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Le programme de travail 2024-2025 est celui d’une agence transformée et transformatrice

Dans un contexte contraint de changement global qui nécessite de revoir sensiblement les pratiques et modes de fabrique urbaine, l’Agence a souhaité interroger ses adhérents et partenaires pour comprendre et identifier leurs besoins en accompagnement et mutualisation. S’appuyant sur ces réflexions, l’AUCM s’est ainsi transformée et renouvelée à l’issue de son projet stratégique défini en 2023. Son programme de travail illustre parfaitement les changements opérés en profondeur. Il suffit de considérer les nouvelles lignes d’études confiées à l’Agence en 2024 pour mesurer le chemin parcouru. On notera, entre autres, la place accordée aux accompagnements prospectifs, stratégiques et opérationnels des transitions, aux travaux de recherche-action qui s’inscrivent dans des programmes nationaux et l’engagement à l’échelle du Massif central pour commencer à construire une culture commune urbaine/rurale de l’adaptation à l’échelle biorégionale.

L’AUCM se positionne, également, comme un outil transformateur et accélérateur au service des transitions.

Dans le cadre de son programme 2024-2025, l’Agence est appelée à questionner les processus d’aménagement de l’espace, à tester et expérimenter des procédés alternatifs situés dans le cadre d’opérations de revitalisation, de rénovation ou encore de mutations urbaines, à bousculer et éclairer de nouveaux récits collectifs, à fluidifier les coalitions urbain-rural entre acteurs pour mieux répondre aux besoins à long terme des territoires.

Sept axes, participant d’une montée en compétences et en cultures communes de transformation des territoires, ont été retenus pour décliner le programme 2024-2025. Il s’agit ainsi de :

  • Accompagner l’élaboration de projets de territoires en transitions, pour co-construire des futurs adaptés aux différents territoires et différentes échelles (intercommunale, bassin de vie du SCoT du Grand Clermont, biorégion du Massif central) ;
  • Forger une culture territoriale commune d’adaptation au changement global, pour s’approprier individuellement les enjeux de transitions et répondre collectivement aux défis de transformation auxquels les territoires doivent faire face ;
  • Outiller les politiques de sobriété foncière, pour inventer, depuis l’approche de l’observation jusqu’aux démonstrateurs pré-opérationnels, de nouveaux modèles de développement urbain désirables et intensifs qui ménagent la qualité des sols, leur recyclage et les services écosystémiques qu’ils rendent. ;
  • Améliorer l’habitat et la vie urbaine de proximité, pour renforcer l’habitabilité et l’hospitalité de nos territoires de vie  ;
  • Prendre soin des publics et des espaces vulnérables, pour repenser nos politiques publiques au prisme du soin à apporter à tous les publics et tous les espaces du vivre ensemble ;
  • Soutenir les modèles de développement résilient, pour donner plus de robustesse et de capacités régénératrices à nos économies face à la réalité du nouveau climat ;
  • Favoriser l’accès à des mobilités à faible impact environnemental, pour transformer en profondeur nos pratiques de mobilités bas carbone de courte et longue distance.

Pour déployer ce programme, qui vise à apporter une approche à la fois inspirante et opérationnelle de l’urbanisme durable, l’Agence mobilise des compétences pluridisciplinaires dans ses cinq domaines d’expertise : accompagnement de projets de transitions urbaines et territoriales de l’îlot au grand territoire, observation des évolutions structurelles des territoires et évaluation des politiques publiques, ingénierie de la data et des systèmes d’information pour éclairer de façon synthétique des dynamiques territoriales de plus en plus complexes, partage des savoirs dans un objectif de capitalisation et de valorisation de ses travaux, et enfin recherche et prospective sur les grands enjeux qui engagent l’avenir des territoires.

Ce programme ouvre un champ des possibles pour les membres adhérents de l’AUCM qui souhaitent entrer dans les transitions. Il a, à ce titre, également vocation à être une source d’inspiration pour d’autres acteurs qui souhaiteraient adhérer à l’Agence et rejoindre ce programme de travail.

Michelin renouvelle son rapport au territoire clermontois

Autour du site industriel historique de Cataroux Michelin, l’exploration « Projets industriels en quête de transition écologique : investir ses héritages culturels pour mieux produire demain » proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme, avait pour objectif d’aider à comprendre comment prendre appui sur les territoires et leurs acteurs pour concilier réindustrialisation et sobriété.

En matière de développement économique, comment se traduit la recomposition culturelle des territoires ? Au-delà de la modernisation des outils de production, la décarbonation de l’industrie demande de transformer « le grand récit » de l’attractivité territoriale pour adopter une véritable logique de mutation et de transmission trouvant ses sources dans ses héritages industriels.

Traiter ce sujet complexe à l’aune de la réindustrialisation nationale soulève d’autres questions : quelle relation des entreprises industrielles avec leur territoire ? Au sein des bassins d’emploi, quelle anticipation et adaptation des métiers de l’industrie et des compétences ? Comment les cultures industrielles sont-elles susceptibles d’évoluer, pour s’engager dans la transition écologique et réenchanter le développement local ? Pour y répondre, le choix a été fait de s’appuyer sur l’exemple local du groupe Michelin. Plusieurs raisons l’ont motivé : sa figure d’acteur emblématique de Clermont-Ferrand, son inscription et son engagement dans le territoire sur le temps long, ses profondes mutations impulsées par la mondialisation, mais aussi par la transition écologique. Afin d’appréhender la recomposition culturelle et locale de l’industrie dans ses différentes composantes tout en gardant à l’esprit les enjeux globaux qui s’imposent à elle, l’exploration a gravité autour de sites historiques de l’entreprise : siège social des Carmes, cité ouvrière, ancienne coopérative pour les salariés ou centre de formation aux métiers de l’industrie. Ce parcours a permis un recueil de points de vue diversifiés (cadres de l’entreprise, responsable syndical, ethnologue) et de mieux comprendre les mutations spatiales, économiques, sociales et culturelles qui ont jalonné à la fois l’histoire de l’entreprise et celle du territoire.

Entre ancrage local et mondialisation

Comme le souligne La Fabrique de l’industrie, la réindustrialisation des territoires s’appuie sur plusieurs ingrédients clés : coopération entre acteurs, compétences, accès au foncier, financement, qualité de vie ou innovation. La dimension culturelle joue également un rôle majeur, en particulier en matière d’image de l’industrie, d’attrait pour les emplois et les formations ainsi que d’acceptabilité des projets par la population. Pour autant, si l’industrie s’inscrit dans un territoire d’accueil, elle reste fortement intégrée dans les chaînes de valeur des marchés mondialisés. Michelin illustre parfaitement cette double insertion et cette tension entre « local » et « mondial ». L’entreprise est, à la fois et de longue date, intimement liée à Clermont-Ferrand tout en s’inscrivant dans la mondialisation.

