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Les lacs de Thiers Dore et Montagne dans l’adaptation au changement climatique

Lauréate de l’appel à candidatures « Territoires de lacs du Massif central »[1], la Communauté de communes Thiers Dore et Montagne a élaboré une feuille de route pour un tourisme durable et équilibré à l’échelle de ses trois bases de loisirs. Dans un contexte de changement climatique, cette stratégie intégrée et partenariale vise à adapter le modèle de développement territorial en repensant la place et la fonction des lacs dans le territoire. Ces derniers sont en effet susceptibles de jouer un nouveau rôle dans une délicate équation sociale, économique et environnementale du territoire. D’un côté, ils peuvent répondre aux attentes des clientèles touristiques en recherche d’espaces tempérés dotés d’une offre de loisirs accessible et de qualité. De l’autre, ils peuvent renforcer l’habitabilité du territoire et offrir à ses habitants des points récréatifs et rafraîchissants. Ces opportunités ne doivent cependant pas masquer le fait que ces lacs sont eux-mêmes affectés par le changement climatique qui exerce des pressions sur l’ensemble des milieux naturels. Enfin, considérant les impacts environnementaux de certaines pratiques, l’impulsion d’une dynamique autour de la transition écologique des lacs peut être un facteur de différenciation et de montée en qualité de l’offre. Tout l’intérêt du dispositif repose de fait sur cette invitation à concevoir un projet gagnant-gagnant pour la collectivité, en soutenant son habitabilité et son développement, et son milieu de vie, en préservant son écosystème et les services qu’il assure. 

Trois lacs artificiels amenés à se diversifier 

La Communauté de communes Thiers Dore et Montagne dispose de trois lacs à Thiers, Aubusson d’Auvergne et Saint-Rémy-sur-Durolle, d’origine artificielle, aménagés entre 1960 et 1980 dans le cadre de la politique nationale de déploiement de promotion des espaces de plein air[2]  ouverts à la population. Ces trois lacs présentent des positionnements distincts, directement liés à leur inscription territoriale et à leurs usages. 

  • Saint-Rémy-sur-Durolle mise sur l’attractivité et le vivre-ensemble intergénérationnel, en confortant son image de station touristique familiale et populaire, ancrée dans un cadre verdoyant. L’ambition est de maintenir une fréquentation de proximité inclusive, y compris pendant la saison estivale. 
  • Aubusson d’Auvergne revendique une forme de sobriété et de frugalité, avec l’ambition d’affirmer son statut de lieu refuge. Le site valorise son image de lac “nature”, peu urbanisé, en s’adressant à la fois aux habitants locaux, aux métropolitains en quête de ressourcement, et aux touristes internationaux sensibles à la préservation de l’environnement. 
  • Iloa Rives de Thiers, enfin, s’inscrit dans une logique d’hyper-proximité et d’apprentissage transgénérationnel, en renforçant son rôle de parc urbain de loisirs et d’activités sportives pour le bassin thiernois. Il s’adresse prioritairement aux populations locales, notamment pour ceux qui ne peuvent partir en vacances, tout en accueillant des touristes de passage. 

Les bases de loisirs sont amenées à évoluer de manière à conforter l’attractivité de ces sites et à les dynamiser dans le cadre de la politique économique et touristique des territoires3 et face aux impacts du changement climatique. Pour Thiers Dore et Montagne, il s’agit plus particulièrement d’accroître sa notoriété, sa dynamique économique et de favoriser son positionnement comme destination touristique au sein du Massif central et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, tout en œuvrant à la préservation d’un bien commun, en sensibilisant les acteurs locaux à la vulnérabilité de ce milieu et à l’importance de sa préservation, en intégrant dans la réflexion l’ensemble du bassin versant. Le projet prend la forme d’une démarche globale lancée par l’intercommunalité comme cheffe de file, rassemblant les différents acteurs publics, privés, associatifs du territoire (loisirs, pêche, développement durable, économique, entretien des espaces publics…). Cette dynamique partenariale et participative avec l’ensemble des parties prenantes des trois sites est déterminante. Elle permet de couvrir les thématiques propres au renouvellement de la stratégie touristique dans un contexte de changement climatique, tout en intégrant le souci de concilier dynamique touristique et vie locale. 

Des impacts et conséquences à anticiper pour penser la fonction à venir des trois lacs 

Si les lacs constituent des lieux plébiscités durant la période estivale, ils n’en présentent pas moins des risques de changements, de tensions, voire de ruptures qu’il convient d’anticiper pour en faire évoluer les représentations, repenser les usages et adapter les pratiques. Identifier leurs vulnérabilités, mais également leurs forces dans les années à venir, permet de repenser le rôle économique, mais également social et environnemental de ces trois sites. 

 Les impacts du changement climatique se concentrent sur la saison estivale, période durant laquelle les usages autour des lacs sont les plus intenses. Le principal impact concerne l’eutrophisation, notamment la prolifération de cyanobactéries, qui touche l’ensemble des activités pratiquées autour des plans d’eau. L’interdiction de baignade qui en découle entraîne une chute importante de la fréquentation. La diminution du niveau d’eau rend certains équipements difficilement accessibles. Par exemple, les quais fixes de la base de loisirs d’Aubusson deviennent inadaptés. La pêche est également affectée par le manque d’eau et les fortes chaleurs, provoquant la surmortalité des espèces sensibles, ces effets sont accentués en cas de dégradation de la qualité de l’eau. L’appauvrissement de la biodiversité dans les lacs est manifeste depuis 25 ans. Cette érosion rend le territoire moins attractif, car il y a moins d’espèces à observer et à montrer. Elle exige une adaptation des actions d’éducation à l’environnement, pour accompagner les publics dans la compréhension de cette évolution. Les vagues de chaleur et les précipitations intenses modifient par ailleurs la fréquentation des sites et perturbent l’organisation des événements. Les visiteurs recherchent désormais la fraîcheur, en altitude ou le long des eaux vives. Dès qu’une certaine température est dépassée, les lacs sont délaissés. Les horaires de baignade et les départs d’activités sportives sont décalés aux périodes les plus fraîches, en matinée ou en soirée. Les activités tendent alors à se reporter sur les saisons intermédiaires durant lesquels le confort thermique est souvent meilleur. Ce décalage pose cependant la question de la surveillance de la baignade et du contrôle de la qualité de l’eau portant sur la saison estivale. Le déplacement de la fréquentation pose aussi un risque pour la faune et la flore en pleine période de reproduction et de germination au printemps. 

Dépasser l’anthropocentrisme : des lacs refuges pour les vivants 

Les lacs ne peuvent plus être pensés exclusivement comme des espaces au service des humains, mais comme des lieux de vie pour l’ensemble des vivants. Ce changement de perspective impose de maîtriser la pression sur les sites et de sortir d’une approche anthropocentrée, pour une lecture partagée des vulnérabilités. 

Initialement pensés pour le bien-vivre de la population, les trois lacs sont à considérer dans toutes les fonctions qu’ils remplissent, notamment les services rendus à la nature. Il ne s’agit plus de les « vendre » comme vitrines touristiques, mais de les penser comme refuges pour les vivants. Cela suppose une stratégie de (re)conciliation entre des enjeux multiples : 

  • Écologique : préservation de la biodiversité et de la qualité de l’eau ; 
  • Économique : développement d’un tourisme durable, montée en gamme de l’offre ; 
  • Culturel et identitaire : valorisation du patrimoine naturel et immatériel ; 
  • Social : consolidation d’un lieu de vie, de détente et de lien social pour tous les publics. 

Dans cette perspective, les lacs ne peuvent plus être pensés uniquement comme des “vitrines” de l’attractivité touristique, mais doivent être reconnus comme des lieux de vie partagés, au service du bien-être des habitants comme des non-humains. 

La feuille de route adoptée par la collectivité pour un tourisme durable et équilibré à l’échelle des trois lacs vise ainsi six objectifs :  

  1. Diversifier et désaisonnaliser l’offre touristique et de loisirs par le développement d’activités tout au long de l’année, à la fois à destination des touristes et des habitants, en faisant la part belle aux activités de plein air ou en phase avec les valeurs de développement durable. 
  1. Associer les acteurs économiques locaux afin d’articuler la stratégie des lacs aux activités économiques du territoire, mais également d’améliorer la gestion des plans d’eau et de leurs alentours. 
  1. Faire des lacs des lieux de rafraîchissement et de lien social afin que la démarche ait des impacts en matière d’amélioration de la qualité de vie des habitants du territoire, notamment les plus vulnérables face aux effets du changement climatique. 
  1. Garantir la qualité de l’eau dans une logique de bassin versant incluant les affluents afin de restaurer la qualité physico-chimique des milieux, d’assurer la gestion quantitative de la ressource tout en veillant à la qualité des eaux de baignade. 
  1. Préserver et valoriser la biodiversité et les valeurs fortes du paysage par site, mais également sensibiliser les habitants et les usagers des lacs à la richesse de leur environnement. 
  1. Améliorer l’accessibilité en privilégiant les modes de transports actifs, l’accessibilité des sites, les liaisons douces et les infrastructures de mobilité. 

 Conclusion : face au changement climatique, un rôle élargi à jouer 

Dans un contexte de réchauffement climatique, les trois lacs prennent une dimension nouvelle comme lieux de fraîcheur et de refuge, en particulier pour les publics vulnérables : enfants, personnes âgées, habitants de bouilloires thermiques. L’approche systémique retenu dans le cadre de la démarche « Territoire de lacs » a permis de prendre conscience de la naturalité et des services écosystémiques qu’offrent ces sites pourtant artificiels, pensés initialement pour le tourisme et les loisirs, et désormais prêtant attention à l’ensemble des vivants. Malgré leur origine anthropocentrée en tant que bases de loisirs, les trois sites, en tant que territoires de lacs dont l’intérêt en termes de réservoir de biodiversité et de naturalité s’impose, sont désormais inscrits dans une dynamique de transition écologique. Si le sujet du renoncement définitif à la baignade ne suscite pas une acceptation générale des acteurs du territoire, cette hypothèse a néanmoins été posée comme une éventualité à prendre en considération. La vocation de territoire refuge des lacs est élargie au-delà de la seule baignabilité. Ils sont désormais appréhendés plus largement comme des lieux de rafraîchissement, voire des portes d’entrées d’un réseau de points de fraîcheur maillant le territoire de Thiers Dore et Montagne. Néanmoins, la mise en application du plan d’actions sur le long terme nécessite que la population et les usagers des lacs soient favorables aux actions déployées. Les trois lacs de Thiers Dore et Montagne peuvent, dès lors, faire figure de terrains d’expérimentation et de mobilisation autour de l’adaptation au changement climatique, au service non seulement du secteur du tourisme et des loisirs, mais également plus largement des territoires de montagne. 

