuer plus jeune, grâce aux lignes aériennes « low cost », qui ont désormais toutes disparu.

Julien, lycéen de 16 ans en alternance, vit avec ses parents dans un de ces pavillons « tendances » des années 2020 isolé à 3 km du centre-bourg. Pour se rendre au lycée les semaines paires, il emprunte son vélo jusqu’à un arrêt de car scolaire. À côté de l’abribus, un espace permettant de ranger trois vélos dans un box sécurisé a été aménagé. Les semaines impaires, il doit se rendre pour son alternance dans une entreprise à 15 km de son domicile. Il utilise un « Karbike », véhicule hybride entre un vélo cargo et une voiture. Sur son itinéraire, il « covoiture » deux fois par semaine avec un collègue sur les dix derniers kilomètres.

Comment parvenir à cet horizon ? Quels blocages constatés et leviers à activer ?

Levier de transformation 1 : Aménager le territoire en favorisant les proximités

Pour une intensification de l’utilisation des modes actifs dans les mobilités du quotidien, il apparaît en premier lieu nécessaire de repenser un aménagement du territoire propice aux proximités. Création de cheminements piétons ou de pistes cyclables capacitaires, partage de l’espace public, stationnement des vélos et intermodalité avec le train… Ceci doit être effectué dans l’ensemble du territoire, notamment dans les zones de montagne et les secteurs peu denses.
Pour accélérer la création des voies cyclables ou d’itinéraires piétons, les gestionnaires de voirie (communes, départements…) pourraient préempter du foncier. Par ailleurs, l’utilisation des modes actifs appelle un rapprochement des commerces et des services, à contre-courant des zones monofonctionnelles (zones d’activités, lotissements résidentiels…) structurant aujourd’hui l’espace et notre manière de nous mouvoir. L’obligation à la mixité des fonctions dans le cadre du réaménagement de friches, la création de lieux de polarité autour des établissements scolaires, l’installation d’entreprises au cœur des villes et des bourgs, le retour des commerces et services de proximité pour permettre à chacun d’y accéder en moins de quinze minutes, le développement des services et commerces ambulants en espaces peu denses… sont autant de pistes de réflexion visant à dépasser cet aménagement trop segmenté qui encourage l’utilisation de la voiture individuelle.

Levier de transformation 2 : Changer de système de production

Face à la démocratisation de la voiture électrique et à l’émergence des microvoitures (type Ami de Citroën), la remise en cause de la voiture dans nos mobilités pourrait s’avérer difficile. Pour répondre aux objectifs de transition écologique, l’Etat pourrait mener des politiques volontaristes de réduction de la circulation des voitures en ville ainsi qu’une limitation de leur stationnement afin d’encourager l’émergence des modes actifs. De plus, la suspension de tous les projets de construction de routes dès la décennie 2030 avec réaffectation des dépenses projetées au développement des transports collectifs et des modes actifs permettrait le déploiement de ces derniers. La baisse de l’activité du secteur industriel de l’automobile pourrait ainsi entraîner sa nationalisation et la reconversion des usines pour la production de vélos et véhicules dérivés (pousse-pousse, vélo cargo…). La capacité de la filière vélo française s’en verrait alors renforcée. L’impulsion par l’Etat de la reconversion de l’industrie automobile vers une industrie du cycle permettrait alors à la France d’être un leader mondial dans ce domaine et ainsi de fournir son marché domestique, limitant les importations. Par ailleurs, une filière de recyclage et de réparations pourrait se développer et s’implanter afin de répondre à une demande croissante.

Levier de transformation 3 : S’acculturer pour transformer les modes de vie et les imaginaires des mobilités

Sont mises en avant les difficultés des personnes à changer leurs comportements : attachement supposé des individus à la voiture, grande inertie dans les comportements de mobilité, difficultés à faire émerger de nouveaux imaginaires en termes de mobilité… Placer les modes actifs au cœur des mobilités en 2050 nécessite également une transformation culturelle forte et l’invention de nouveaux imaginaires visant à conduire à la modification de nos modes de pensées et d’agir.
Ainsi, la modification du rapport au travail et son organisation, en généralisant par exemple la semaine de quatre jours ou en encourageant le télétravail, permettrait de réduire le nombre de déplacements s’effectuant actuellement majoritairement en voiture tout en encourageant les mobilités actives pour les déplacements restants. Les employeurs pourraient également restreindre leur zone de recrutement ou bien intégrer les temps de trajet au temps de travail pour les personnes utilisatrices de modes actifs.

Il semble également pertinent de repenser la visibilité accordée à la voiture et sa présence dans notre société : moindre espace dédié à son stationnement, interdiction de publicité sur les automobiles… Il apparaît nécessaire d’encourager de nouvelles formes de mobilité en vélo (pousse-pousse, vélobus…) pour que celles-ci puissent effectivement émerger. Pour encourager un moindre usage de la voiture pour l’ensemble des motifs de déplacements, la démocratisation et la généralisation de l’autopartage apparaît comme un vecteur intéressant dans la mesure où les personnes qui y ont actuellement recours utilisent peu la voiture.

