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Pour aller plus loin : 

[1] Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) ; Centre Intercommunal d’Action Sociale (CIAS)

[2] Cette restitution a eu lieu le 29 novembre 2022.

[3] Rapport L’aide alimentaire et ses usagers dans le Puy-de-Dôme : état des lieux et enjeux d’amélioration, Agence d’urbanisme et de développement Clermont Métropole, Janvier 2022

[4] Association pour le Logement et l’Insertion Sociale (ALIS)

[5] Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu Rural

[6] Le Syndicat Mixte pour l’Aménagement et le Développement des Combrailles regroupe trois intercommunalités et couvre un vaste territoire rural situé au nord-ouest du Puy-de-Dôme, dans le Massif Central

Répondre ensemble aux enjeux d’une alimentation suffisante et de qualité pour tous : des exemples auvergnats inspirants

Par Violaine Colonna d'Istria, Chargée d’études Vulnérabilités Urbaines - 10.03.2023

L’Agence d’urbanisme et l’Union Départementale des CCAS [1] ont menés en partenariat différents travaux sur la précarité alimentaire : état des lieux de l’aide alimentaire et pistes d’amélioration, enquête auprès des CCAS, des CIAS et des recourants à l’aide alimentaire, rencontres délocalisées réunissant élus, techniciens, CCAS, CIAS et représentants du système alimentaire sur l’ensemble du territoire puydômois. A l’occasion de la restitution de ces travaux [2], des acteurs auvergnats ont été invités à présenter leurs initiatives locales en faveur d’un accès à une alimentation saine et de qualité pour tous.

L’augmentation de l’insécurité alimentaire, mesurée selon la capacité des ménages à s’alimenter quotidiennement, en quantité suffisante, est un risque réel. Pour mémoire, l’état des lieux [3] a montré qu’une personne sur cinq ayant recours à l’aide alimentaire se trouve, malgré cette aide, en situation d’insécurité alimentaire et doit régulièrement sauter des repas pour des raisons financières.

Dans le contexte de dérèglement climatique induit par les modes de vie et activités humaines, la capacité des territoires à nourrir leur population est mise en danger par différents phénomènes : la mondialisation de la production rend les territoires dépendants pour leur approvisionnement en produits alimentaires de base, les crises économique et énergétique se traduisent par une augmentation des publics précaires, et la résilience des territoires aux aléas climatiques, corrélée à la résilience alimentaire, reste à construire.

Cette rencontre a été l’occasion de montrer comment chacun se saisit du problème, travaille en commun, se coordonne et mobilise les leviers de la solidarité pour répondre aux urgences sociales et contribuer à la sécurité alimentaire des habitants du Puy-de-Dôme. Nous en partageons des témoignages.

Mme Florence Uzannaz, vous êtes directrice du CIAS d’Ambert Livradois Forez. Cette communauté de 58 communes a donné au CIAS la responsabilité d’assurer l’accès à l’alimentation pour tous. C’est la seule intercommunalité du département à avoir fait ce choix. Quelles sont les actions phare et innovantes que vous menez ?

Notre volonté a été de proposer une solution pour que chacun, sur le territoire d’Ambert Livradois Forez, ait accès à l’alimentation malgré les freins importants que sont la mobilité et le besoin d’anonymat. Un acteur historique, la Maison de l’Alimentation, répond aux besoins alimentaires des familles précaires, en collaboration avec les Restos du Cœur et d’autres acteurs associatifs, en donnant accès à des colis et à une épicerie sociale. Les liens entre les communes facilitent les échanges entre les mairies et permettent d’assurer la coordination. Le liant repose aussi sur une volonté politique forte des élus qui ont fait de l’action sociale une priorité pour leur mandat 2020-2026. Ainsi, la conférence des maires a adopté un projet qui permet de libérer les assistantes sociales de la charge de la réalisation des colis par la mise en place d’un service de livraison de denrées aux familles précaires en toute confidentialité. Chaque maire est référent de sa commune depuis janvier 2023. L’objectif est d’assurer une fluidité entre les acteurs et d’apporter une réponse pérenne à tous.

Jean-François Domas, vous êtes le directeur d’A.L.IS. Trait d’Union [4], association coordinatrice du Groupement d’intérêt public « Alim’solidarités » qui regroupe six communes non limitrophes de Haute-Loire. Il s’agit d’une organisation atypique, comment celle-ci assure-t-elle une coordination sur l’aide alimentaire ?

Historiquement le GIP est né du constat d’une faible présence des associations et des banques alimentaires dans ces territoires ruraux, malgré des besoins bien identifiés dans le cadre du Contrat local de santé du Pays de Lafayette. C’est un exemple fort de mise en commun de ressources dans un objectif partagé, adossé à une organisation territoriale spécifique puisqu’aucune obligation de continuité territoriale n’est imposée. Chaque commune qui souhaite adhérer au GIP doit signer la charte préalablement établie, nommer des délégués au Conseil d’administration et payer une cotisation. Les associations caritatives ont la possibilité d’adhérer mais pas les épiceries sociales et solidaires. De plus, l’Etat et le Conseil Départemental de Haute-Loire contribuent par une aide financière.