Pas d’adaptation locale au changement global sans coopération ni expérimentation interterritoriale: la raison d’être d’une agence d’urbanisme

1. Bien Habiter localement dans un monde de plus en plus instable et incertain

L’Agence d’urbanisme de Clermont agit dans un contexte de profondes transformations. Si la situation n’a rien d’original — elle affecte les espaces de vie et les milieux de la planète entière — elle oblige néanmoins, à chaque échelle locale, à se mobiliser pour y faire face. Engager ce que nous appelons aujourd’hui des “transitions” requiert d’affronter collectivement une série d’instabilités structurelles qui redéfinissent nos cadres d’analyse et d’intervention. Ces instabilités ne se limitent pas aux dimensions climatiques ou environnementales, ni à celles en cours d’explosions économiques et géopolitiques. Elles concernent tout autant les équilibres sociaux et politiques que les représentations et les affects. En un mot, toutes les relations qui conditionnent nos conditions, et possibilités, de cohabitation dans nos territoires de vie. 

Cette instabilité généralisée prend donc plusieurs formes, qui ne se juxtaposent pas, mais s’entrelacent et se cumulent. Elle est d’abord écologique et spatiale : les environnements de vie se modifient rapidement, parfois irréversiblement, remettant en question l’habitabilité même de certains territoires. Ces transformations affectent nos manières de voir et de penser, produisant une instabilité cognitive et symbolique : les repères collectifs s’effacent, les récits hérités vacillent, les finalités de l’action publique se brouillent. Comme le souligne Donna Haraway, ce n’est pas seulement le monde qui devient trouble, mais nos cadres d’analyse eux-mêmes. Cette perte de lisibilité s’accompagne d’une instabilité politique et sociale : les tensions s’aiguisent, les inégalités se creusent, les usages du territoire se confrontent, les formes de coopération se fragilisent. Là où l’on pensait que la rareté favoriserait les rapprochements — la « sobriété » foncière dans le cadre du ZAN en est emblématique — on observe au contraire un repli sur soi qui accentue encore les vulnérabilités. 

Au cœur de ces déséquilibres, une instabilité sensible et affective se manifeste : sentiment d’impuissance, peurs diffuses, mais aussi perte d’attachements ordinaires — ces liens discrets, quotidiens, souvent invisibles, qui faisaient tenir ensemble les lieux, les personnes et les usages. Il est peu de dire que ces instabilités produisent du trouble. Elles bousculent les cadres établis, mais elles ouvrent aussi des possibles. Encore faut-il savoir les entendre, les formuler, les travailler. C’est précisément là que réside le rôle d’une agence comme la nôtre : ne pas contourner l’incertitude, mais en faire le point de départ d’une modalité d’accompagnement de l’action publique lucide, située, partagée. 

2. Les nouvelles conditions d’exercice des métiers de l’urbanisme et de l’aménagement

Ces mutations n’affectent pas seulement les territoires. Elles transforment en profondeur les conditions mêmes d’exercice du métier d’urbaniste et d’aménageur. Elles obligent à repenser les savoirs, les postures, les modes de faire, les « expertises », les conditions mêmes d’intervention. 

Épistémologiquement d’abord : les connaissances disponibles ne suffisent plus à appréhender la complexité et l’instabilité actuelles. Les savoirs sont hétérogènes, situés, parfois contradictoires. Il ne s’agit plus de produire une vérité stabilisée, mais de rendre visible et créative la diversité des perspectives. Il s’agit aussi d’être en mesure de mobiliser une multiplicité d’expertises — scientifiques, pratiques, d’usage — qu’aucune structure seule n’est aujourd’hui capable d’intégrer. Le recours au partenariat est devenu aussi indispensable que difficile à mettre en œuvre, dans un monde optimisé, où le temps manque à chaque institution pour prendre du recul, se questionner et a fortiori coopérer. Dans un monde qui a érigé la compétition et le marché en modèle, la coopération qui suppose confiance et don/contre don peine à exister. 

Déontologiquement ensuite : il faut assumer une posture plus modeste, plus réflexive, plus attentive aux asymétries de pouvoir et aux inégalités d’accès à l’expression, à la diversité composant les communautés territoriales. Le mythe du grand récit et du sauveur a la vie dure. Il ne s’agit plus seulement de s’inscrire dans une vérité unique surplombante et héroïque, de la traduire et de l’appliquer, mais d’écouter, de relier, de partager, de faire converger une multitude de petits récits performatifs, d’alliance en actes autant qu’en mots. Là encore, la modernité et son productivisme effréné deviennent un frein malgré les promesses numériques. Face à l’injonction de faire mieux avec moins — moins de temps, moins de ressources, moins de distance, moins de bienveillance — quelle posture inventer localement et collectivement pour préserver un espace de travail plus ouvert, assurément plus créatif, et moins “productif” au sens court-termiste de la modernité tardive? 

Mais la transformation est aussi très concrète. Elle est fondamentalement pratique. Elle appelle un renouvellement des formes d’intervention : sortir des logiques de commande, éviter les réponses standardisées, assumer des démarches longues, progressives, inscrites dans la durée et la proximité. Moins les plans définitifs que des processus continus, itératifs et intégrateurs. Car coconstruire, coproduire, collaborer, cohabiter ne relève pas du seul discours managérial et politiquement correct, ni du marketing vert. Ce sont des investissements à part entière – et non du fonctionnement auquel on les ravale dans nos logiques comptables courantes – pour se donner collectivement la capacité de faire face. Ce travail demande du temps, de la présence, de la confiance, une attention soutenue aux contextes, aux dynamiques locales, à ce que lie davantage qu’à ce qui délie. 

Cette transformation du métier affecte évidemment les professionnels eux-mêmes. Les équipes de l’Agence sont traversées par les mêmes incertitudes que les acteurs qu’elles accompagnent. Elles doivent elles aussi ajuster leurs compétences, leurs méthodes, leur rapport à la légitimité tout en s’interrogeant sur leur avenir et les craintes qui l’accompagnent, comme professionnels et habitants. Cela suppose une organisation qui autorise le tâtonnement, le droit à l’erreur, la transversalité en même temps qu’elle donne sens au travail effectué. Une organisation qui reconnaît que la fabrique urbaine et territoriale dans ce monde instable est, en interne à l’agence comme en externe avec les adhérents et partenaires, un apprentissage collectif, et non une capacité à répondre mécaniquement à des commandes, elles-mêmes souvent dictées par des obligations réglementaires vécues comme des contraintes inutiles et coûteuses. 

3. Non plus aménager et urbaniser, mais inventer une politique culturelle de l’habiter

Accompagner les territoires dans ce contexte ne peut se réduire à une ingénierie de commande et d’automatismes. Il s’agit d’un travail culturel au sens fort, créatif : un travail qui porte attention aux formes de vie, aux manières d’habiter, aux attachements, aux représentations, aux imaginaires. Un travail qui accepte de sortir de la seule logique d’instrumentation quantitative et de performance technique, trop souvent dominante dans nos métiers. 

Accompagner, ce n’est pas seulement produire de la méthode au sens courant du terme. Cette fameuse méthode que l’on apprend à l’université, qui se transmet d’experts à apprentis, et qu’il s’agirait d’appliquer rigoureusement ensuite sans réflexivité. C’est avant tout produire du sens — direction et signification comprises. C’est à cette condition que l’adaptation peut devenir concrète, partagée, démocratiquement engageante. L’Agence de Clermont s’inscrit résolument dans cette voie malgré ses moyens réduits. Elle contribue, à son humble niveau donc, à l’élaboration de ce que pourraient devenir des politiques culturelles de l’habiter, en rendant visibles et intégrant pleinement les dimensions sensibles, symboliques, sociales constitutives de nos manières de vivre les territoires. 

Cela suppose aussi de mobiliser, aux côtés des savoirs techniques et scientifiques, des savoirs artistiques et artisanaux. Non pour illustrer ou enjoliver les démarches, mais pour ouvrir d’autres registres de perception, d’enquête, de partage. C’est par ces frottements que se construit une lecture plus fine, plus incarnée des transformations à l’œuvre. Ce travail ne relève pas d’un modèle sur étagère, mais d’un bricolage — au sens anthropologique du terme. Il s’agit de faire avec ce que l’on a, d’assembler, de détourner, de composer, dans une logique de réinvention pragmatique et située. C’est ainsi que l’on peut construire, dans l’instabilité même, le trouble, de nouvelles formes d’habiter. 

4. Façonner une communauté apprenante de l’adaptation par la coopération interterritoriale

La coopération n’est pas un supplément. Elle n’est pas une méthode parmi d’autres. Elle est structurellement nécessaire, car l’adaptation ne peut se concevoir qu’à plusieurs. Elle ne prend sens qu’à l’échelle interterritoriale et suppose une solidarité active entre acteurs, institutions et territoires. Ce que l’Agence cherche à nourrir, ce n’est pas seulement une mutualisation d’études ou un alignement de diagnostics. C’est la constitution progressive d’une communauté apprenantes d’acteurs, créative, expérimentale. Une communauté qui accepte les désaccords, les tensions, les conflits d’usage. Qui sait que ceux-ci ne sont pas des anomalies, mais des révélateurs à travailler collectivement pour les transformer en leviers. 