Dès le début du XXe siècle, elle ouvre des agences et usines en Europe et s’appuie sur des plantations d’hévéas en Asie. De 1960 à 1975, elle crée 32 usines dans le monde. Aujourd’hui, présente commercialement dans 175 pays, elle compte 121 sites de production dans 26 pays. Michelin est l’une des seules entreprises du CAC 40 dont le siège social se situe hors de Paris. À l’instar des villes industrielles du Nord ou de l’Est, son développement a fortement marqué le territoire clermontois, tant dans l’espace, avec la construction par l’entreprise de 18 quartiers et 8 000 logements, que dans la vie quotidienne et la culture locale, avec une forte implication dans les associations sportives, culturelles, magasins, crèches ou équipements de santé.

Mutations structurelles et changement culturel

Sous l’effet des transformations du capitalisme, le modèle Michelin mute fortement à partir des années 1980. Le site de Clermont connaît des turbulences avec une forte perte d’effectifs (de 30000 salariés, en 1983, à 10000, aujourd’hui). La production autour de Clermont-Ferrand se maintient exclusivement dans le haut de gamme et la compétition, mais se spécialise davantage sur la recherche/innovation. Les cadres sont aujourd’hui largement majoritaires (7000 des 10000 emplois). Des start-up sont créées ou soutenues pour développer l’innovation. L’entreprise poursuit sa diversification pour « sortir progressivement du pneu » avec l’objectif de réaliser 30 % du chiffre d’affaires hors pneu en 2030. Ce produit s’avère difficilement recyclable en raison des procédés de vulcanisation agglomérant les ingrédients qui le composent. La transition écologique constitue un impératif pour l’entreprise, avec des développements vers la propulsion vélique (aile gonflable Wisamo), les nouveaux matériaux ou encore l’hydrogène. Michelin porte pour 2050 le projet d’usine zéro émission. La culture de l’entreprise se modifie. La défiance à l’égard des syndicats décline pour se transformer en un dialogue social, qui s’illustre notamment lors de la négociation des accords pour les RTT. Les logements sont progressivement vendus et la culture du secret s’atténue. Les nouvelles valeurs de l’entreprise, qui remplacent celles du passé, pourraient s’incarner dans les mots « innovation », « respect », « vitesse » ou « adaptabilité », mais également dans l’allusion de l’un des intervenants à la triple bottom line « People, Planet, Profit », avec toutefois, à ses yeux, une prédominance du 3e « P ».

Malgré l’évolution de « l’esprit Michelin » et du système social historique, les services apportés aux salariés restent significatifs (salle de sport, conciergeries, comité d’entreprise, brasserie, crèches…). Ces services et la qualité de vie contribuant à l’attractivité des postes et à la fidélisation des salariés. Un nouveau rapport au territoire s’opère aujourd’hui par la mutation du foncier industriel en coeur de ville. Ainsi, le projet Cataroux (42 ha et 300 millions d’euros d’investissement) porté par Michelin témoigne d’un rapport renouvelé au territoire, destiné « à rendre à Clermont ce que Clermont a apporté à Michelin » et à « aider le territoire à trouver une nouvelle identité ». Il comprend un Pôle d’innovation collaboratif destiné à accueillir un écosystème de start-up ; un centre des matériaux durables ; un pôle plus touristique autour du Quartier des Pistes, futur espace de « l’Aventure Michelin 2 », mais aussi d’une Cité du mouvement et de projets immersifs, ainsi qu’un pôle de formation autour du Hall 32 et de la Manufacture des talents pour accompagner la transition aux métiers de demain, en lien direct avec les besoins des entreprises sur le principe de « circuit court des compétences ». Tourisme, santé, formation, innovation : ces axes structurants de ce projet contribuent à l’attractivité du territoire, mais peuvent sembler éloignés de la production manufacturière au sens strict, qui se poursuit en partie hors du territoire national.

Les parties prenantes de l’exploration ont été marquées par le rapport entre Michelin et le territoire, que ce soit par l’ampleur de son emprise dans la ville que par la connexion au local – qui demeure, malgré l’ouverture sur le marché mondial – et l’ampleur des services apportés aux salariés du groupe, comparée à une sorte de responsabilité territoriale de l’entreprise. La qualité et la diversité du projet Cataroux attestent du dynamisme de Michelin dans le processus de reconversion de son site historique. Pour autant, il témoigne également de la désindustrialisation progressive du site clermontois. Certains s’inquiètent, par ailleurs, des risques de gentrification des territoires induits par les politiques de développement basées sur l’attractivité pour les cadres.

Quel avenir de l’industrie dans les territoires ?

À partir de l’exemple de Michelin et Clermont-Ferrand, les participants ont soulevé des questions sur la place de l’industrie demain dans les territoires. En paraphrasant le titre de l’ouvrage de La Fabrique de l’industrie [1] (avril 2023), peut-on encore aujourd’hui « faire de l’industrie un projet de territoire » ? Les situations sont plurielles et il ne peut y avoir de recette unique. Comme il est écrit dans l’ouvrage précité, « les ressources héritées de l’histoire peuvent constituer des opportunités pour un territoire, mais également l’enfermer dans une trajectoire de déclin ».

Dès lors, c’est aux acteurs locaux (collectivités, industriels, opérateurs économiques, société civile…) de se mobiliser pour renouveler ces ressources et activer des synergies latentes. Pour certains, la vocation industrielle ne constitue pas une solution d’avenir et c’est une « nouvelle identité du territoire » qui est recherchée. C’est le cas en partie à Clermont-Ferrand, mais aussi dans d’autres territoires, qui préfèrent se tourner vers la culture ou le tourisme, au risque de réduire l’industrie au patrimoine. Ce retour sur l’histoire et l’avenir territorial de Michelin apporte les fondements pour mieux produire demain et rendre l’industrie « désirable » : le virage vers la transition écologique, la culture de l’innovation et des compétences, l’attachement au territoire, les services de vie quotidienne pour les salariés et une culture de la sobriété issue de «l’ascétisme» pratiqué jadis.

Vers une nouvelle éditorialisation du territoire ?

L’exploration « De la culture dans la ville, à l’urbanisme culturel : les approches sensibles et artistiques au service des territoires en transitions », proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme, s’est articulée autour d’une réflexion sur la place et les apports des démarches d’urbanisme culturel dans un contexte de réorientation écologique.