La mission du GIP est d’alimenter, tout au long de l’année, en produits alimentaires et d’hygiène, les structures affiliées, charge ensuite à ces structures de répartir au mieux les denrées entre les bénéficiaires et ayant droits les plus démunis. Le GIP met à disposition des locaux afin d’entreposer puis de distribuer l’aide alimentaire. Une collecte annuelle, qui mobilise 70 bénévoles, est organisée auprès du grand public dans les supermarchés des communes adhérentes. Cependant, il est clair que maintenir la cohésion des structures est un enjeu sur le long terme.

Mme Elodie Coudert, vous êtes animatrice de la Fédération Régionale des CIVAM d’Auvergne [5] et responsable des thématiques alimentation, circuits courts et agritourisme. Vous accompagnez les agriculteurs, quels sont les défis que vous rencontrez ?

La fédération régionale des CIVAM d’Auvergne soutient les acteurs de la ruralité en accompagnant des porteurs de projets et en développant des partenariats au service du développement rural. Un premier défi est de trouver de nouveaux débouchés aux producteurs locaux. Plus que jamais, les agriculteurs vivent des heures compliquées. Le souhait du CIVAM est de les accompagner dans le maintien de leur activité. Pour ce faire, les agriculteurs doivent être rémunérés au juste prix, mais celui-ci n’est pas forcément accessible aux publics précaires. Du fait des dispositifs de commercialisation et du coût des produits, certains publics n’ont pas accès à une alimentation de qualité en circuits-courts. C’est pourquoi la fédération s’est rapprochée des structures sociales d’aide alimentaire. Des projets de maraîchage solidaire « accessible » ont alors émergé à Ambert et Vichy. Les bénéficiaires de l’aide alimentaire sèment, entretiennent et récoltent les légumes mis en culture sur une parcelle prêtée par des maraîchers. Les produits sont ainsi amenés à l’épicerie sociale et solidaire puis vendus ou distribués aux usagers.  Cependant, ces projets se pérennisent difficilement.

Le CIVAM fait aussi partie du collectif porté par différents acteurs de la société civile pour la création d’une Sécurité sociale pour l’alimentation, un nouveau droit social qui sanctuariserait un budget pour l’alimentation de 150 € par mois et par personne, intégré dans le régime général de sécurité sociale. Tout comme pour la sécurité sociale à son origine, ce budget devra être basé sur des cotisations de caisses locales de conventionnement, chacune de ces caisses, gérées par les cotisants, ayant pour mission d’établir et de faire respecter des règles de production, de transformation et de mise sur le marché de la nourriture garantes d’un fonctionnement démocratique. Si ce projet de sécurité sociale alimentaire aboutit, il proposera de nouveaux débouchés aux producteurs agricoles locaux.

Mme Eline Copin, vous êtes chargée de mission pour le Projet Alimentaire Territorial (PAT) du SMAD des Combrailles [6]. Cette forme de coordination, interterritoriale, se développe sur tout le Puy-de-Dôme. Quels outils mettez-vous en place pour travailler cette question de la résilience alimentaire ?

L’objectif du PAT des Combrailles est de convier les acteurs de l’alimentation à un travail collectif afin de mieux produire et de mieux consommer, pour améliorer notre résilience alimentaire. Pour mener à bien ce projet, trois axes de travail ont été définis : développer la restauration hors domicile, accompagner l’organisation et la structuration des filières agricoles locales, et sensibiliser à une alimentation saine, de qualité et de proximité.

Le PAT doit mettre en synergie tous les acteurs du territoire, qu’ils s’occupent d’agriculture, de santé, d’action sociale… Les thématiques abordées étant diverses, elles rassemblent les acteurs autour de leurs besoins et permettent de développer leur interconnaissance.

La gouvernance du PAT est assurée par les élus et le comité de pilotage. Un comité scientifique intervient quant à lui sur les aspects méthodologiques des actions mises en place. Enfin, un groupe technique thématique rassemble tous les acteurs de la stratégie alimentaire pour les faire échanger et coordonner. Le point faible actuel est la difficulté de maintenir la dynamique commune sur le long terme car elle est chronophage, énergivore et nécessite des ressources humaines dédiées.

Ces différentes approches de la coordination locale conduites et présentées en 2022 ont illustré des possibilités d’organiser des actions concrètes en faveur de l’accès à l’alimentation pour tous. La coordination des acteurs ayant été identifiée comme l’un des axes prioritaires dans le cadre de l’état des lieux de l’aide alimentaire, ces échanges mettant autour de la table des acteurs du système alimentaire local sont à encourager pour construire et mettre en oeuvre un plan d’actions cohérent et porté collectivement, embarquant tant les producteurs que les distributeurs et les consommateurs. C’est pourquoi l’Agence d’urbanisme portera en 2023 la “tournée des popotes” : une action favorisant l’interconnaissance des acteurs, pour contribuer à une meilleure coordination institutionnelle du système alimentaire dans le Puy-de-Dôme et à la prise en compte des enjeux liés à la solidarité et à l’alimentation des publics vulnérables.