Ces désaccords sont rarement de nature exclusivement idéologiques, surtout localement. Quelle place d’ailleurs restera-t-il à l’idéologie quand la vulnérabilité de nos milieux de vie imposera, sous contrainte environnementale, des arbitrages si l’on tarde à s’adapter pourrait devenir autrement plus radicaux ? Les considérer comme des constructions purement rationnelles serait donc une erreur : ils renvoient à des vécus, des affects, des vécus, des liens subtils. Ils traduisent le poids de l’histoire, des représentations, des formes d’impuissance. C’est en tant que tels qu’Ils doivent être abordés frontalement – au risque sinon de devenir des blocages insurmontables — mais dans un cadre sécurisant, ouvert, respectueux. Cela peut paraître aventureux de se lancer dans tels dévoilements, mais c’est l’effort et le risque nécessaires à l’installation d’un dialogue, d’une production collective qui donne sa force au pragmatisme local si nécessaire. 

La méthode partenariale est ici un levier décisif : elle permet de construire du commun sans effacer les différences, de réguler sans imposer, de faire alliance sans nier les tensions. Elle permet de retrouver des ressorts d’action, non en s’accrochant aux anciens conforts, mais en retrouvant du sens — et peut-être une forme de réconfort — y compris dans et par l’engagement collectif. 

5. La coopération interterritoriale : une nécessité pour les territoires et une raison d’être des agences à affirmer avec les nouveaux exécutifs

Les transitions demandent du temps. Mais elles se déploient dans un contexte politique rythmé par des cycles courts. Les élections municipales de 2026 constitueront un moment charnière. D’ici là, beaucoup de dynamiques risquent de ralentir, de se figer, de se replier sur l’existant. Ce n’est pas une anomalie. C’est une caractéristique structurelle des rythmes démocratiques. 

C’est pourquoi l’agence prend dès aujourd’hui rendez-vous avec l’après. Elle engage, avec ses adhérents, une réflexion sur sa propre gouvernance, qui viendra conclure le projet stratégique en cours. Cette réflexion ne vise pas simplement à redéfinir les équilibres internes, à les simplifier pour favoriser le fonctionnement de ces instances, définies il y a plus d’un quart de siècle maintenant. Elle doit contribuer à structurer à court terme une nouvelle dynamique partenariale centrée sur l’adaptation territoriale, à la hauteur des enjeux qui s’imposent à nous. 

La future gouvernance devra renforcer la capacité de l’Agence à coopérer, à relier, à porter dans la durée des démarches ouvertes, transversales, structurantes — donc à agir avec ses adhérents et partenaires. Ce processus doit permettre, dès l’installation des nouveaux exécutifs, de relancer un projet ambitieux, adapté à la situation du monde, et fidèle à la vocation des agences d’urbanisme en général, à celle de Clermont Massif central en particulier. 

Canicule : pourquoi Clermont-Ferrand est l’une des villes les plus exposées aux îlots de chaleur

Météo-France a placé le Puy-de-Dôme en vigilance jaune canicule, un phénomène amplifié par les îlots de chaleur. Clermont-Ferrand figure parmi les 10 villes les plus sensibles à ce problème. On vous explique pourquoi.

La canicule s’abat sur le Puy-de-Dôme. Météo France a placé le département en vigilance jaune pour la période du 19 au 21 juin. Mais un autre problème sévit dans le département, en particulier à Clermont-Ferrand : les îlots de chaleur urbains. La capitale auvergnate fait partie des dix villes les plus exposées à ce phénomène, selon Météo France. Mais qu’est-ce qu’un îlot de chaleur, et pourquoi cette ville est-elle plus touchée que d’autres ?

Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur ?

Les îlots de chaleur urbains se produisent lorsque la chaleur s’accumule dans certaines zones de la ville, notamment pendant la journée, et ne parvient pas à s’évacuer la nuit. Résultat : les températures nocturnes restent exceptionnellement élevées, créant une “couche thermique” au-dessus de la ville. Christel Griffoul, adjointe au directeur de l’agence d’urbanisme Clermont Massif Central, précise : ” Les matériaux durs comme le béton, l’asphalte et le métal absorbent la chaleur du soleil durant la journée et la restituent lentement la nuit, empêchant ainsi un refroidissement naturel. En pleine canicule, cet effet peut atteindre jusqu’à 7°C de plus en ville que dans les zones rurales proches. En 2003, un écart de 8°C a été enregistré entre la commune de Aulnat et Montferrand”.

Pourquoi Clermont-Ferrand est-elle particulièrement vulnérable ?

Clermont-Ferrand a un urbanisme dense et peu de végétalisations. Cela crée des îlots de chaleur. La minéralisation des surfaces urbaines – béton, bitume, métal – empêche le refroidissement naturel de la ville la nuit.” Les secteurs les plus touchés par ce phénomène restent les zones d’activités et certains quartiers de la politique de la ville.

Cette carte d’ambiance thermique, réalisée par l’Agence d’urbanisme Clermont Massif Central, montre les zones les plus susceptibles d’être touchées par les îlots de chaleur, en prenant en compte les ombres portées par les bâtiments, la végétalisation et la présence d’eau.

Carte d’ambiance thermique, réalisée par l’Agence d’urbanisme Clermont Massif Central. • © Agence d’urbanisme Clermont Massif Central

Quelles solutions ?

Plusieurs mesures peuvent aider à réduire la chaleur en ville. Végétaliser les espaces urbains est essentiel. ” Plus de parcs, de jardins et de murs végétalisés peuvent rafraîchir l’air “, explique Christel Griffoul. Les zones aquatiques, comme les fontaines ou les bassins, jouent également un rôle crucial.

Changer les matériaux urbains est aussi une priorité. “Utiliser des revêtements réfléchissants ou naturels permet de limiter la chaleur”, souligne l’urbaniste. Réduire la circulation automobile aide à limiter les îlots de chaleur. “Moins de voitures égalent moins de chaleur. Encourager les transports en commun, le vélo et la mobilité douce réduit aussi l’impact“.

Enfin, des gestes simples permettent de s’en protéger : se rafraîchir régulièrement, éviter les sorties en plein soleil et se reposer dans des lieux frais. La mairie a lancé une carte interactive renseignant les îlots de fraîcheur de la ville. Elle permet aux habitants de localiser facilement des zones de rafraîchissement : parcs, fontaines, etc.

Transformer les territoires, accompagner les transitions : le programme de travail partenarial 2025-2026 de l’AUCM

L’esprit du programme partenarial 2025-2026

Face aux transformations continues, profondes et collectives qui s’intensifient aux échelles globales comme locales, l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central (AUCM) affirme, à travers son programme partenarial prévisionnel 2025-2026, son rôle d’acteur pivot dans l’accompagnement des mutations territoriales.

Insistons sur la méthode d’élaboration de ce programme annuel dont on sait qu’elle constitue un processus structurant de l’Agence. Comme il se doit, celui-ci repose sur une co-construction active avec ses adhérents, qu’il s’agisse de partenaires de longue date ou de récents entrants, tels que la Communauté de communes du Bocage Bourbonnais, le CROUS, l’Université Clermont Auvergne ou encore le Commissariat du Massif central. Ce sont ces échanges réguliers qui permettent d’actualiser les priorités d’intervention autour de sept axes, représentatifs de la diversité des expertises de l’Agence. L’ambition est claire : mieux outiller les élus de terrain pour accompagner les changements de pratiques et d’usages, fédérer les savoirs et les acteurs, favoriser les synergies interterritoriales, et diffuser une culture partagée de l’attention portée aux espaces de vie.

Si le programme 2025-2026 s’inscrit dans la continuité du projet d’agence et des travaux menés en 2024-2025, il approfondit cependant deux champs d’expertise et d’activité : l’adaptation au changement global prend une dimension transversale. Devant la complexité du sujet, l’Agence expérimente avec les territoires pour donner un sens concret à cette pratique et identifier les leviers d’action. Elle déploie, pour cela, des outils pédagogiques, des démarches d’urbanisme favorable à la santé, et une prise en compte accrue du vivant. A côté de l’adaptation, le champ de l’habitat s’élargit en accueillant un observatoire du logement étudiant et en travaillant son volet foncier malgré l’incertitude normative qui règne autour de la sobriété. L’Agence développe aussi une approche plus sensible de « l’habiter », en intégrant les dimensions culturelles et symboliques des espaces de vie.

Un programme partenarial structuré par 7 orientations

Le programme partenarial 2025-2026 est structuré par 7 orientations auxquelles chaque ligne d’étude répond.

Axe 1 : Construire des projets territoriaux et urbains adaptés aux nouvelles vulnérabilités

L’AUCM poursuit son accompagnement des collectivités dans la planification territoriale, en intégrant de plus en plus fortement les enjeux d’adaptation au changement climatique. Elle mobilise ses compétences sur les SCoT, les PLUi ou les projets de territoire, tout en intervenant sur des démarches dédiées aux transitions, telles que le Plan stratégique d’adaptation du Massif central ou le Schéma de transition écologique et énergétique (STEE) de la Métropole.

Axe 2 : Améliorer la qualité du logement et des espaces de vie quotidienne

L’analyse des conditions de vie et d’habitat constitue une priorité forte des membres adhérents de l’Agence. Les actions vont de la revitalisation des centres-bourgs aux politiques communautaires de l’habitat (PLH, CIL), en passant par l’analyse des passoires thermiques ou les dynamiques du logement des étudiants. L’AUCM joue également un rôle d’animation à l’échelle départementale et régionale à travers des clubs et réseaux spécialisés.

Axe 3 : Œuvrer à la sobriété foncière et à la régénération de milieux

L’Agence explore de nouvelles trajectoires de sobriété foncière pour valoriser les espaces déjà urbanisés, à travers l’observation et la réplicabilité d’expériences innovantes, comme le projet BAMBA. Elle intervient aussi sur la renaturation des friches et l’observation de la qualité de vie en milieu urbain, contribuant à une approche durable et pragmatique de l’aménagement. A noter, en 2025, l’engagement fort de l’AUCM auprès du réseau URBA 4 pour accompagner l’Etat dans une enquête prospective sur la sobriété foncière post 2030.