Champ interdisciplinaire émergent au début des années 2000, l’urbanisme culturel est nommé comme tel par le Polau–pôle art & urbanisme, en 2018. S’appuyant sur des interventions artistiques et culturelles situées, cette démarche intervient en de nombreux endroits de la fabrique des territoires, en travaillant sur la scénographie, les usages, les ambiances, les relations sociales, les relations au vivant, les paysages ou la production symbolique. En bousculant les modes opératoires traditionnels, en considérant autrement l’existant, la parole citoyenne, en dévoilant attachements et récits alternatifs, les approches sensibles, au sens large, apparaissent aujourd’hui comme un outil privilégié pour traiter les enjeux contemporains de transitions.

Dans quelle mesure les démarches de recherche et de création artistiques peuvent-elles être vues comme des moyens de transformation des représentations et de la décision collective ? Quels potentiels pour les agences et leurs adhérents ? L’exploration, sous forme d’agora participante, visait à questionner plus précisément les apports de l’urbanisme culturel et des approches sensibles pour la réorientation écologique des territoires.

De l’art de faire se croiser les mondes

En quoi l’urbanisme peut-il avoir recours à d’autres intelligences que des intelligences techniques et financières ? Comment se poser la question de l’histoire à raconter, avant celle des normes, des réglementations ? À l’heure où certains acteurs de l’art et la culture se questionnent sur leur utilité sociale, l’urbanisme s’interroge sur sa capacité à produire des projets urbains alternatifs, portés collectivement… Maud Le Floc’h, directrice du Polau, souligne l’opportunité de cette crise existentielle, pour faire se rapprocher les mondes. Rapprochement qu’il convient de tisser avec patience, en « prenant le temps », afin d’éviter les liaisons parfois dangereuses entre arts, culture, urbanisme et territoires.

Les exemples sont nombreux, qui éclairent les vertus de démarches où les « forces artistiques » entrent en dialogue avec les processus de fabrique urbaine et territoriale : un élu/un artiste, expérience fondatrice imaginée en 2002 au Polau ; les Lieux infinis, d’Encore Heureux, lieux pionniers qui expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde ; Jour inondable, expédition artistique conçue par la Folie Kilomètre autour du risque inondation en bord de Loire… Maud Le Floc’h précise les apports spécifiques de la méthodologie artistique, qui compose avec le contexte, négocie avec les parties prenantes, intègre, active et souvent renverse les perspectives… Apparaît alors une nouvelle « éditorialisation » du territoire mêlant petits et grands récits, dans une logique « oblique », à la charnière de méthodes ascendantes et descendantes.

L’expérimentation Transfert [1], menée de 2018 à 2023, à Rezé (Loire-Atlantique), met en lumière les tensions qui peuvent émerger autour de projets à la croisée des mondes, l’importance de la gouvernance et la nécessité de « traductions » pour accompagner ces dynamiques hybrides et hors normes. Fanny Broyelle, membre de l’académie de l’urbanisme culturel hébergée au Polau et pilote du projet, évoque ainsi les malentendus qui ont émergé au gré du développement de cette ambitieuse aventure dédiée à la transition d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) de 15 hectares. Malgré l’abondance de financements, malgré l’adhésion des habitants à l’univers artistique, l’alchimie semble ne pas avoir opéré, entre aménageurs, urbanistes et élus à la culture. Faute d’un portage politique adapté, le projet de ZAC et le projet artistique ont ainsi temporairement cohabité, sans parvenir à se nourrir l’un l’autre.

Itinéraires bis

Au-delà de l’urbanisme culturel à proprement parler, l’hybridation des approches, à des degrés divers, semble une voie possible vers des projets urbains et territoriaux davantage ancrés et donc plus robustes en contexte de réorientation écologique.

À Saint-Omer (Pas-de-Calais), le portage du Pays d’art et d’histoire (PAH) par l’agence d’urbanisme, de développement et du patrimoine Pays de Saint-Omer (AUD) depuis 2013 – cas unique en France – crée une synergie qui facilite les approches transdisciplinaires. Cette mise en proximité confère au label PAH un rôle d’ingénierie active dans les politiques d’aménagement, tout en apportant une légitimité dans les actions culturelles. Sans toutefois s’inscrire dans le mouvement de l’urbanisme culturel, l’agence du Pays de Saint-Omer s’attache ainsi à faire travailler ensemble urbanisme et culture. L’approche patrimoniale s’intègre ainsi naturellement dans l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (SCoT) et du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) ou dans les projets pré-opérationnels (restauration, renouvellement urbain…). Des visites à deux voix sont régulièrement organisées, associant chargés d’études et guides conférenciers, où le patrimoine sert de porte d’entrée pour sensibiliser le public aux défis écologiques. L’agence expérimente également les résidences d’artistes en accompagnement de mutations urbaines.

Basée à Cunlhat (Puy-de-Dôme), l’association Rural Combo conçoit des démarches expérimentales mêlant architecture, design, gouvernance, urbanisme, écriture, action artistique… Éloignée des codes du mouvement de l’urbanisme culturel, elle s’implique aux côtés des habitants – parmi lesquels les élus – pour favoriser l’émergence de communs. Invitée à intervenir sur les questions d’aménagement, son action s’établit finalement sur la gouvernance et s’articule systématiquement sur le temps long, selon les principes de la permanence architecturale, en complicité avec La Preuve par 7 [2]. Dans le village de Pérignat-sur-Allier (Puy-de-Dôme), ce sont ainsi deux ans d’ateliers, de chantiers, d’actions culturelles et artistiques, qui engagent une nouvelle manière de faire démocratie. Au sein des 7 000 m2 de l’ancien collège jésuite de Billom, l’équipe s’attache à transformer pas à pas la norme et la réglementation par le faire, vers de nouveaux possibles collectifs.

Sur le territoire voisin de Loire Forez Agglomération, l’approche culturelle se met au service de projets urbains. Un service d’accompagnement des communes souhaitant établir une stratégie de centre bourg/ville a été mis en place dans la lignée du projet de territoire issu de la fusion des EPCI en 2017. Claudine Court et Évelyne Chouvier, vice-présidentes, ont très vite compris les vertus d’une démarche croisée. Cette posture politique a permis d’initier et d’expérimenter de nouvelles formes de dialogues et de coconstruction avec les habitants, à travers la présence artistique. Malgré certaines réticences initiales, malgré les revirements liés aux élections, les expérimentations se sont inscrites dans le mode de faire de l’EPCI, au bénéfice d’un projet territorial plus directement relié aux imaginaires habitants.