Cette acculturation autour des mobilités s’appuie enfin sur divers acteurs, dont le premier identifié est l’école. Le parcours scolaire semble le lieu et le temps pertinent pour encourager les jeunes générations à utiliser les modes actifs, que ce soit par l’apprentissage ou la mise en pratique, par exemple lors de sorties scolaires. Le rôle des communautés, que l’on retrouve parfois, par exemple, dans un groupe de parents d’élèves, est également un vecteur important d’accompagnement au changement. Les pairs se font en effet à la fois conseillers et ambassadeurs des mobilités actives.

Levier de transformation 4 : Placer la réorientation écologique comme priorité politique absolue

Enfin, afin de permettre aux mobilités actives d’occuper une place centrale dans les déplacements du quotidien en 2050, il semble incontournable que les pouvoirs publics intègrent plus fortement cette question à leurs agendas en plaçant les enjeux de transition écologique comme priorité absolue. Ceci est identifié comme la condition nécessaire conduisant à des réorientations majeures de l’organisation générale du pays : obligation de quantifier l’impact environnemental, social et de santé de chaque décision publique, nouvelle organisation du système productif national pour réduire les émissions de gaz à effet de serre… Concernant plus spécifiquement le champ des mobilités, chaque individu pourrait disposer d’un budget carbone limité ne permettant d’emprunter que très rarement la voiture ou l’avion ; les trajets de moins de cinq kilomètres en voiture pourraient être interdits ; les taxes sur les produits pétroliers et les recharges électriques des voitures pourraient être augmentées et les aides publiques pour l’achat de voiture, même électriques, supprimées.

Pour développer ce système construit autour des modes actifs en tous points du territoire national, il est nécessaire de disposer de nouvelles ressources de financement qui pourraient être obtenues par diverses mesures telles qu’une plus forte taxation de la route, de la voiture et de l’aérien au profit des transports collectifs et des modes actifs. En outre, une partie du financement des infrastructures modes actifs pourrait être assurée par la sécurité sociale au vu des gains sur la santé publique à un plus grand usage de la marche et du vélo.

Retour sur la méthode prospective

Les résultats présentés ci-dessus ont été obtenus lors de l’atelier de prospective « Vous m’faites marcher ! » conçu par l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central (AUCM). En mobilisant la prospective, il s’agissait d’imaginer les trajectoires permettant d’aller vers une situation souhaitable, à savoir la prédominance des modes actifs dans les mobilités de tous les territoires, y compris dans les zones peu denses.

La trentaine de participants (membres de collectivités, acteurs privés, associatifs), répartis en trois groupes de réflexion, ont réalisé un exercice de « backcasting ». Cette méthode consiste à partir de la description d’un avenir souhaitable puis à travailler à rebours pour identifier les obstacles à la réalisation de ce scénario ainsi que les politiques publiques dont la mise en œuvre pourrait mener à sa concrétisation.

L’horizon souhaitable a été présenté sur la base du récit immersif présenté en introduction de séance – et de cet article – et décrivant la situation attendue. Au cours de l’exercice, les participants ont été invités à se départir de leur rôle de représentant d’une institution ou d’un organisme, et à parler à la fois en tant qu’expert d’un domaine et citoyen usager. Le premier temps a été consacré à l’identification individuelle des obstacles se dressant face à la réalisation de l’horizon souhaitable présenté au préalable. Une discussion puis un vote sur les sujets prioritaires à traiter ont succédé à cette première étape. Les obstacles retenus dans les différents groupes sont les suivants : aménagement du territoire, modèle socioéconomique et système industriel, dimension culturelle et place de la réorientation écologique dans les politiques publiques. Un second temps de réflexion, d’abord individuel puis collectif, a quant à lui conduit à considérer les facteurs de dépassement de ces obstacles. Un dernier temps visait à une restitution collective.

Le travail de projection conduit d’ailleurs les participants à interroger, en plus du chemin jusqu’à 2050, l’avenir lui-même et ce à quoi il ressemblera : avec le dérèglement climatique et ses effets (canicule, tempête…), un usage intense des modes actifs sera-t-il réellement envisageable ? Avec le vieillissement de la population et la dégradation générale de l’état de santé de la population, le vélo ou la marche seront-ils accessibles à tous ? Y aura-t-il une crise, une catastrophe qui nous imposera de faire autrement qu’aujourd’hui, sans possibilité de choix ni anticipation ?

Cet exercice d’intelligence collective, testé ici en format court d’une heure trente, a pour objectif non pas d’aboutir à la réalisation d’une liste d’actions concrètes à mettre en œuvre immédiatement mais bien d’ouvrir les esprits afin de s’autoriser à envisager les situations de manière plus globale, plus large, tout en pensant des solutions « hors cadre ». Face au caractère inédit de la situation de changement global à laquelle nous faisons collectivement face, il est en effet nécessaire d’imaginer des dispositifs en mesure d’alimenter les réflexions des acteurs et provoquer le décalage de regard nécessaire au vu des enjeux actuels.