Axe 4 : Soutenir les populations et les espaces les plus fragiles

L’observation des transitions solidaires, l’évaluation des contrats de ville, l’analyse des politiques de petite enfance ou encore l’égalité femmes-hommes sont au cœur de cet axe. L’AUCM mobilise des outils pour analyser les besoins locaux, accompagne les territoires et travaille en lien étroit avec l’ARS pour intégrer les déterminants de santé dans les politiques d’aménagement.

Axe 5 : Favoriser l’accès à des mobilités décarbonées

Les mobilités sont abordées sous l’angle de l’émergence des nouvelles offres à déployer pour redynamiser les territoires. L’Agence poursuit ses travaux sur l’enquête EMC², élabore une réflexion prospective pour la Métropole et soutient des projets structurants comme le Service Express Régional Métropolitain (SERM), avec la réalisation d’une monographie détaillée sur les 30 gares concernées par le projet de SERM du Pôle métropolitain Clermont Vichy Auvergne.

Axe 6 : Contribuer à l’émergence de modèles de développement économique résilients

Dans un contexte de fortes dépendances et vulnérabilités des modèles socio-économiques, l’AUCM fournit des éléments d’analyse et d’aide à la décision sur les mutations de l’emploi, du commerce, du tourisme et de l’industrie. Elle soutient également l’optimisation du foncier économique et développe enfin son expertise sur l’adaptation des modèles touristiques au changement climatique sur la rivière Allier et les trois territoires de lac de Thiers Dore et Montagne.

Axe 7 : Forger une nouvelle culture commune de l’habiter

Cette orientation met l’accent sur l’acculturation des acteurs et la valorisation des démarches exploratoires au service de l’adaptation. Qu’il s’agisse de contributions aux débats publics (Recré-Action, réseau transitions du Massif central), des travaux de recherches prospectives ou inspirantes (GIEC, POPSU, expérimentation prospective), ou de l’animation de programmes dédiés (pastoralisme, projet culturel métropolitain), l’AUCM y renforce son rôle de catalyseur d’idées et de pratiques innovantes.

 

Ceci n’est pas qu’un plan d’adaptation

… Mais les premiers pas d’une communauté apprenante pour adapter ses territoires et milieux de vie et continuer à habiter demain, fièrement, le Massif central. 

1. S’adapter n’est plus affaire de plan ou d’expertises, mais de convictions

Rendre public un plan d’adaptation au changement climatique alors que l’on assiste à un recul marqué des ambitions écologiques pourrait sembler contracyclique. Quel accueil recevra le Plan stratégique d’adaptation au changement climatique du Massif central, alors que l’actualité, nationale comme internationale, incite à relâcher la vigilance ? Risque-t-il, comme tant d’autres rapports, d’être mis de côté et oublié ? 

On préfère faire le pari inverse. Les batailles de posture, tenues loin des réalités de terrain, pèseront peu face aux transformations déjà à l’œuvre, aux inquiétudes concrètes qui touchent chacun dans ses territoires, son travail, ses modes d’habiter. Qui peut encore nier que des vulnérabilités apparaissent, que d’autres s’aggravent ? Il n’est plus de milieux de vie épargnés, plus d’attachements qui ne soient remis en question. Ignorer le changement global est devenu un luxe réservé à quelques nantis. Un luxe auquel la majorité des habitants du Massif central — jeunes ou vieux, actifs ou retraités, femmes ou hommes, ruraux ou urbains — ne peut plus prétendre. 

Et ce d’autant plus que les reculs actuels en matière de sobriété foncière, de régulation des pesticides, d’agroécologie, de réduction de la consommation ou de préservation du vivant risquent d’accélérer les déséquilibres. Et de rendre l’adaptation plus urgente encore. 

2. Le Massif central n’est pas un refuge, il n’échappera pas aux effets du changement global

Commençons par déconstruire une idée reçue : non, le Massif central ne sera pas épargné. Non, il ne constituera pas un refuge préservé des effets du changement climatique, envié par le reste du pays, voire du monde. Si la situation y paraît parfois « moins pire », elle n’en sera pas moins grave. Les transformations à venir remettront en cause en profondeur les paysages, les modes de vie et les équilibres territoriaux que nous connaissons aujourd’hui. 

L’évolution du climat est déjà perceptible : printemps précoces, sécheresses, baisse de l’enneigement, épisodes extrêmes plus fréquents… Ce que les habitants constatent au quotidien, les modèles climatiques le confirment : d’ici 2050, certaines zones du Massif pourraient connaître un réchauffement de +3,5°C, avec un déficit hydrique marqué. Ces changements affecteront directement les milieux, les conditions de vie et les activités. 

Mais ces effets ne seront ni uniformes ni équitables. Les ressources déjà fragiles — eau, sol, biodiversité — seront mises à plus rude épreuve. Et tous les habitants ne disposent pas des mêmes capacités d’adaptation. Le vieillissement démographique, la dispersion de l’habitat, les écarts de niveau de vie, la faiblesse de l’ingénierie locale aggravent les inégalités face au changement climatique. 

Dans ce contexte, l’adaptation ne peut relever de la seule initiative individuelle ou sectorielle ; ni de collectivités ou collectifs isolés. Elle doit être portée comme un projet collectif, intriqué, solidaire. Sans pour autant assigner le Massif à un statut peut-être trop déterministe ou surinvesti de bio-région, on peut y reconnaître une communauté de milieux et de culture — mieux : une envie de faire front commun dans un espace de co-appartenance qui fait sens, y compris face à la déprise et à l’adversité passée. Parce que les territoires qui composent cet espace partagent des ressources, parce qu’ils sont liés par des interdépendances. Parce que les vulnérabilités s’accumulent. Parce que la réponse devra être territorialisée et coopérative. 

3. Un plan, qui n’en est pas qu’un, comme réponse itinérante à l’incertitude et au trouble

Le Plan stratégique d’adaptation au changement climatique (PSACC) ne prétend pas tout résoudre. Mais il propose un cadre d’actions structuré, réaliste, fondé sur une dynamique collective. Il repose sur une conviction partagée : à défaut de certitudes, il est possible de construire une méthode – au sens de chemin à ouvrir et arpenter -, de se doter d’outils communs, de s’accorder sur des priorités et de tracer des lignes d’horizon. Cet optimisme méthodologique n’a rien d’un pari incantatoire. Il s’appuie sur une expérience concrète de travail entre acteurs du territoire. 

Tout au long du processus d’élaboration, les membres du groupe de travail – filières et territoires confondus – ont engagé un effort d’écoute, d’analyse, de confrontation des points de vue. Ensemble, ils ont tenté de nommer les changements à l’œuvre, d’en comprendre les mécanismes et d’en mesurer les effets, sur les milieux comme sur les manières de vivre. Ce chemin partagé, malgré les incertitudes, a permis de faire émerger un socle commun d’enjeux et d’objectifs. Il ouvre la voie non pas à un avenir rêvé, mais à un futur atteignable, à condition d’un engagement collectif durable. 

Ce futur repose sur l’idée d’un Massif central toujours habité, vivable, transmis. Un territoire qui prend soin de ses sols, de ses ressources, de ses paysages. Où les formes de vie locales évoluent sans se dissoudre. Où les savoir-faire vernaculaires se transmettent. Où l’économie locale s’ancre dans des pratiques respectueuses du vivant. Et où la coopération reste un levier d’autonomie et de résilience. Ce projet n’est pas une projection abstraite : c’est une stratégie pragmatique pour maintenir la qualité de vie malgré les bouleversements à venir. 

4. Un plan ne suffit pas. Ce sont les clés qu’il active qui comptent

Un plan peut fixer des intentions, stabiliser un diagnostic, structurer un langage commun. Mais il ne transforme rien s’il ne crée pas du mouvement. Ce qui compte, ce ne sont pas les pages, mais les ressorts. Ce que le PSACC cherche à produire, ce ne sont pas des recommandations générales, mais des clés concrètes : pour ouvrir des possibles, déverrouiller des situations, franchir des seuils d’inertie. 

Ces clés prennent la forme de cinq principes d’action non hiérarchisées et pensées non comme des objectifs extérieurs mais comme des leviers activables dans les contextes locaux. Le premier consiste à repenser collectivement l’usage des ressources, à sortir du modèle d’abondance pour inscrire les territoires dans une logique de sobriété et de partage. La deuxième repose sur la capacité à diversifier les pratiques, les filières, les formes d’organisation, pour renforcer souplesse et résilience. Le troisième engage à réduire concrètement les émissions, à préserver les puits de carbone, à revoir les mobilités et les modes de production dans une perspective de justice sociale. Vient ensuite la nécessité de revitaliser les territoires les plus en difficulté, non pas en leur appliquant un modèle, mais en travaillant à restaurer leur habitabilité, leur hospitalité, leur capacité à accueillir et à faire projet. Enfin, la dernière clé, la plus transversale : il s’agit d’apprendre ensemble, de se doter de sensibilités et de repères communs, de construire une culture de l’adaptation capable de dépasser les cloisonnements institutionnels ou sectoriels, de remettre en cause certains biais consomptifs de la modernité urbaine globalisée. Cette acculturation partagée est une condition essentielle pour permettre un véritable changement d’échelle. 

5. Ouvrir un chemin commun à arpenter avec lucidité et confiance

L’Agence d’urbanisme Clermont Massif central en partenariat avec le Commissariat de Massif et avec le soutien de Clermont Auvergne Métropole, a conçu le dispositif, animé les scènes d’échange et co-produit une grande partie des contenus. Mais elle a tenu à élaborer un outil collectif, structurant et enraciné. Loin d’appliquer une méthode standardisée, elle s’est attachée à prendre en compte les singularités locales, les zones de controverse, les blocages cognitifs, culturels et économique, les niveaux de maturité et de connaissance, les différences de sensibilité et d’envie. 

