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1 – https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/07/l-appel-des-restos-du-c-ur-revelateur-des-difficultes-de-tout-un-secteur-face-a-la-hausse-des-besoins_6188233_3224.html ou https://www.restosducoeur.org/actualites-partenaires/lappel-des-restos/

2 – La loi Garot vise la prévention contre le gaspillage alimentaire grâce aux promotions. https://www.ecologie.gouv.fr/gaspillage-alimentaire

3 –  Pour avoir un ordre d’idée, la Banque Alimentaire d’Auvergne collecte annuellement « 2070 tonnes de denrées alimentaires dont 1145 tonnes sauvées du gaspillage ». Ces denrées sont redistribuées à moindre coût aux associations, CIAS et CCAS adhérents.

4 – Sur l’histoire de l’aide alimentaire et sa genèse dans les années 1980, on peut consulter : https://www.cnle.gouv.fr/les-evolutions-de-l-aide.html

5 – Un axe transversal d’amélioration de la gouvernance conduit ces enjeux à recouper, comme une sorte de déclinaison locale, les axes du plan d’action national de lutte contre la précarité alimentaire proposé par le Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire. Voir :  https://solidarites.gouv.fr/lancement-du-plan-dactions-de-transformation-de-laide-alimentaire-et-de-lutte-contre-la-precarite

6 – https://padlet.com/vcolonna5/la-tourn-e-des-popotes-espace-d-change-sur-l-aide-alimentair-43gwe3g3v2y5042w

 

La « Tournée des popotes » : une contribution à l’évolution d’un système (d’aide) alimentaire à bout de souffle

Par Violaine Colonna d'Istria, Chargée d’études Vulnérabilités Urbaines - 09.01.2024

De 2019 à 2021, à la demande de la Direction Départementale de l’Emploi du Travail et des Solidarités du Puy-de-Dôme (DDETS 63), l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a réalisé un état des lieux de l’aide alimentaire dans le Puy-de-Dôme et animé une réflexion collective pour définir des pistes d’améliorations de son fonctionnement. Dans ce cadre, les acteurs associatifs et institutionnels réunis ont évoqué leur besoin de mieux se connaître et de débattre ensemble des difficultés qu’ils rencontrent et des solutions qu’ils mettent en œuvre.

Ce constat a donné naissance à la « Tournée des popotes », une action d’interconnaissance fondée sur une hypothèse de départ simple : il est plus efficace, pour connaître une action déployée et en mesurer les enjeux, d’en visiter le lieu de mise en œuvre et de dialoguer directement avec ceux qui la réalisent ou en bénéficient.  

Pour l’aide alimentaire, cela se traduit par une exploration des sites de production, de stockage, de distribution des denrées destinées aux personnes et aux familles en situation de précarité alimentaire. Grâce à un financement de la Direction Régionale de l’Emploi du Travail et des Solidarités Auvergne Rhône Alpes (DREETS AuRA), l’Agence a testé cette hypothèse sur les conditions de l’interconnaissance en conduisant la “Tournée des popotes”  durant l’année 2023.

La lutte contre la précarité alimentaire : un secteur exsangue où le Puy-de-Dôme ne fait pas figure d’exception

L’année 2020 et les désordres occasionnés par les confinements ont mis certaines difficultés sociales sur le devant de la scène, au premier rang desquelles l’accès à l’alimentation des personnes en situation de précarité. A l’échelle nationale, les associations d’aide alimentaire n’ont eu de cesse depuis, de tirer la sonnette d’alarme [1] en raison des difficultés qu’elles rencontrent : diminution des denrées disponibles, augmentation du nombre de demandeurs, injustice perçue relative à la dégradation des dons de la grande et moyenne distribution, ….

Les effets de la crise (inflation, hausse des coûts de l’énergie) impactent directement les familles les plus précaires. La situation est grave : les associations insistent sur l’arrivée de nouveaux demandeurs qui, jusqu’ici, parvenaient à s’en sortir et à se stabiliser de manière autonome malgré des situations pécuniaires limites. Aujourd’hui, cet équilibre ne se fait plus, et les nouveaux demandeurs affluent alors même que les associations peinent à recevoir la quantité de denrées dont elles disposaient à l’époque où le champ de la lutte contre le gaspillage alimentaire n’était pas concurrentiel. L’ouverture de ce champ à d’autres acteurs (plateforme de lutte anti-gaspillage du type « too good to go », rayons -30% dans les supermarchés [2], …) a directement impacté les associations distributrices d’aide alimentaire qui recevaient par les ramasses hebdomadaires ou quotidiennes, les invendus des supermarchés locaux. Les quantités de dons lors des collectes annuelles diminuent également.