De la nécessité d’un nouveau logiciel

Stefan Shankland note que la formalisation de cadres rassurants tels le label démarche à haute qualité artistique et culturelle (HQAC), qu’il développe depuis quelques années, peut favoriser l’émergence de nouvelles pratiques et mettre en valeur la qualité des processus de productions artistiques, culturels et sociaux, en levant la réticence des élus vis-à-vis de démarches sensibles hors normes. Corédacteur de la tribune « Artistes, architectes, urbanistes, écologues, osez la post-disciplinarité ! [3] », il souligne l’urgence, pour être à la hauteur des défis écologiques, de systématiser les approches et méthodologies transdisciplinaires, seules susceptibles de nous permettre d’inventer de nouveaux scénarios et de nous projeter dans ce qui n’est « pas encore là ». Ce qui induit la mise en place de dispositifs de soutien financier au croisement de l’écologie, des arts et de l’urbanisme.

Qu’elles se revendiquent, ou non, de l’urbanisme culturel, les approches sensibles – hybrides, sur mesure, basées sur le lien, le faire-ensemble, et le pari de l’intelligence collective et citoyenne – semblent finalement tracer un chemin vers de nouveaux possibles. Elles induisent une vigilance particulière quant aux formes de gouvernance, de médiation, au portage politique, et nécessitent le dépassement de cadres disciplinaires et financiers devenus périmés au regard des défis de la réorientation écologique.

Inspirer la transition écologique à Riom, Limagne et Volcans

Comment aider les élus locaux, en prise directe avec le quotidien de leur territoire, à prendre de la distance et à envisager la transition écologique le plus positivement possible ? En leur montrant par l’exemple que loin de ne constituer qu’une contrainte supplémentaire, répondre au défi du changement global peut aussi être une opportunité pour se questionner, fort d’un nouveau regard, et trouver des solutions à des problèmes plus anciens. Partant de ce constat, l’agglomération de Riom Limagne et Volcans (RLV) a sollicité l’Agence d’urbanisme pour organiser et animer un cycle de rencontres à destination de ses élus communautaires et communaux.

Se poser les bonnes questions

Organiser des rencontres pour apprendre et discuter de la transition écologique est intéressant. S’assurer que les sujets traités correspondent aux situations territoriales et aux questionnements des élus est encore mieux. C’est par le moyen d’un questionnaire avant et pendant ces rencontres que l’AUCM s’est assurée de la pertinence des questions abordées. C’était aussi une manière de mieux comprendre les représentations des élus, leurs freins à la transition et toutes ces dimensions rarement explicitées que le retour d’expérience doit aussi permettre de traiter et de contribuer à dépasser. Les freins exprimés sont tout autant de l’ordre du manque de connaissances que de la nécessité d’être accompagné, outillé et formé pour relever les enjeux de la transition.

Deux thèmes ont finalement été retenus : « la transition énergétique », traitée lors de la rencontre d’octobre 2023 et « les espaces publics économes en eau et favorables à la biodiversité », traités le mois suivant. Deux rencontres  portées par la même ambition : explorer  les actions déjà en cours sur le territoire, susceptibles de faire l’objet d’une accélération. La recherche d’opérationnalité était, de fait, au cœur des attentes pour parvenir à embarquer des élus soucieux de concret et d’efficacité dans les enjeux de la transition écologique. A chaque fois la même organisation, une table ronde et un atelier participatif animés par l’Agence. Par souci d’apprendre de ce qui se fait ailleurs étaient également invités des représentants de territoires voisins, eux-mêmes engagés dans des projets significatifs.

Accélérer la transition énergétique

La première rencontre a mis en lumière des projets de transition énergétique qui placent l’humain et le local au centre de la réflexion. À Anzat-le-Luguet, une commune montagnarde de 170 habitants au cœur du massif du Cézallier, le chauffage tourne pratiquement toute l’année. Malgré la faible densité du bâti, la commune a fait le choix d’implanter deux réseaux de chaleur bois-énergie pour desservir les bâtiments communaux et les habitations, qui étaient chauffés majoritairement au fioul. Ce réseau de chaleur est alimenté par du bois, prélevé sur les massifs forestiers avoisinants.

Privilégier les matériaux locaux, c’est aussi le choix fait par la commune de Maringues pour la construction de son école primaire. Béton de terre, bois du Livradois-Forez, terre cuite,… les matériaux ont été soigneusement sélectionnés pour répondre aux exigences de confort thermique et sonore, tout en garantissant le confort de vie des élèves.

La transition énergétique passe aussi par la multiplication des unités de production. À Loubeyrat, la coopérative énergétique citoyenne Combrailles Durables , appuyée par la commune, développe des projets photovoltaïques. Son fonctionnement est simple : elle finance les installations et se rémunère sur la revente de l’énergie. Aujourd’hui l’association essaime sur tout le territoire des Combrailles : équipement d’écoles et locaux communaux, achats groupés de panneaux photovoltaïques à destination des habitants et parcs photovoltaïques au sol sur des friches en partenariat avec le réseau national de coopératives Enercoop.

Après des échanges nourris entre les maires intervenants et la salle, les élus de RLV ont pris place en tablées, autour d’un jeu sérieux animé par l’Agence d’urbanisme et RLV. Les élus ont échangé, à l’aide d’un plateau de jeu conçu sur-mesure par l’AUCM. Au centre du jeu des cas d’école : « Quels sont les freins à lever pour intégrer les énergies renouvelables dès la conception de mon bâtiment communal ? Quels sont les leviers sur lesquels je peux compter et comment travailler en concertation avec les services de RLV ? ». Si l’atout premier de cet outil est de nourrir le dialogue entre les élus, sa finalité reste bien d’identifier leurs besoins, leurs motivations mais aussi les obstacles qu’ils rencontrent pour mener à bien leurs politiques de  transition.

Renaturer nos villes et centres-bourgs

Un mois plus tard, les élus communautaires et communaux ont de nouveau été réunis pour échanger, cette fois sur la renaturation des espaces publics. Si nos villes et centres-bourgs ont longtemps tourné le dos à la nature, il semble désormais temps de faire du végétal un allié et une priorité. La nature en ville rend plus de services qu’elle ne demande de soins, et les témoignages inspirants des élus invités en table ronde sont venus renforcer cette idée. La renaturation des espaces publics passe par deux leviers, qui ne vont pas l’un sans l’autre : la perméabilité des sols et la végétalisation.

La table ronde a ainsi débuté par le témoignage de la commune de Gannat, qui a porté le réaménagement de sa place centrale : le champ de foire. Hier minérale, cette place est aujourd’hui un lieu vivant, accueillant et perméable. La perméabilité des sols est aussi au centre des réflexions de la commune d’Ennezat, qui emploie de la pouzzolane, une pierre volcanique locale, pour pailler et drainer les aménagements paysagers de la commune.

