Lauréate de l’appel à candidatures « Territoires de lacs du Massif central »[1], la Communauté de communes Thiers Dore et Montagne a élaboré une feuille de route pour un tourisme durable et équilibré à l’échelle de ses trois bases de loisirs. Dans un contexte de changement climatique, cette stratégie intégrée et partenariale vise à adapter le modèle de développement territorial en repensant la place et la fonction des lacs dans le territoire. Ces derniers sont en effet susceptibles de jouer un nouveau rôle dans une délicate équation sociale, économique et environnementale du territoire. D’un côté, ils peuvent répondre aux attentes des clientèles touristiques en recherche d’espaces tempérés dotés d’une offre de loisirs accessible et de qualité. De l’autre, ils peuvent renforcer l’habitabilité du territoire et offrir à ses habitants des points récréatifs et rafraîchissants. Ces opportunités ne doivent cependant pas masquer le fait que ces lacs sont eux-mêmes affectés par le changement climatique qui exerce des pressions sur l’ensemble des milieux naturels. Enfin, considérant les impacts environnementaux de certaines pratiques, l’impulsion d’une dynamique autour de la transition écologique des lacs peut être un facteur de différenciation et de montée en qualité de l’offre. Tout l’intérêt du dispositif repose de fait sur cette invitation à concevoir un projet gagnant-gagnant pour la collectivité, en soutenant son habitabilité et son développement, et son milieu de vie, en préservant son écosystème et les services qu’il assure.
Trois lacs artificiels amenés à se diversifier
La Communauté de communes Thiers Dore et Montagne dispose de trois lacs à Thiers, Aubusson d’Auvergne et Saint-Rémy-sur-Durolle, d’origine artificielle, aménagés entre 1960 et 1980 dans le cadre de la politique nationale de déploiement de promotion des espaces de plein air[2] ouverts à la population. Ces trois lacs présentent des positionnements distincts, directement liés à leur inscription territoriale et à leurs usages.
- Saint-Rémy-sur-Durolle mise sur l’attractivité et le vivre-ensemble intergénérationnel, en confortant son image de station touristique familiale et populaire, ancrée dans un cadre verdoyant. L’ambition est de maintenir une fréquentation de proximité inclusive, y compris pendant la saison estivale.
- Aubusson d’Auvergne revendique une forme de sobriété et de frugalité, avec l’ambition d’affirmer son statut de lieu refuge. Le site valorise son image de lac “nature”, peu urbanisé, en s’adressant à la fois aux habitants locaux, aux métropolitains en quête de ressourcement, et aux touristes internationaux sensibles à la préservation de l’environnement.
- Iloa Rives de Thiers, enfin, s’inscrit dans une logique d’hyper-proximité et d’apprentissage transgénérationnel, en renforçant son rôle de parc urbain de loisirs et d’activités sportives pour le bassin thiernois. Il s’adresse prioritairement aux populations locales, notamment pour ceux qui ne peuvent partir en vacances, tout en accueillant des touristes de passage.
Les bases de loisirs sont amenées à évoluer de manière à conforter l’attractivité de ces sites et à les dynamiser dans le cadre de la politique économique et touristique des territoires3 et face aux impacts du changement climatique. Pour Thiers Dore et Montagne, il s’agit plus particulièrement d’accroître sa notoriété, sa dynamique économique et de favoriser son positionnement comme destination touristique au sein du Massif central et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, tout en œuvrant à la préservation d’un bien commun, en sensibilisant les acteurs locaux à la vulnérabilité de ce milieu et à l’importance de sa préservation, en intégrant dans la réflexion l’ensemble du bassin versant. Le projet prend la forme d’une démarche globale lancée par l’intercommunalité comme cheffe de file, rassemblant les différents acteurs publics, privés, associatifs du territoire (loisirs, pêche, développement durable, économique, entretien des espaces publics…). Cette dynamique partenariale et participative avec l’ensemble des parties prenantes des trois sites est déterminante. Elle permet de couvrir les thématiques propres au renouvellement de la stratégie touristique dans un contexte de changement climatique, tout en intégrant le souci de concilier dynamique touristique et vie locale.
Des impacts et conséquences à anticiper pour penser la fonction à venir des trois lacs
Si les lacs constituent des lieux plébiscités durant la période estivale, ils n’en présentent pas moins des risques de changements, de tensions, voire de ruptures qu’il convient d’anticiper pour en faire évoluer les représentations, repenser les usages et adapter les pratiques. Identifier leurs vulnérabilités, mais également leurs forces dans les années à venir, permet de repenser le rôle économique, mais également social et environnemental de ces trois sites.