Ses collaborateurs n’ont pas adopté la posture du sachant ou de l’expert garant d’une méthode rigide et préformatée. Ils se sont engagés comme des acteurs parmi d’autres dans une expérimentation locale, un apprentissage collectif, une rencontre propice à faire émerger des liens, des convictions et des actions communes. Ils ont investi un processus qui ne s’achève pas avec la publication du plan, mais constitue un premier actif, une base partagée à mettre à disposition de tous ceux qui, dans le Massif, souhaiteront rejoindre la dynamique, et traduire — donc adapter et inventer — leur propre chemin d’adaptation. 

Car malgré l’atmosphère politique incertaine, malgré les contraintes budgétaires annoncées, malgré les freins bien identifiés, l’exigence d’agir ne recule pas. Et parce que ce plan n’est pas resté à l’état d’intention, parce qu’il a mobilisé un groupe de travail actif, engagé, formé, qui a débattu, hiérarchisé et clarifié, s’est entendu, parce que les risques pris ont été parfaitement assumés de part et d’autre, il ouvre aujourd’hui un espace de confiance. Une dynamique s’est enclenchée. 

Ce plan n’est pas un aboutissement, mais un point d’appui. Il rend visible des possibilités, articule vulnérabilités et ressources, appelle à l’action, et surtout, à la poursuite d’un projet collectif. Les cinq clés ne sont pas des cases à cocher. Ce sont des principes à incarner, des manières d’agir, des invitations à faire évoluer les pratiques et à se préparer, ensemble, à un monde en transformation — pour préserver ce qui, dans le Massif central, fait encore qualité de vie, sens et avenir commun, fierté. 

Réconcilier patrimoine et usages pour faire du cœur historique un espace pleinement habité

À Beaumont, commune de plus de 10 000 habitants de la métropole clermontoise, le centre ancien se dégrade lentement, à l’image de nombreuses centralités historiques françaises. Pourtant, ici, la situation présente une singularité : la commune est propriétaire de près de soixante biens immobiliers, acquis au fil du temps. Cette accumulation de foncier bâti, devenue une charge budgétaire pour la commune du fait de la nécessité de sécurisation, symbolise une ambivalence plus large : celle d’un centre historique perçu à la fois comme un héritage commun à préserver et un poids face à un patrimoine vétuste qui peine à s’adapter aux aspirations de la vie actuelle.

Face à ce constat, Beaumont a choisi d’agir. Inscrite dans l’Opération de revitalisation du territoire (ORT) multisites portée par Clermont Auvergne Métropole, la commune a engagé une démarche d’élaboration d’un plan guide, accompagnée par l’AUCM, pour repenser l’avenir de son centre médiéval et inverser le regard porté sur cette déprise urbaine.

Une démarche exploratoire et sensible

Le plan guide ambitionne de replacer le centre ancien au cœur d’une stratégie urbaine d’ensemble et de long terme qui investit les thématiques transversales de la revitalisation : habitat, cadre de vie, mobilités, … Un exercice à la fois prospectif et sensible a été conduit en groupe projet pour définir des profils cibles d’habitants et d’investisseurs que la commune souhaite attirer ou maintenir sur le centre bourg. L’utilisation de personae, tels que l’esthète, amoureux des belles pierres, ou encore la jeune retraitée, a permis de comprendre les critères de choix résidentiels des habitants lors de l’acquisition ou de la location d’un logement.

Le plan guide s’est attaché, par ailleurs, à s’ancrer dans les réalités locales en proposant plusieurs arpentages pour s’éprouver face à l’épreuve du terrain. L’approche incarnée dans un site donné, mais également dans un cadre de politiques publiques portées par les acteurs locaux rassemblés dans le cadre du plan guide a constitué un élément important du process de travail. Enfin, la force du plan guide tient avant tout dans la dynamique collective engagée autour d’un groupe projet rassemblant les différentes parties prenantes de la revitalisation : l’Etat (ABF, DDT63, ainsi que les architectes et paysagistes conseils), Conseil départemental du Puy-de-Dôme, CAUE, EPF Auvergne, SMTC, services urbanisme, habitat, culture de la Métropole, service de la ville … Ce groupe a été réuni tout au long de la démarche sous forme d’ateliers participatifs mixant diffusion d’expertises, approche sensible et travail collaboratif.

Patrimoine vécu et valeurs d’usage

L’objectif du plan guide a été clairement posé dès le lancement de la démarche : il s’agit de transformer le centre historique de Beaumont sans le dénaturer. C’est pourquoi, une étude patrimoniale approfondie a été confiée au cabinet ACA Architectes & Associés. Cette expertise a permis d’identifier les caractéristiques fondamentales du bourg fortifié : le linéaire des remparts, la structure médiévale du parcellaire avec des emprises bâties particulièrement denses, un réseau viaire hiérarchisé, arborescent et pittoresque – de la voie principale aux venelles -, les typologies bâties – maisons de vignerons, loges, demeures notables – ou encore les caractéristiques architecturales remarquables, telles que les toitures en tuiles à un ou deux pans échelonnés qui accompagnent la pente. Tous ces éléments composent un paysage urbain singulier qu’il s’agit de transmettre dans son fonctionnement et sa structure, sans pour autant figer toute forme d’intervention.

À Beaumont, le patrimoine n’est pas une simple matière à conserver : il est également un espace de vie, porteur de mémoire et de sens. La question posée par le plan guide est donc celle de la transmission : qu’est-ce qui mérite d’être conservé, à quoi tenons-nous collectivement et pourquoi ? Il s’agit donc d’articuler valeurs patrimoniales et valeurs d’usage, de repenser la mutation d’un centre en déprise, sans trahir l’esprit des lieux et du « déjà-là ».

Un plan guide comme boîte à outils

Le plan guide n’est pas un document figé mais un outil évolutif, un support de dialogue et de transformation. Il propose quatre grands axes d’intervention pour refonder une centralité habitée, attractive et connectée au reste du territoire beaumontois :

  1. Vivre au quotidien, pour améliorer la qualité des espaces publics.
  2. S’émerveiller, en révélant la richesse du cadre de vie par la végétation.
  3. Circuler, accéder, stationner pour repenser les mobilités au bénéfice des piétons.
  4. Se loger par une requalification de l’habitat en partant de l’existant.

Dix stratégiques ont été identifiées pour décliner cette stratégie urbaine d’ensemble : six pièces correspondant aux portes du bourg et quatre sont au cœur du tissu médiéval. À chaque fois, il s’agit d’intervenir avec finesse et délicatesse, en conciliant les usages, en testant de nouveaux scénarios à travers l’urbanisme transitoire, et en favorisant l’appropriation citoyenne des lieux.

Ce travail de couture sur-mesure implique de retrouver les contours historiques du bourg là où les limites ont été effacées par des démolitions et de traiter des interstices – ces zones de transition entre l’espace privé et l’espace public – comme des opportunités de requalifier le cadre de vie. La végétalisation des cœurs d’îlot, le travail sur les matériaux durables, le soin apporté à l’interface entre espace bâti et espace public témoignent de cette volonté de réparer sans déstructurer.

Focus sur l’îlot Commerce : redonner vie au patrimoine bâti

Parmi les zones d’intervention prioritaires, l’îlot Commerce occupe une place centrale. Ce secteur, où se concentre une grande partie du patrimoine communal en ruine, est emblématique des enjeux de reconquête. L’idée est de réactiver l’espace, d’en faire un lieu de vie résidentiel et social, tout en respectant son identité.

Cela passe par la réouverture d’ouvertures murées, l’introduction de treilles végétalisées sur les pignons, la réinvention des rez-de-chaussée pour accueillir des cafés sociaux ou des lieux culturels, et la reconnexion des venelles pour retisser un maillage urbain plus fluide.

Et maintenant, comment passer à l’acte ?

La réussite du plan guide passe par une mise en œuvre progressive, à plusieurs vitesses, visant à inscrire le centre bourg de Beaumont dans un processus de projet. Elle combine une approche globale, du fait de la prise en compte de l’ensemble de la stratégie urbaine, et des interventions ciblées sur certains îlots et/ou porteurs de projet qu’il s’agit d’attirer et de convaincre. Plusieurs outils fiscaux, juridiques, et opérationnels peuvent être activés pour encourager et insuffler des dynamiques de mutation.

Il s’agit, tout d’abord, de passer par des phases de test et d’expérimentation pour donner à voir rapidement et de manière « économe » comment réinvestir l’espace public par des aménagements légers, transitoires et réversibles. Design actif ou évènementiel, l’objectif est avant tout d’impliquer et d’engager les riverains dans l’animation de leur rue, leur école, leur bourg.

Pour les îlots les plus dégradés, un accompagnement sur-mesure est nécessaire. Guichet unique rassemblant l’ensemble des ressources et partenaires mobilisables, coaching individualisé auprès des futurs usagers, ou encore bourse aux logements vacants, le plan guide donne à voir l’importance d’être au plus près du porteur de projet pour apporter des réponses les plus adaptées possibles et, ainsi, faciliter la mise en opération.

Enfin, des outils incitatifs, voire coercitifs peuvent être engagés par la collectivité. Outre les dispositifs traditionnellement mobilisés dans la lutte contre l’habitat indigne et la vacance (incitations fiscales, bail à réhabilitation ou à construction…), la commune de Beaumont pourrait tirer parti de sa très forte maîtrise foncière pour lancer une consultation innovante sous forme d’Appel à manifestation d’intérêt (AMI) ou d’Appel à projets (APA). Prenant exemple sur d’autres communes, telles qu’Ambert qui propose l’acquisition de maison à l’euro symbolique pour l’accession sociale à la propriété ou encore Riom qui a conduit une consultation d’opérateurs pour le réaménagement urbain avec cession immobilière de ses deux friches carcérales, Beaumont pourrait mettre en place un AMI sur l’îlot Commerce pour accompagner la réalisation de projets immobiliers directement opérationnels et en accord avec les orientations du plan guide.