Concernant la végétalisation, il existe de nombreuses manières de faire entrer le vivant en scène pour renaturer nos espaces publics. Les communes de Châtel-Guyon et de Romagnat s’y emploient : végétalisation des cours d’école, fleurissements et tailles raisonnés, vergers conservatoires, micro-forêts, nichoirs, végétalisation de cimetières,… autant d’exemples porteurs de sens présentés en table ronde et pendant l’atelier participatif.

Pour cette deuxième rencontre, l’AUCM a conçu un plateau de jeu où les élus purent exprimer, à partir d’un photo-langage, leurs actions pour repenser les espaces publics au prisme de la végétalisation vue sous ses trois principales composantes : renaturer, créer des espaces de nature en ville et entretenir les espaces verts. L’Agence a construit ce photo-langage autour d’exemples locaux, notamment sur le territoire de Riom Limagne et Volcans. Au contraire du premier outil d’animation, qui mettait les élus autour de cas d’école fictifs, cet atelier met au centre les projets des élus, avec toujours l’intention de mieux comprendre leurs besoins et leurs attentes pour renouveler leurs pratiques de création et d’entretien des espaces végétalisés.

De l’enjeu de faire émerger une culture commune des transitions

Sur les 31 communes que compte le territoire de Riom Limagne et Volcans, 25 ont pris part aux rencontres de la transition écologique. Créer un espace-temps où les élus peuvent échanger librement, exprimer leurs besoins, leurs craintes mais aussi partager leurs réussites est assurément un premier résultat. Ces rencontres de la transition mettent en évidence le besoin et les bénéfices de créer des liens entre les communes pour partager bonnes pratiques et retours d’expérience, pour décrypter et mieux comprendre les enjeux et les dispositifs, pour mutualiser certaines pratiques et (dé)montrer qu’il est possible de changer nos modes de faire (« ils l’ont déjà fait »). L’intérêt porté aux savoirs, savoir-faire et savoirs d’usage exposés montre également la nécessité pour les élus de se former, de se sensibiliser et de communiquer autour des bénéfices collectifs des projets de transitions. Ces sont sans doute là des conditions indispensables pour atteindre l’objectif initialement fixé : donner aux élus des clés pour amorcer des actions concrètes, pour que la transition soit pleinement incarnée et portée dans les territoires.

Alimentation et culture dans la même assiette

L’exploration « Culture alimentaire et transition écologique : comment aborder l’alimentation comme un fait culturel revisitant nos marqueurs politiques, économiques, sociaux, sanitaires, territoriaux ? », proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences, a permis d’observer deux modèles de production agricole différents, mais aussi d’étudier les marqueurs émotionnels, symboliques, sociaux, économiques, politiques et écologiques de l’alimentation d’aujourd’hui et de demain.

Notre rapport à l’alimentation a évolué au cours de ces dernières décennies à travers de nouvelles prises de conscience qui engendrent des changements de normes, de législation, de comportements, de modes de vie. Il faudra convoquer plus d’un modèle pour relever les défis de demain et parvenir à changer nos pratiques sans détruire nos cultures alimentaires. C’est fort du constat de la complexité du sujet et pour l’appréhender dans un cadre inspirant que la journée d’exploration autour de la culture alimentaire a été conçue : trois sites, une dizaine d’intervenants et une équipe d’animation ont permis de s’imprégner, de ressentir, de prendre conscience, de débattre des solutions et actions mises en oeuvre ici et là, pour que chacun réfléchisse et trouve, à son échelle, sa marge de manoeuvre et d’intervention. L’équipe organisatrice s’est appuyée sur la Limagne, plaine agricole aux portes de la métropole clermontoise, pour évoquer la culture alimentaire à travers trois lieux démonstrateurs d’un sujet à plusieurs enjeux.

Challenger un modèle agroalimentaire à grand volume

La journée exploratoire a commencé au Biopôle Clermont-Limagne dédié aux entreprises des sciences du vivant. Les participants ont visité l’usine de panification Jacquet-Brossard et assisté à la présentation de la filière blé de la coopérative agricole Limagrain, depuis le blé planté jusqu’aux modèles des pains vendus par la grande distribution. L’exposé de leurs recherches nutritionnelles en boulangerie-pâtisserie et les discussions ont fait toucher du doigt les défis de ce modèle agroalimentaire industriel et de cet acteur incontournable du territoire, dont les exigences économiques, environnementales et marketing structurent la filière et obligent à adapter les process en permanence.

Encapaciter des modèles alternatifs

La matinée s’est poursuivie par la visite des Jardins Solidaires, à Gerzat. Porté par le Secours populaire et inscrit dans une expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), ce projet a trouvé ici les conditions de son développement : une douzaine de travailleurs en insertion produisent, sur une ancienne friche de 2 hectares mise à disposition par la commune, des légumes bio, vendus à prix coûtant préférentiellement aux structures d’aide alimentaire locales ou via le réseau de producteurs locaux 63 Saveurs.
Même si ce modèle économique de l’entreprise à but d’emploi reste à consolider, il n’en reste pas moins qu’il répond à des objectifs majeurs : permettre un retour à un emploi porteur de sens et de dignité pour les travailleurs, rendre accessible une alimentation de qualité, diversifier la production sur les terres agricoles locales et alimenter un réseau vertueux de solidarité. Le maire de Gerzat et l’équipe des Jardins Solidaires ont partagé avec le groupe leur enthousiasme, leurs convictions, mais aussi les difficultés et les incertitudes inhérentes à un tel projet qui contribue à changer de modèle.

Restaurer les sens et les perceptions

L’exploration s’est poursuivie au Pré du Puy, qui est à la fois une exploitation maraîchère, un magasin en vente directe et un restaurant. Dans ce site inspirant, un repas a été élaboré en partenariat avec la Scop Cresna, pour amener les convives à s’interroger sur leurs pratiques alimentaires. Pour être à la hauteur des défis de demain, le repas, référence culturelle et symbolique, doit évoluer dans ses ingrédients, ses quantités, ses synergies nutritionnelles : crudités, « cuidités », légumineuses, oléagineuses, produits laitiers, oeufs, épices et condiments ont été mis à disposition pour que chacun compose son assiette. L’accompagnement par l’éducatrice du goût a permis de prendre conscience des déterminants de choix et de composition des assiettes. Les échanges ont permis de se questionner sur la sensorialité en mangeant (couleur, texture, saveurs, quantité), les synergies alimentaires, la néophobie alimentaire, etc.