Ainsi le représentant de la Banque alimentaire d’Auvergne indique, lors d’une « popote » dédiée aux questions d’approvisionnement, qu’en novembre 2023, « il nous manque 30 tonnes de denrées pour finir l’année [3]». Le Secours populaire d’Issoire confirme avoir, au mois de septembre 2023, distribué autant de denrées et de colis que sur l’année 2022 entière. Et l’ensemble des associations locales s’accorde sur cet état de faits.

Une transition non maîtrisée vers un nouveau système

Si le problème est simple à comprendre, les solutions pour y répondre sont complexes à trouver. La première réponse apportée ou recherchée est souvent financière : davantage d’argent disponible pour les associations leur permet effectivement de compenser la diminution des denrées reçues ou l’absence de certaines denrées, notamment en produits frais.

Face au manque de denrées collectées, le recours à l’achat à partir de leurs fonds propres ou grâce à des subventions augmente. D’un système de redistribution d’excédents de production ou de denrées en voie de péremption afin de lutter contre le gaspillage alimentaire tout en contribuant à nourrir les familles les plus précaires, les acteurs de l’aide alimentaire deviennent progressivement, par leur mission de solidarité, un des acheteurs principaux des Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) locales. Elles se tournent alors vers les institutions locales pour combler le déficit financier conséquent. 

Certaines associations mentionnent des dépenses de plusieurs dizaines de milliers d’euros hebdomadaires auprès des supermarchés locaux. Ce phénomène fait, au-delà de leur mission de redistribution d’un existant, des associations d’aide alimentaire un acteur à part entière du système alimentaire et des choix territoriaux qui peuvent être faits. Les acteurs sont conscients de cette évolution et notent, avec tristesse et regret, la disparition d’une certaine forme de solidarité : « Il nous faudrait revoir notre conception du don ». Cependant, ils n’interrogent pas encore leur positionnement en tant que premier consommateur auprès de la grande distribution. Leur force de plaidoyer est essentiellement orientée aujourd’hui pour maintenir le système de redistribution et du don tel qu’il a été historiquement conçu.

Or, si l’aide alimentaire a été créée dans un contexte d’augmentation de la précarité des ménages et de surproduction alimentaire à l’échelle européenne, la réalité est aujourd’hui autre [4]. La « Tournée des popotes » vient interroger ce phénomène en inscrivant la réflexion dans le contexte actuel de globalisation, qui conduit chaque individu à dépendre de territoires de plus en plus grands, y compris pour le besoin quotidien qu’est l’alimentation. Les “popotes” vont jusqu’à questionner, au-delà de l’augmentation de la précarité des ménages, les enjeux de résilience collective et de sécurité alimentaire à plus long terme. Il y a en effet un sujet de temporalité à travailler, entre l’urgence de donner un plat chaud aux personnes démunies qui ont faim aujourd’hui, et celle d’anticiper les effets des actions conduites au quotidien sur le système alimentaire dont dépendront les générations futures.

L’achat de denrées n’est heureusement pas la seule solution aujourd’hui retenue. D’autres initiatives plus créatives ont été repérées à l’occasion de la « Tournée des popotes » : les associations d’aide alimentaire développent en effet des trésors d’ingéniosité pour faciliter l’accès aux excédents des jardins de particuliers en milieu rural, pour cultiver elles-mêmes leurs propres jardins, pour rencontrer et développer des partenariats avec les agriculteurs locaux… Mais ces initiatives, encore embryonnaires, se heurtent à de nombreux obstacles, parmi lesquels : la disponibilité du foncier, l’identification de producteurs locaux pouvant contribuer, la capacité à maintenir des prix justes pour les consommateurs en situation précaire, les associations et les producteurs. Ces nouvelles actions mais aussi l’irrégularité des dons ou des produits proposés par les partenaires obligent par ailleurs les associations à disposer de toujours plus de compétences logistiques et de capacité de stockage, voire de traitement et de transformation.

Comme dans le même temps, les associations ont toujours à accueillir les familles, organiser les ramasses à l’aube, redistribuer des produits de plus en plus aléatoires et gérer des conflits entre les familles que cela peut créer, la question du maintien du modèle du bénévolat est posée, d’autant plus s’il faut produire des rapports d’activité quasi-professionnels pour pouvoir prétendre aux subventions.