Pour une fabrique collective du patrimoine vivant

La démarche engagée par Beaumont illustre un changement de paradigme dans la manière de penser la revitalisation des centres anciens. Il ne s’agit plus de préserver le patrimoine en le muséifiant, ni de le réhabiliter selon une logique purement économique, mais de réconcilier mémoire et usages, pour faire du cœur historique un espace habité, désiré, transmis.

Cette ambition passe par une mobilisation collective, une compréhension fine des lieux, et une volonté politique forte. En plaçant les habitants au centre du processus, en valorisant l’intelligence du déjà-là et en privilégiant la souplesse des réponses contextuelles, Beaumont esquisse les contours d’un urbanisme du soin et de la transmission.

Le patrimoine urbain devient alors non plus une contrainte, mais un levier de projet — un vecteur d’émotions, de récits et de renouveau.

 

 

Création d’un observatoire territorial du logement étudiant à l’échelle de la métropole clermontoise

Mieux analyser les usages et besoins des étudiants en matière de logement pour améliorer leurs conditions de vie  

Avec 43 000 étudiants inscrits dans ses établissements d’enseignement supérieur à la rentrée 2023-2024, Clermont Auvergne Métropole est incontestablement une ville universitaire qui compte dans le panorama français. Pourtant à chaque rentrée, des étudiants se trouvent en difficulté pour se loger : logements trop chers, en mauvais état, éloignés des lieux d’études, voire absence de logement, autant de situations inacceptables qui renvoient une mauvaise image du territoire, fragilisent les étudiants dans leurs parcours et font passer au second plan tous les efforts et investissements réalisés pour développer l’offre universitaire locale. Conscients de ces difficultés, mais également interrogatifs sur des perspectives démographiques à la baisse qui se répercuteront sur les effectifs étudiants, Clermont Auvergne Métropole (CAM), le CROUS Clermont Auvergne et l’Université Clermont Auvergne (UCA) ont décidé de s’unir et de confier à l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central (AUCM) la création et l’animation d’un Observatoire Territorial du Logement Etudiant (OTLE). 

Un observatoire du logement étudiant : pour quoi faire ?

L’obtention du baccalauréat et l’entrée en études supérieures restent une étape importante, un « rite de passage » vers l’âge adulte et la promesse d’une entrée facilitée dans la vie professionnelle. Pourtant, le manque de ressources financières, des difficultés pour payer son loyer, la nécessité d’occuper un emploi étudiant en parallèle des études, un logement peu confortable, mal isolé, sont autant de situations fréquemment vécues par les étudiants, qui peuvent à terme impacter leur réussite scolaire, rendre difficile la poursuite d’études ou les empêcher de quitter le domicile parental.  

Pour objectiver ces difficultés, mieux cerner les besoins des étudiants et permettre aux acteurs de l’habitat, de l’enseignement supérieur et à Clermont Auvergne Métropole de proposer une offre de logement adaptée à ce public, l’OTLE clermontois propose de structurer et exploiter un socle de connaissance sur les étudiants au regard de leurs modes d’habitats, et de recenser au plus près de la réalité, l’offre de logements à leur disposition. Pour compléter ces analyses, les partenaires fondateurs de l’OTLE clermontois souhaitent travailler avec les étudiants et notamment les interroger sur leurs attentes vis-à-vis de leur logement. 

Espace de dialogue entre les acteurs du logement, de l’enseignement supérieur, les élus et les techniciens, espace de mutualisation de la connaissance sur la question du logement étudiant, l’observatoire territorial du logement étudiant clermontois constitue un nouvel outil d’aide à la décision pour la mise en œuvre d’une politique de l’habitat en faveur des étudiants à inscrire en complément des politiques et schémas directeurs de Clermont Auvergne Métropole (PLH 2023 –2028), de l’Université Clermont Auvergne (Schéma directeur de la vie étudiante 2022-2026) et du CROUS Clermont Auvergne (Schéma directeur de l’hébergement 2022-2026).  

Le portage par l’AUCM l’inscrit par ailleurs dans le réseau des observatoires locaux consacrés au logement, notamment l’Observatoire Métropolitain de l’Habitat (OMH) dédié au suivi du PLH et de la politique d’attributions en logements sociaux de la Métropole, et l’Observatoire local des loyers (OLL) dédié à la mesure de loyers dans les logements du parc privé du Grand Clermont 

La participation à un réseau d’échanges et de capitalisation nationale

Créé en 2018, à l’initiative du réseau des associations de collectivités pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche[1] et de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) en partenariat avec la Caisse des Dépôts, le réseau national des observatoires territoriaux du logement étudiant regroupait, en 2024, 31 OTLE labelisés. En 2025, sept nouveaux territoires viennent s’y ajouter, dont l’observatoire clermontois lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt lancé fin 2024 par la FNAU (Fédération nationale des agences d’urbanisme) et l’AVUF (Association des villes universitaires de France), qui animent le réseau des OTLE.  

Être labélisé OTLE, permet à l’observatoire clermontois de bénéficier de méthodes et retours d’expériences des observatoires existants, d’être identifié à l’échelle nationale, de valoriser à cette échelle les travaux produits et de se comparer avec d’autres territoires, grâce à un socle d’indicateurs communes au réseau. Cette comparaison pourra également se faire à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes, 3 OTLE existants déjà sur les territoires stéphanois, lyonnais et grenoblois. 

En parallèle de ce cadre national commun, chaque OTLE peut mettre en place des indicateurs spécifiques, mener des études ou des enquêtes sur des sujets plus ciblés tels que les attentes des étudiants ou la tension du marché. D’autre part, la création d’un OTLE à l’échelle de Clermont Auvergne Métropole, s’inscrit également dans une dynamique régionale d’observation de l’habitat déjà initiée depuis plusieurs années dans le cadre de l’instance régionale sur le logement étudiant organisée une fois par an par la DREAL AuRA et pour laquelle les OTLE de la Région sont mobilisés pour présenter leurs résultats de manière croisée. La création de l’OTLE clermontois vient ainsi compléter cette vision régionale de la situation de logements des étudiants. 

En 2025, le déploiement de l’observatoire débutera par la constitution d’un socle de connaissance des étudiants et des solutions de logements à leur disposition, reposant notamment sur la collecte de données auprès des partenaires de l’observatoire et un recensement de l’offre de logements dédiés aux étudiants, s’appuyant sur une enquête auprès des gestionnaires de résidences. Les premiers résultats seront disponibles pour la fin d’année 2025. Dans les années à venir, l’OTLE clermontois réalisera également une enquête auprès des étudiants afin de mieux cerner leurs attentes vis-à-vis de leur logement et traitera un sujet thématique choisi par ses partenaires. Les partenariats de l’observatoire pourront au besoin et selon la volonté des acteurs de l’habitat et de l’enseignement supérieur être élargis au fil du temps. 

WEBINAIRE : Penser la résilience socio-économique d’un système métropolitain – 4 juin – 17h

Face aux crises planétaires qui fragilisent nos systèmes urbains et métropolitains, comment concevoir des politiques publiques capables d’accroitre et de renforcer la capacité de résilience socio-économique de territoires comme Clermont Auvergne Métropole ?

Mercredi 4 juin 2025 de 17h à 18h, Magali Talandier, professeure en urbanisme à l’Université Grenoble-Alpes et présidente du conseil scientifique « Climat et Transition » de la Métropole et de l’Agence d’urbanisme de Grenoble, nous présentera ses travaux qui croisent à la fois une approche théorique (production d’un cadre conceptuel des systèmes économiques urbains), méthodologique (étude couplée des flux spatiaux) et opérationnelle (leviers d’action pour accroître la résilience des villes), des pistes de réflexions susceptibles de répondre localement à ce défi.

Une conversation animée par Stephane Cordobes, Directeur Général de l’AUCM

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Repenser l’usage du foncier dans les zones d’activités économiques

Adoptée en septembre 2024, la feuille de route économique stratégique 2024-2030 de la métropole clermontoise s’attache, dès le premier axe de son plan d’actions, à agir « pour un foncier économique durable ». Cette feuille de route de la Direction Accompagnement des Entreprises (DAE) vise à mettre en cohérence la politique de développement économique avec les objectifs de transition écologique et de résilience du territoire. Or le renforcement des capacités d’actions du tissu économique, la redirection de l’activité économique vers des modèles d’économie régénérative ou encore le positionnement de l’économie territoriale au service du vivre-ensemble ne peut advenir sans une connaissance fine du foncier économique afin d’être en capacité de décliner spatialement activités et ressources. Tenant compte de ce nouveau contexte, l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central (AUCM) a conçu un dispositif pour outiller la DAE d’un référentiel foncier utile à la réorientation de leur action. 

Les enjeux stratégiques du repérage et de la qualification du potentiel d’optimisation foncière dans les zones d’activités métropolitaines pour (re)trouver du foncier économique 

Les politiques de développement économique, voire de simple maintien du tissu économique existant, se trouvent confrontées en matière de foncier à de nombreuses concurrences conduisant directement à une raréfaction, et donc à un renchérissement, du foncier économique :  

  • La nécessité de faire des choix entre différents usages possibles du foncier encore disponible, pour répondre à la crise du logement ou aux enjeux de développement économique par exemple,  
  • Des difficultés d’acceptabilité de certains projets, pourtant indispensables au bon fonctionnement de l’écosystème économique local, comme par exemple les projets logistiques permettant d’assurer l’approvisionnement des entreprises et l’acheminement de leurs produits, 
  • L’éviction des entreprises en périphérie du tissu urbain mais désormais également d’espaces historiquement dédiés au développement économique, au profit du déploiement de l’habitat et des équipements, 
  • Des mécanismes de marché orientant le foncier encore disponible vers des projets plus rentables et moins risqués que les activités productives, notamment du logement et du commerce [1], 
  • La faible intégration des activités économiques, en dehors du commerce, dans le tissu urbain, en particulier pour des activités productives pourtant compatibles,  
  • Un foncier économique généralement peu investi par l’aménagement et l’urbanisme[2], considéré comme des espaces « hors des villes » alors que véritables espaces de vie quotidienne pour près de la moitié des salariés français[3]. 