Conscientiser les marqueurs culturels de l’alimentation

Comme souvent à la fin d’un bon repas, les convives sont restés à table pour continuer à débattre et discuter, en profitant de l’expertise des intervenants. L’intervention de Marie Walser (chaire Unesco Alimentations du monde), axée principalement sur le marqueur sanitaire, a approfondi les liens entre alimentation, corps, santé humaine et environnementale. En écho à la visite de l’usine du matin, l’intervenante a défendu l’idée que le changement de modèle alimentaire suppose que l’alimentation soit considérée comme un bien commun et non pas comme une simple marchandise.

Dans un contexte où les choix alimentaires se font en fonction de ses moyens économiques, de son temps, des disponibilités des produits, de sa culture, de ses goûts, mais aussi souvent en fonction du marketing et de la publicité, les améliorations apportées aux aliments ne devraient pas être des arguments spéculatifs et concurrentiels, mais au contraire être partagées au bénéfice de la santé de tous.

La présentation par Philippe Métais des actions de Gaz réseau distribution France (GRDF) autour des biodéchets et de leur engagement sociétal en faveur des collectivités, via le milieu scolaire, a alimenté le débat du marqueur écologique. Derrière ce marqueur se cache la question de l’ampleur du changement de modèle. Souhaitons-nous développer des solutions technologiques pour compenser les inconvénients d’un modèle, ou le revoir totalement pour le rendre plus vertueux ?

L’intervention de Thierry Boutonnier, artiste plasticien empreint de nature et d’agriculture, a permis d’explorer le marqueur culturel et symbolique, mais aussi ses travaux et sa colère citoyenne autour du marketing alimentaire et de la prédominance des intérêts économiques sur la politique alimentaire. La diffusion de la bande-son du projet Sugar Killer, conduit avec des collégiens, a fortement interpellé et fait sourire les participants quant aux coulisses du marketing et à l’opacité des réponses apportées aux adolescents. Le marketing habille l’alimentation de toutes les vertus, mais, dans les faits, les compositions restent mystérieuses. La question de la responsabilité des adultes et du système alimentaire sur la santé des enfants a été posée. La santé apparaît, elle aussi, comme un bien commun, avec un idéal de transparence et d’éducation pour relever les défis culturel et symbolique dès le plus jeune âge. La dernière intervention de Boris Tavernier, fondateur de Vrac (Vers un réseau d’achat en commun), a permis d’éclairer les marqueurs politiques et socio-économiques quant à l’accès à une alimentation durable et de qualité pour toutes et tous, quels que soient les moyens financiers ou la localisation géographique des personnes. En achetant en grande quantité, Vrac réussit à obtenir des produits de qualité à des prix compétitifs, que les adhérents peuvent ensuite acheter à des prix raisonnables. L’initiative est partie des quartiers populaires de l’Est lyonnais, le réseau est désormais national et milite plus globalement pour l’éducation à l’alimentation alliant plaisir, créativité et interculturalité. Il est aussi actif dans le réseau qui oeuvre pour la création d’une sécurité sociale alimentaire.

Réalimenter un imaginaire collectif

En conclusion, Éric Roux (association L’Étonnant Festin) est intervenu pour apporter son expertise sur l’approche quotidienne de la transition alimentaire en s’appuyant sur les enjeux de transmission des savoirs interculturels comme pare-feu aux normes imposées par le système étatique. Il a abordé la notion d’un projet culturel de territoire qui redistribue des savoirs et réalimente un imaginaire collectif. Les participants ont été invités à exprimer les émotions à chaque étape de l’exploration. Le niveau des débats, les visites et intervenants ont permis d’examiner la plupart des marqueurs de l’alimentation et d’ébaucher ensemble des pistes de solutions pour répondre aux défis de notre civilisation : rien de moins que la définition de la culture selon Clair Michalon [ingénieur agronome et formateur, ndlr] : « La culture, c’est la manière de trouver ensemble des réponses aux défis de notre temps. »

Avec le chantier des « 1 000 premiers jours de la vie », les cantines et les quartiers populaires sont ressortis comme les emblèmes de cette transition aussi intime que collective.

Quelle contribution des politiques culturelles à la réorientation écologique des territoires ?

L’agence d’urbanisme Clermont Massif central (AUCM) propose aux collectivités qui souhaiteraient engager leur réorientation écologique de tester un outil, en cours de conception, permettant d’aborder la transition écologique des territoires par une entrée culturelle.
Les premiers résultats valent invitation.

Depuis l’automne 2023, une vingtaine d’acteurs locaux (artistes, techniciens, responsables associatifs…) participent à des ateliers de prospective « à dire d’experts 1 ». Ces ateliers permettent de projeter les politiques culturelles, leur contenu, leurs modalités de production et les rôles des acteurs de la culture dans différents scénarios à l’horizon 2050. Ces scénarios, articulés avec la production de l’Ademe [Agence de la transition écologique, ndlr] « Transitions 2050 2 », doivent conduire à une vision territorialisée des projections par le prisme des politiques culturelles. On interroge ainsi pour chaque contexte ce qui « est » culture, le rôle qu’elle exerce, la manière dont les acteurs publics et privés, professionnels s’en saisissent.

La production qui découlera de cette première étape permettra à l’agence d’urbanisme Clermont Massif central (AUCM) de créer un prototype d’accompagnement des territoires. Les collectivités du Massif central volontaires pour repenser leurs politiques culturelles pourront bénéficier de l’accompagnement de l’agence dans les prochains mois. En effet, au regard des bouleversements anthropocènes auxquels font face les territoires, les solutions techniques et organisationnelles ne suffiront pas à engager pleinement la société sur un chemin résilient.

La culture, par sa capacité à véhiculer des imaginaires, à créer la rencontre et l’inattendu, à faire « ressentir », peut jouer un rôle prépondérant dans l’acculturation nécessaire aux changements qu’il nous faut conduire collectivement. Pour illustrer cette production, voici en avant-première un des quatre scénarios produits, articulé à celui des « Coopérations territoriales » de l’Ademe 3, afin de mettre en situation anthropocène les politiques culturelles et leurs territoires.

La culture de coopération pour prendre soin les uns des autres : une ébauche de scénario

La réalité actuelle dans laquelle toutes les vies et formes de vie ne se valent pas est le reflet d’une culture anthropocentrée et occidentale sur laquelle s’est construit le modèle socio-économique dominant. Les barrières cognitives et les échelles de valeurs héritées de ce modèle sont autant de freins à la réorientation écologique des territoires qu’il faudrait pourtant engager dès aujourd’hui. Le constat de la vulnérabilité du système socio-économique face aux réalités anthropocènes a conduit à un changement de modèle. Celui-ci se construit autour d’une lecture des relations, humaines mais également avec le vivant et le non-vivant, au prisme du soin et de la préservation. Prenant acte de l’intégration pleine et entière de l’humanité dans le vivant, le changement fondamental de valeurs qui s’est opéré en accordant à toute vie et quelle qu’en soit la forme, une valeur pour elle-même, a entraîné une transformation profonde des politiques publiques.