Les impacts du changement climatique se concentrent sur la saison estivale, période durant laquelle les usages autour des lacs sont les plus intenses. Le principal impact concerne l’eutrophisation, notamment la prolifération de cyanobactéries, qui touche l’ensemble des activités pratiquées autour des plans d’eau. L’interdiction de baignade qui en découle entraîne une chute importante de la fréquentation. La diminution du niveau d’eau rend certains équipements difficilement accessibles. Par exemple, les quais fixes de la base de loisirs d’Aubusson deviennent inadaptés. La pêche est également affectée par le manque d’eau et les fortes chaleurs, provoquant la surmortalité des espèces sensibles, ces effets sont accentués en cas de dégradation de la qualité de l’eau. L’appauvrissement de la biodiversité dans les lacs est manifeste depuis 25 ans. Cette érosion rend le territoire moins attractif, car il y a moins d’espèces à observer et à montrer. Elle exige une adaptation des actions d’éducation à l’environnement, pour accompagner les publics dans la compréhension de cette évolution. Les vagues de chaleur et les précipitations intenses modifient par ailleurs la fréquentation des sites et perturbent l’organisation des événements. Les visiteurs recherchent désormais la fraîcheur, en altitude ou le long des eaux vives. Dès qu’une certaine température est dépassée, les lacs sont délaissés. Les horaires de baignade et les départs d’activités sportives sont décalés aux périodes les plus fraîches, en matinée ou en soirée. Les activités tendent alors à se reporter sur les saisons intermédiaires durant lesquels le confort thermique est souvent meilleur. Ce décalage pose cependant la question de la surveillance de la baignade et du contrôle de la qualité de l’eau portant sur la saison estivale. Le déplacement de la fréquentation pose aussi un risque pour la faune et la flore en pleine période de reproduction et de germination au printemps.
Dépasser l’anthropocentrisme : des lacs refuges pour les vivants
Les lacs ne peuvent plus être pensés exclusivement comme des espaces au service des humains, mais comme des lieux de vie pour l’ensemble des vivants. Ce changement de perspective impose de maîtriser la pression sur les sites et de sortir d’une approche anthropocentrée, pour une lecture partagée des vulnérabilités.
Initialement pensés pour le bien-vivre de la population, les trois lacs sont à considérer dans toutes les fonctions qu’ils remplissent, notamment les services rendus à la nature. Il ne s’agit plus de les « vendre » comme vitrines touristiques, mais de les penser comme refuges pour les vivants. Cela suppose une stratégie de (re)conciliation entre des enjeux multiples :
- Écologique : préservation de la biodiversité et de la qualité de l’eau ;
- Économique : développement d’un tourisme durable, montée en gamme de l’offre ;
- Culturel et identitaire : valorisation du patrimoine naturel et immatériel ;
- Social : consolidation d’un lieu de vie, de détente et de lien social pour tous les publics.
Dans cette perspective, les lacs ne peuvent plus être pensés uniquement comme des “vitrines” de l’attractivité touristique, mais doivent être reconnus comme des lieux de vie partagés, au service du bien-être des habitants comme des non-humains.
La feuille de route adoptée par la collectivité pour un tourisme durable et équilibré à l’échelle des trois lacs vise ainsi six objectifs :
- Diversifier et désaisonnaliser l’offre touristique et de loisirs par le développement d’activités tout au long de l’année, à la fois à destination des touristes et des habitants, en faisant la part belle aux activités de plein air ou en phase avec les valeurs de développement durable.
- Associer les acteurs économiques locaux afin d’articuler la stratégie des lacs aux activités économiques du territoire, mais également d’améliorer la gestion des plans d’eau et de leurs alentours.
- Faire des lacs des lieux de rafraîchissement et de lien social afin que la démarche ait des impacts en matière d’amélioration de la qualité de vie des habitants du territoire, notamment les plus vulnérables face aux effets du changement climatique.
- Garantir la qualité de l’eau dans une logique de bassin versant incluant les affluents afin de restaurer la qualité physico-chimique des milieux, d’assurer la gestion quantitative de la ressource tout en veillant à la qualité des eaux de baignade.
- Préserver et valoriser la biodiversité et les valeurs fortes du paysage par site, mais également sensibiliser les habitants et les usagers des lacs à la richesse de leur environnement.
- Améliorer l’accessibilité en privilégiant les modes de transports actifs, l’accessibilité des sites, les liaisons douces et les infrastructures de mobilité.
Conclusion : face au changement climatique, un rôle élargi à jouer
Dans un contexte de réchauffement climatique, les trois lacs prennent une dimension nouvelle comme lieux de fraîcheur et de refuge, en particulier pour les publics vulnérables : enfants, personnes âgées, habitants de bouilloires thermiques. L’approche systémique retenu dans le cadre de la démarche « Territoire de lacs » a permis de prendre conscience de la naturalité et des services écosystémiques qu’offrent ces sites pourtant artificiels, pensés initialement pour le tourisme et les loisirs, et désormais prêtant attention à l’ensemble des vivants. Malgré leur origine anthropocentrée en tant que bases de loisirs, les trois sites, en tant que territoires de lacs dont l’intérêt en termes de réservoir de biodiversité et de naturalité s’impose, sont désormais inscrits dans une dynamique de transition écologique. Si le sujet du renoncement définitif à la baignade ne suscite pas une acceptation générale des acteurs du territoire, cette hypothèse a néanmoins été posée comme une éventualité à prendre en considération. La vocation de territoire refuge des lacs est élargie au-delà de la seule baignabilité. Ils sont désormais appréhendés plus largement comme des lieux de rafraîchissement, voire des portes d’entrées d’un réseau de points de fraîcheur maillant le territoire de Thiers Dore et Montagne. Néanmoins, la mise en application du plan d’actions sur le long terme nécessite que la population et les usagers des lacs soient favorables aux actions déployées. Les trois lacs de Thiers Dore et Montagne peuvent, dès lors, faire figure de terrains d’expérimentation et de mobilisation autour de l’adaptation au changement climatique, au service non seulement du secteur du tourisme et des loisirs, mais également plus largement des territoires de montagne.