A ces enjeux de fabrique urbaine s’ajoutent les ambitions nationales de réindustrialisation, de renforcement de la souveraineté et de l’autonomie stratégiques ainsi que de sobriété foncière. Les développeurs économiques doivent aujourd’hui composer avec les zones d’activités existantes et les autres sites d’accueil d’activités pour assurer le parcours résidentiel des entreprises du territoire tout en gardant la capacité d’accueillir des nouveaux projets susceptibles de renforcer le fonctionnement économique du territoire.  

Dans ce contexte, il importe de qualifier finement l’occupation des zones d’activités économiques, d’identifier leur potentiel d’optimisation et de mutation foncière et de définir les secteurs économiques stratégiques, trois conditions préalables à l’élaboration d’un schéma directeur du foncier économique et à l’expérimentation de nouveaux modes de gestion du foncier. L’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a été sollicitée par la métropole clermontoise pour révéler, cartographier et caractériser les « gisements » fonciers. Elle a ainsi mis en pratique une méthodologie permettant de consolider la connaissance des capacités d’intensification sur les zones d’activités économiques, mais également de renouveler la perception du foncier économique, souvent limité aux seules disponibilités foncières, ou “reste à commercialiser”, de la collectivité.  

Comment identifier le foncier sous-utilisé au sein des zones d’activités ? Comment évaluer le poids de la réserve foncière d’entreprises anticipant leur développement futur ou le renchérissement du foncier dans une logique spéculative ? Comment anticiper les possibilités d’évolution de l’occupation des parcelles pour ne pas passer à côté de fonciers stratégiques pour le développement économique du territoire ? Comment mieux appréhender la mutabilité des terrains tout en évitant une densification anarchique des zones d’activités ? 

UNE MÉTHODE PROPOSÉE PAR l’AUCM basée sur Une appréhension des gisements fonciers volontairement extensive 

Afin de prendre en considération les espaces vides indépendamment de leur commercialisation et du découpage foncier, le repérage du potentiel d’optimisation foncière dans les zones d’activités a porté sur l’ensemble des espaces vides de bâtiment et des espaces faiblement bâtis. Elle prend donc en considération à la fois les unités foncières non bâties, qu’il s’agisse de foncier commercialisable par la collectivité, de réserve foncière d’entreprise ou encore d’espace agricole, mais aussi les unités foncières à faible emprise bâtie, soit par la présence de stationnements, de zones de stockage, d’espaces de circulation (voirie interne, aire de livraison ou de retournement), de valorisation paysagère ou simplement de délaissés sans usage. Sont donc comptabilisés dans les gisements, des espaces sur lesquels un usage peut être observé mais qui seraient mobilisables dans des dynamiques d’optimisation foncières, qu’il s’agisse d’utiliser les espaces vides ou sous-utilisés pour accueillir de nouvelles activités économiques, réorganiser les usages ou permettre le développement des activités déjà implantées.  

Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour réorganiser les usages 

Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour la construction de nouveaux locaux d’activités 

Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour le développement des activités déjà implantées 

Sources : orthophotographie CRAIG 2022, Cadastre DGFIP 2023 – Traitement : AUCM 

La première étape de la méthode consiste à pré-identifier, à partir du cadastre et de manière automatique mais théorique, les dents creuses, soit les parcelles cadastrales contigües et non bâties situées en zones urbanisées, mais aussi les espaces faiblement optimisés présentant donc un potentiel de densification. Elle dépasse ainsi l’approche souvent retenue par les collectivités de ne considérer que les terrains qui leur restent à commercialiser. La maille retenue est celle des unités foncières (UF), qui désigne un « îlot d’un seul tenant composé d’une ou plusieurs parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision ». Ce choix permet de conserver une logique relative à l’aménagement de la zone d’activités, le découpage des parcelles étant liée à l’histoire des divisions des terrains, indépendamment des projets. 

La méthode de repérage des gisements fonciers économiques diffère de celle appliquée sur les espaces résidentiels. Ainsi, dans les espaces économiques, il importe par exemple de considérer le bâti léger, pouvant correspondre à des locaux indissociables de l’activité économique. Les seuils à fixer pour ne retenir que des gisements fonciers pertinents sont également à adapter. Au regard des retours d’expériences d’autres territoires et des résultats de tests pratiqués par l’AUCM, les seuils suivants ont été retenus pour l’ensemble de la métropole : 

  • Les bâtis individuels de moins de 20 m2, correspondant à des locaux techniques, ne sont pas pris en compte, 
  • Les gisements de moins de 500 m2 sont écartés, 
  • Les gisements fonciers situés sur des unités foncières bâties à plus de 50 % sont écartés, 
  • Une zone tampon de 10 m est appliquée autour des bâtiments, 
  • Le réseau viaire, pouvant traverser des unités foncières, est supprimé par l’application d’un seuil de recouvrement de 25 %, 
  • Les gisements fonciers non contigus de type « bandes » sont écartés par l’application d’un filtre morphologique. 

Dans un deuxième temps, le stock théorique est affiné par croisement avec des bases de données thématiques et / ou locales : 

  • Le registre parcellaire graphique (RPG) pour identifier les parcelles agricoles exploitées, 
  • Le plan de prévention des risques inondations (PPRI) pour écarter les gisements concernés par un aléa fort dans lesquels s’applique un principe d’interdiction de construction. A noter que ces gisements pourront néanmoins être pris en compte pour d’autres usages, comme la limitation des phénomènes d’ilot de chaleur urbain, 
  • Le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) pour écarter les gisements concernés par des contraintes et des prescriptions (ex : marge de recul), mais également par des projets identifiés dans les emplacements réservés et les orientations d’aménagement et de programmation (OAP). Les gisements impactés par de futurs projets de voiries et la constitution de parcs ont ainsi été écartés. 

A l’issue de ces deux premières étapes automatiques, un stock potentiel de gisements fonciers économiques dans les zones urbanisées de la métropole est identifié. Ces gisements répondent à des critères de taille, d’emprise bâtie, de contraintes urbanistiques ou liées à des risques naturels permettant d’envisager « en théorie » une optimisation de l’usage actuel de ce foncier.  

Photo-interprétation et retour d’expertise des développeurs économiques pour préciser les gisements dans les zones d’activités métropolitaines 

Des connaissances plus précises sont mobilisées pour actualiser le stock de gisements et en retirer les « coups partis » : 

  • les plans de commercialisation pour écarter les gisements faisant l’objet d’une promesse ou d’un acte de vente. Ces gisements sont considérés comme des coups partis, 
  • le système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene) géolocalisé pour identifier les gisements sur lesquels serait déjà implanté un établissement. Ces gisements sont considérés comme des coups partis. 

Les traitements géomatiques précédemment réalisés permettent de préqualifier les gisements fonciers en trois catégories : les dents creuses (espaces non bâtis), les espaces à faible emprise bâtie et les espaces agricoles. Cette qualification est affinée par photo-interprétation en identifiant, principalement pour les gisements situés sur des espaces à faible emprise bâtie, s’il s’agit : 

  • d’un espace délaissé sans usage immédiatement observé, pouvant correspondre à de la réserve foncière d’entreprise ou à de la surface herbacée de pelouse sans valeur ni continuité écologique, 
  • d’un espace sur lequel un usage est constaté à la photo-interprétation mais qui, en raison de sa taille, pourrait éventuellement être optimisé. Il peut s’agir de parking, d’espace de stockage ou encore d’aires de livraison ou de retournement de camions. 

Sources : Agence d’urbanisme de Brest-Bretagne, Agence d’urbanisme de la région nantaise, repris et complété par l’AUCM 

La photo-interprétation a également permis d’affiner le volume de gisements en retirant les bassins d’orage.  Deux séances de travail ont été organisées avec les développeurs économiques de la Métropole afin de confirmer la justesse des résultats géomatiques obtenus au regard de leur connaissance des sites. Cette méthode permet d’aboutir à l’identification de profil d’optimisation foncière pour les zones d’activités métropolitaines qui, outre l’alimentation d’un volet économique souvent délaissé des observatoires fonciers, constitue un préalable à l’élaboration d’un schéma directeur du foncier économique.   

Conclusion

Ce projet souligne l’intérêt des observatoires locaux pour appréhender, au-delà des obligations légales de l’établissement d’un inventaire des zones d’activités imposées par la loi Climat et Résilience, l’objet complexe du foncier économique. Il nécessite de prendre en compte des spécificités propres aux dynamiques économiques, et donc d’adapter les méthodes d’analyse du potentiel de densification pouvant s’appliquer aux espaces bâtis de façon générale. L’analyse des gisements fonciers dans les zones d’activités ouvrent plusieurs perspectives de mobilisation : l’intensification des usages, la réorganisation des usages ou encore la mutualisation des usages, qu’il s’agisse de stationnement, de stockage ou d’équipements (salles de réunion, espaces de restauration…) mais également l’externalisation et le redéploiement de certains usages en dehors des parcelles dévolues aux entreprises, voire en dehors de la zone d’activités ainsi que le renouvellement de l’existant par démolition/reconstruction.  Ces premiers résultats, qui seront complétés par l’analyse de la dureté foncière, méritent de s’inscrire dans une réflexion plus globale sur la stratégie d’accueil et de développement économique, dépassant les seules zones d’activités économiques, sur les modes de gestion du foncier économique public comme privé ainsi que sur les règles d’urbanisme relatives aux espaces économiques pour favoriser, tout en respectant les dynamiques propres aux acteurs économiques, l’optimisation du foncier. Ils nécessitent plus globalement de reposer le modèle du foncier économique afin de sortir du triptyque mixité urbaine avec de l’habitat, du commerce et des équipements, report en périphérie, extension des zones d’activités en se tournant davantage vers la diversification des fonctions économiques et la complémentarité des activités économiques, la sanctuarisation d’espaces dédiés à l’activité, notamment productive, et la bascule d’une logique d’aménagement à une logique de management des sites d’activités.  