Ainsi, celles-ci s’appliquent désormais à exercer un rôle de soin à deux niveaux : d’une part, face aux transformations radicales du monde et aux bouleversements sociaux que l’anthropocène et le changement de modèle ont entraînés ; d’autre part, en inculquant à chacun une culture de l’attention à l’autre devenue valeur centrale. Ainsi, les indicateurs socio-économiques, le système fiscal et les modes de comptabilité ont été considérablement transformés pour prendre en compte ces nouveaux impératifs. L’attribution d’un statut juridique aux entités naturelles leur a offert une protection face à des périls imminents ainsi qu’un rôle d’acteurs à part entière de la décision publique. Les expérimentations de convention citoyenne et les méthodes de type « budget participatif » ont été généralisées ; l’éducation culturelle et artistique, l’héritage des volets culturels des politiques de transition et l’esprit des projets culturels de territoire ont inspiré un modèle de gouvernance locale résilient et agile, organisé autour des droits culturels.

Des gouvernances locales et agiles

Afin de mettre en oeuvre cette organisation, l’État s’est fortement décentralisé au profit du développement de gouvernances locales et partagées à l’échelle des anciens EPCI [établissements publics de coopération intercommunale]. Les échelons administratifs ne sont plus nécessairement en correspondance avec les échelles d’action : celles-ci se reconfigurent en permanence, en fonction des enjeux et projets à l’oeuvre. La nouvelle perspective biorégionaliste qui structure tout projet permet de prendre en compte la totalité des composantes d’un territoire et leurs rétroactions. Cette approche entraîne les différents territoires, voisins ou non, dans des logiques de coopération fortes permettant l’agilité nécessaire au déploiement de projets ou de politiques publiques à des échelles variables.

L’organisation territoriale accepte et permet l’incertitude et l’adaptation permanente. En tant que garant de la justice, de l’exercice démocratique et de l’accès aux soins et à l’éducation, l’État accompagne les nouvelles collectivités territoriales dans la mise en oeuvre effective de ces dispositifs dont tout un chacun doit bénéficier. La condition sine qua non pour des gouvernances locales réellement démocratiques repose, en effet, sur une réponse à l’ensemble des besoins fondamentaux du vivant, dont le plein exercice des droits culturels. Ceux-ci permettent d’assurer à chacun la capacité de s’outiller intellectuellement pour prendre part au débat et à la décision publique.

La réinvention des politiques culturelles

L’intégration des droits culturels dans les besoins fondamentaux auxquels les pouvoirs publics apportent une réponse se traduit par la disparition du ministère de la Culture et des politiques culturelles telles que menées depuis les années 1960. En effet, la question culturelle n’est plus traitée selon un angle création/diffusion/accessibilité de disciplines, lieux ou pratiques légitimés par l’État. Il s’agit désormais de considérer tout domaine de la vie publique au regard des droits culturels. Ainsi, chaque politique est élaborée en fonction de sa capacité à permettre à toute personne ou groupe, sans discrimination, de développer et d’exprimer son humanité et sa vision du monde. Les politiques publiques se trouvent ainsi renforcées dans leur rôle de permettre l’« encapacitation » de tous, nécessaire à l’exercice démocratique local sur lequel repose désormais l’organisation de l’État.

Les politiques culturelles, face à leurs propres incohérences dans ce nouveau modèle ainsi qu’à l’impératif de soutien au déploiement des droits culturels, ont réalisé un long parcours vers l’acceptation de leur disparition telles qu’elles existaient jusque dans les années 1930. Les professions culturelles se sont hybridées avec celles de l’ingénierie territoriale, déplaçant le coeur de métier vers la facilitation des coopérations, la médiation et l’accompagnement de processus expérimentaux. Le système éducatif s’est également profondément transformé, tant dans le contenu véhiculé que dans les méthodes employées. Ainsi, les enseignants, placés dans une posture apprenante, transmettent les savoirs « anciens », mais enseignent également l’incertitude, le « faire ensemble » et l’envie de prendre soin.

Les droits culturels pour faire fonctionner une démocratie du vivant

Par leur préoccupation pour l’exercice des droits culturels, les politiques publiques s’ancrent dans les territoires de vie et dans le quotidien, favorisant le développement de cultures communes locales. La culture relève ici du lien, du liant, de l’anthropologique plus que de l’artistique. Cette culture du lien est en elle-même précieuse et soignée par les politiques publiques qui oeuvrent à l’articulation de logiques de proximité et d’ouverture au monde ; un jeu d’échelles indispensable pour faire société et éviter le repli sur soi. Si la société civile exerce un rôle particulièrement important dans les gouvernances locales, les modèles de type associatif coexistent avec le service public, dont le rôle est d’apporter à tous une capacité de participation, d’implication, d’expression, et cela, sans condition d’appartenance ou d’adhésion. Pour encourager et permettre la libre expression de tous au sein de la société et ainsi renforcer la démocratie, les pratiques artistiques amateurs sont soutenues par les pouvoirs publics.

Les projets expérimentaux, impliquant une recherche permanente d’adaptation à des contextes ou échelles variables, sont largement considérés pour leur capacité à faire face à l’instabilité du monde. Les pratiques dites « alternatives » ne sont plus évoquées comme telles, puisque les anciennes hiérarchies culturelles n’ont plus cours et que ce qui « est » culturel a été redéfini : la culture est propre à chacun, fait collectif et est ancrée dans un quotidien plus écologique.

Bien que, dans ce scénario, l’accent soit mis sur les processus créatifs plus que sur les oeuvres finales, les productions artistiques existent toujours. Elles sont, elles aussi, partie intégrante de l’expression humaine et sont en elles-mêmes des médias par lesquels s’expriment les droits culturels. Ces créations sont situées et privilégient des formats de création et de diffusion en proximité avec les territoires et leurs habitants, au sens élargi. L’art écologique longtemps marginal qui vise à travailler avec les écosystèmes et à les raviver occupe une place importante dans la création. Les personnels de la culture, tout comme les artistes, peuvent ainsi se faire médiateurs : les premiers afin d’accompagner les artistes et les populations dans les processus de création ancrés ; les seconds dans leur capacité à faire dialoguer les personnes et les territoires entre eux, vivants humains et non humains compris. Le pays du premier ministère de la Culture au monde est, de ce point de vue, resté précurseur en agrégeant les politiques culturelles avec celles auparavant dédiées à la nature, mais aussi à l’éducation et à la santé.