Favoriser les rencontres des forces-vives locales pour s’outiller face aux enjeux communs

« Portée à plusieurs, la charge est moins lourde », ce dicton populaire résume parfaitement les objectifs et l’intérêt de la « Tournée des popotes », prise comme action d’interconnaissance et d’échange de bonnes pratiques. Etre ensemble est un premier pas pour faciliter la conception de projets innovants, la mutualisation des actions, la réduction des coûts pour chacun ainsi qu’in fine, la pertinence et l’efficacité des actions publiques et la cohérence de leur mise en œuvre par les associations.

L’Agence d’urbanisme a construit la « Tournée des popotes » comme un lieu de réflexion ouvert pour aborder les principaux enjeux [5] auxquels sont confrontés les acteurs de l’aide alimentaire au regard des objectifs de justice alimentaire et d’adaptation au changement climatique :

  • l’offre de services à destination des publics précaires et sa couverture sur le territoire,
  • la qualité des denrées et de l’alimentation des publics précaires et l’accès à une alimentation suffisante et de qualité,
  • la capacité des acteurs à accompagner les publics précaires vers une autonomie – entre autres – alimentaire.

A partir de ces trois enjeux, un programme de “popote”a été proposé et monté en partenariat avec des acteurs locaux. Le principe de fabrication de ces rencontres est double : solliciter les acteurs locaux pour qu’ils partagent les actions qu’ils mettent en œuvre et répondre aux sollicitations de certains en organisant des popotes dédiées aux problématiques qui les préoccupent.

La « Tournée des popotes » a donc été menée comme une action engageante, de proximité et de lien avec une diversité d’acteurs, et d’activation de l’envie d’agir et de partager. Pour ce faire, un grand nombre d’entretiens a été réalisé en préambule pour recenser les actions mises en œuvre et les volontés de se questionner localement sur l’un ou l’autre des sujets.

Au total, 5 séances ont pu être montées sur des thématiques en rapport avec le plan d’action. Elles se présentent comme une interrogation des déclinaisons opérationnelles de ce plan ou comme un élargissement de la question, notamment sur le sujet d’un contexte environnemental insuffisamment pris en compte par les acteurs de l’aide alimentaire.

Destinée à l’ensemble des acteurs du Puy-de-Dôme, cette action de mise en réseau des acteurs d’un secteur s’est vite confrontée à la question de la géographie et des territoires. L’option opérationnelle retenue a été de faire avec les acteurs locaux prêts et disposés à recevoir la « Tournée » sur leur territoire ou dans leurs locaux et d’inviter sur le site candidat l’ensemble des acteurs départementaux repérés. La « Tournée » a ainsi inscrit ses rencontres à Issoire, Saint-Eloy-les-Mines, Cournon d’Auvergne, Clermont-Ferrand et Gerzat.

Vers où mènent la rencontre et le dialogue

La « Tournée des popotes » s’intéresse à plusieurs niveaux de rencontre et de dialogue :

  • Entre acteurs d’un même territoire, pour fluidifier et favoriser les actions locales, le partage des enjeux et des problèmes et la mutualisation des solutions à apporter.
  • Entre acteurs de différents lieux, mais possédant des rôles et des fonctions similaires. La mise en lien s’effectue ainsi principalement au niveau des acteurs de l’aide alimentaire, mais peut s’élargir, quand des contacts sont trouvés, au monde agricole, aux acteurs des communes et intercommunalités, …
  • Entre acteurs de terrain et acteurs de la gouvernance. Sur cette dernière, le lancement de groupes de travail interinstitutionnels et quelques rencontres entre acteurs départementaux et acteurs intercommunaux constituent une ébauche de système coordonné de l’alimentation au sein duquel s’intègre la question des publics précaires et de la justice alimentaire.  

Ainsi, l’ambition de la mise en réseau portée par la « Tournée des popotes » vise autant l’élargissement et la diversification des relations des acteurs de terrains que la mise en dialogue du terrain et de l’opérationnel avec la décision politique et le financement.

En 2024, un rapport de recherche-action fera le bilan de ce travail mis en place pour faire se rencontrer et dialoguer les acteurs autour de la notion de justice alimentaire et de la résilience des territoires. Une journée de clôture, à la fois bilan de cette recherche-action et ouverture sur de nouvelles perspectives pourra alors être organisée. Dans l’intervalle, la plateforme en ligne de diffusion [6] des comptes-rendus des « popotes » et d’échanges partenariaux, mise à disposition par l’Agence, est ouverte et peut être saisie et utilisée par tous les acteurs intéressés pour diffuser les évènements qu’ils organisent, commenter les contenus produits ou partager leurs propres travaux.