Les agences d’urbanisme peuvent-elles continuer à s’ignorer comme acteurs culturels ?

Un article de Stéphane Cordobes, rédigé à partir de son intervention publique du 2 avril 2025 lors de la Rencontre POPSU Métropoles et POPSU Transitions à Clermont-Ferrand. La séquence intitulée « Quelles cultures pour s’adapter au changement global et recomposer nos territoires de vie ? » était animée par Laurent Lelli, directeur de la plateforme clermontoise de POPSU Transitions.

D’une question incongrue au dépassement d’un malentendu

« Une agence d’urbanisme peut-elle se prendre pour un acteur culturel ? » La question, posée lors d’une rencontre publique réunissant principalement des professionnels du secteur culturel, peut surprendre. Elle trahit un étonnement, voire une gêne : que ferait donc un urbaniste — perçu avant tout comme technicien ou planificateur, un agent de la ville et du territoire — dans une sphère peuplée d’artistes, de programmateurs ou de médiateurs ? Pour y répondre, il faut d’abord dépasser un double malentendu.

D’un côté, les professionnels de l’urbanisme ont souvent du mal à décrire et légitimer leur pratique autrement qu’à travers leur expertise technique — normative, réglementaire, fonctionnelle. Ils peinent à reconnaître que ce qu’ils produisent touche aussi à l’imaginaire, au sensible, à la manière dont les gens habitent tout simplement le monde. De l’autre, les acteurs culturels, en acceptant une définition de la culture centrée sur les arts et la création « libre et désintéressée », peinent à reconnaître comme « pairs » ceux qui façonnent, dans un cadre utilitaire assumé, les espaces habités — autrement dit, ceux qui agissent sur les espaces et les modes de vie, les relations de tout ce qui les compose. Ce malentendu mérite d’être pris au sérieux — non pour dénoncer ou défendre des places et des statuts légitimes, mais pour interroger ensemble cette ignorance réciproque des “faire territoire” et “faire culture” qui, bien qu’installés, semblent aujourd’hui dépassés.

Ce que fait une agence d’urbanisme

Revenons à l’agence d’urbanisme. On ne saurait la réduire à un simple bureau d’études techniques, produisant des plans ou des rapports. Ancrée dans un territoire, elle coproduit avec des collectivités, chercheurs, associations et habitants, autrement dit une communauté située d’acteurs, une pluralité de savoirs : des chiffres et données, bien sûr, mais aussi des récits, des représentations, des imaginaires instituants, des intentions partagées, des expériences d’édification collective. Elle intervient sur les façons d’habiter un lieu, sur les modes de cohabitation, sur les formes de vie ; autrement dit, elle contribue à façonner un ensemble de rapports au monde, caractéristiques d’un territoire et de sa culture.

Elle n’est donc pas extérieure à la culture : au contraire, elle contribue à fabriquer les conditions politiques, pratiques, sensibles et symboliques de la vie en commun. Si l’on s’appuie sur la définition large de la culture proposée par l’UNESCO — un ensemble de traits spirituels, matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent un groupe social — il devient évident qu’une agence d’urbanisme est un acteur culturel à part entière. Elle n’a pas pour objet principal la production artistique — encore que les dimensions architecturales et paysagères de la fabrique urbaine avec laquelle elle compose obligeraient à en discuter — mais elle agit sur un autre plan, tout aussi culturel : par emprunt à Jacques Rancière, celui du partage du sensible propre à chaque territoire. En rendant possible, collectivement, l’édification de mondes habitables, elle induit une action culturelle qui dépasse l’expertise technique : de fait, elle mobilise à la fois des dimensions sensibles, imaginatives, symboliques, pratiques, politiques et techniques.

Une fonction culturelle invisibilisée

Cette « évidence » est pourtant difficile à voir et à admettre, car la culture elle-même s’est enfermée dans un cadre qui la dépolitise, la spécialise et l’isole. Le régime culturel moderne et le projet politique qui l’accueille ont forgé une vision du monde fondée sur sa réification, sa segmentation et sa marchandisation. Dans cette perspective, la culture ne désigne plus des rapports au monde — ou plus justement, des régimes culturels situés qui se traduisent en agencements spécifiques de rapports au monde — mais devient un levier de développement économique, un outil d’attractivité territoriale, un service récréatif et éducatif, une fiction identitaire rassurante, parfois un outil d’émancipation individuelle, souvent un champ d’activité replié sur lui-même, centré sur sa propre finalité : l’art pour l’art, la culture pour la culture.

Ainsi conçue, la culture s’inscrit dans un cadre qui érige la création en œuvres, donc en choses, spécialise l’activité dans un champ autonome avec ses objets, ses experts, ses lieux, ses publics, et valorise sa production dans une logique de marché. On est alors bien loin du geste culturel premier et commun d’habitation du monde.

Dans ce système, ce que produit une agence d’urbanisme — des savoirs, des agencements de milieux, des partages du sensible, des imaginaires instituants, des pratiques habitantes, etc. — n’est pas identifié comme « culturel », car cela échappe au régime culturel légitime. Elle est perçue comme un rouage technique d’un autre domaine d’activités moderne, l’aménagement et l’urbanisme, et non comme une force d’expérimentation ou d’invention de nouveaux rapports au monde. Il est sans doute temps de rouvrir ce cadre et de l’interroger sérieusement.

Le tournant anthropocène et l’invitation à reculturaliser le monde

Pourquoi ? Parce que l’Anthropocène, entendu comme une ère marquée par les effets délétères du projet d’exploitation moderne de la planète sur nos capacités de vie, bouleverse notre présence au monde. Il fait éclater les séparations entre nature et culture, science et politique, production et création. Il nous oblige à repenser en profondeur nos manières de faire territoire et nos modes d’habitation de la Terre. Et cette tâche est d’abord culturelle.

Ce que nous appelons « transition écologique » apparaît dans cette perspective moins comme un enjeu technologique que comme un dilemme fondamentalement culturel, qui plus est, à fort potentiel conflictuel : un affrontement entre récits du monde, entre formes de vie, entre manières de faire société. Il met d’ailleurs déjà en tension ceux qui veulent poursuivre le projet moderne déconnecté des limites planétaires, et ceux qui cherchent à inventer d’autres façons de vivre et d’habiter. La culture ne peut rester à l’écart de ce conflit ; redéfinie ainsi, elle se trouve au cœur du politique — en tant que fabrique de sens, de valeurs, de représentations, de collectifs, de rapports au monde.

Vers une politique culturelle anthropocène

Imaginons comme admises ces hypothèses. Que pourrait être une politique culturelle à la hauteur de ce défi ? Certainement pas une politique de la prescription ou de l’enchantement forcé. L’attente du « grand récit positif de la transition » relève du mythe : non seulement il masque les obstacles matériels réels aux transformations à engager — notamment la redistribution des richesses et des investissements qu’elles impliquent — mais il tend aussi vers ce qui relève de la propagande. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas un récit qui s’imposerait à tous rendant acceptable ce qui, sans changer de point de vue, d’attachements et de partages, ne le sera pas. Ce n’est pas davantage une idéologie totalitaire masquée sous les atours séduisants d’un storytelling artistique.

Non, ce qui semble nécessaire pour faire face à la situation et convoquer la force agissante de la culture, c’est un espace favorable à l’émergence de multiples récits, de micro-devenirs originaux, de scènes de création et d’expérimentation de nouveaux rapports au monde, à la fois émancipateurs et communs, de nouvelles fabriques habitantes.

On peut convoquer ici Hannah Arendt et sa conception de la politique : non pas la prise du pouvoir, son exercice ou la gestion des affaires publiques, mais l’assurance d’un espace commun de visibilité et de parole, de diversité et de liberté — un espace de co-présence et de création collective et individuelle, où s’inventent et se mettent en œuvre les conditions communes d’habitations possibles du monde. Une politique culturelle de l’Anthropocène pourrait être cela : l’installation pérenne d’un espace commun où s’élaborent, se discutent, s’expérimentent, se vivent de nouveaux rapports au monde, se créent de nouveaux agencements territoriaux. Une politique favorable au renouvellement de formes situées d’habitation partagées et sensibles. Une politique qui ne chercherait pas à imposer l’acceptation des transitions, mais à offrir les conditions culturelles favorables au jaillissement d’autres « habiter » possibles, faisant tenir ensemble de manières plus justes et viables humains et non-humains compris.

Pour des agences culturelles d’urbanisme

Reconnaître l’agence d’urbanisme comme un acteur culturel, ce n’est donc pas élargir à la marge le périmètre de la culture. C’est réinterroger ce qu’elle est, dans un moment où la condition terrestre nous oblige à réarticuler sensibilités, imaginaires, savoirs et actions. C’est ouvrir la possibilité d’une politique culturelle qui ne se contente plus de gérer la création ou de patrimonialiser le passé, mais qui contribue activement à la fabrique de nos futurs mondes communs.

Ne nous y trompons pas. Ce propos n’est pas un plaidoyer pour l’urbanisme culturel qui tend à se propager. Sa pratique la plus courante ne dispose en effet ni des ressources ni de l’ambition transformatrice et située ici convoquée. Dans bien des cas, elle offre aux artistes une diversification salutaire à l’heure où vivre de son art devient difficile. Trop souvent, elle relève d’un mécénat opportun, d’une mise en scène facile et accessoire susceptible d’acheter à bon compte une image sociale ou environnementale louable. Pire encore, elle peut afficher des marques de grandeur et de puissance. La politique culturelle dont il est ici question ne relève pas de cette logique de gala, de subsistance ou de pouvoir : c’est une invitation à penser ensemble les politiques culturelles comme politiques de cohabitation — c’est-à-dire de ce lien vivant, fragile et fondamental que nous entretenons avec ceux qui composent nos milieux. Une invitation à reconnaître que, face aux défis de l’Anthropocène, « faire culture » comme « faire territoire », c’est fondamentalement apprendre à renouer des liens et à cohabiter dans un monde qu’il est urgent de reconsidérer et de prendre soin.