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LA CULTURE DE COOPÉRATION POUR PRENDRE SOIN LES UNS DES AUTRES : UNE MISE EN SITUATION

Léa, habitante élue au comité de pilotage du projet de rénovation biomimétique à empreinte positive de l’hôpital de proximité, se rend à pied à la bibliothèque pour assister à une représentation de la compagnie éphémère créée dans le cadre de ce projet. Elle est accompagnée de Mme Diop qui souhaite prendre part aux échanges en public libre. Elles sont en avance et discutent avec les collégiens qui sortent de la bibliothèque.

Dans le cadre de leur cours de relation au vivant, ils mènent, avec des élèves d’un autre établissement, une enquête sur la faune locale et contribuent ainsi au suivi scientifique participatif de la biodiversité. Olivier, le bibliothécaire, les accompagne dans la dimension « recherche et documentation » de leur projet. Léa s’installe dans la grande salle qui jouxte la bibliothèque. Les lits utilisés en journée par les enfants de la crèche ont été relevés contre les murs. La compagnie éphémère comprend une quinzaine de personnes : des techniciens du service public ; des habitants ou usagers des territoires concernés par la rénovation de l’hôpital; des représentants de la forêt et du cours d’eau bordant l’hôpital ainsi que de la faune et de la flore qui les habitent, des artistes professionnels, des personnels hospitaliers, des patients, des ouvriers du bâtiment. Ces personnes ont été tirées au sort par le comité de pilotage.

Pour permettre à chacun de s’investir, leurs obligations professionnelles sont suspendues le temps du projet. Paul, agent des droits culturels, assure la médiation entre les membres de la compagnie et le comité de pilotage. La compagnie propose ce soir une séance de théâtre forum pour débloquer une situation liée au projet : dans le cadre de la réalisation des travaux, les engins de chantier doivent accéder à la façade du bâtiment bordée par la forêt et traverser le cours d’eau qu’elle abrite. Les coupes d’arbres, le passage de poids lourds et le stockage de matériel auront un impact sur l’écosystème qui doit être strictement limité pour garder le bilan positif de l’opération. La mobilisation des réseaux d’acteurs et les conseils issus d’expériences similaires n’ont pas permis de trouver une solution pertinente. Aussi, la représentation de ce soir, en mobilisant de manière sensible les savoirs et points de vue, permettra d’explorer d’autres leviers avec l’assistance.

Faire vivre la lecture à l’échelle intercommunale

Le réseau de lecture publique, créé en 2004 dans le cadre d’un projet de territoire, avec le double objectif de favoriser la solidarité culturelle et son attractivité, est un élément fort de structuration de la politique culturelle de la métropole clermontoise.

La création du ministère des Affaires culturelles, en 1959, a marqué un tournant significatif dans la reconnaissance de la culture comme élément essentiel de la société française. Ce ministère, chargé de coordonner les politiques culturelles à l’échelle nationale, avait pour objet de promouvoir l’accès à la culture pour tous les citoyens. En parallèle, la volonté de décentralisation, qui s’est intensifiée dans les années 1980, a conduit à un transfert progressif de compétences et de moyens vers les collectivités territoriales. Cela a favorisé une gestion plus proche des besoins et des réalités locales, tout en renforçant la présence de la culture sur l’ensemble du territoire français. Ce maillage territorial de lieux culturels a joué un rôle crucial dans la démocratisation de l’accès à la culture en France. Il a permis de diffuser les pratiques culturelles et artistiques au sein des différents territoires, favorisant ainsi l’épanouissement d’une culture vivante et diversifiée.

C’est en 1999, avec la loi Chevènement, qu’une bascule s’est opérée avec le renforcement de l’intercommunalité qui instaure un cadre légal favorable à la coopération entre les communes, tout en élargissant les compétences de ces structures intercommunales. Elle a ainsi contribué à moderniser et rationaliser l’organisation territoriale du pays. En matière de politiques culturelles, cette nouvelle approche a permis de franchir un nouveau cap en intégrant une dimension de solidarité territoriale, passant ainsi d’une logique d’équipement à une logique de territoire. Cette nouvelle orientation a encouragé les communes à travailler ensemble, afin de mutualiser leurs ressources et leurs compétences. Cette approche a favorisé une meilleure coordination des politiques publiques à une échelle de bassin de vie, permettant ainsi une utilisation plus efficace des moyens disponibles.

Un modèle d’intégration intercommunale.

À l’instar de Montpellier et Toulon, la politique culturelle intercommunale clermontoise peut être mentionnée comme l’un des rares exemples de transfert du centre de gravité de la politique culturelle de la ville-centre vers la métropole (cf. Culture et Métropole. Une trajectoire montpelliéraine, d’Emmanuel Négrier et Philippe Teillet, Autrement, 2021). En conseil communautaire du 2 juillet 2004, les élus ont délibéré sur l’adoption d’un schéma d’orientation communautaire du développement culturel, qui permettait d’inscrire à l’agenda une feuille de route sur une durée de quinze ans, dépassant les logiques du mandat, à l’échelle d’un territoire intercommunal composé de 21 communes. Dans cette feuille de route, la décision politique de transférer toutes les bibliothèques municipales a affiché la volonté de créer un réseau de lecture publique dans le cadre d’un projet de territoire, avec pour double objectif de favoriser la solidarité culturelle et son attractivité. Cette décision a permis de passer de la théorie à la pratique avec la création d’un réseau de lecture publique quasi unique en France. Ce réseau composé de quinze bibliothèques et médiathèques ainsi que de deux bibliothèques spécialisées (Centre de documentation du cinéma et du court métrage La Jetée et Bibliothèque du patrimoine) s’emploie à faire vivre la lecture, les pratiques culturelles et l’inclusion sociale sur le territoire. Ce réseau se singularise par son organisation en bassins de lecture, son fonctionnement transversal et mutualisé, dont la vocation est de s’inscrire au plus près des populations et de prendre en compte la grande diversité des publics des territoires. Avant le transfert effectif, au 1er janvier 2005, seules deux bibliothèques étaient aux normes en termes de surface, selon le ministère. La création d’un plan de lecture publique dans le sillage du schéma a permis de développer une stratégie sur un temps suffisamment long pour transformer en profondeur l’offre en matière de lecture publique, en proposant à la population un service public particulièrement performant.

Les principes d’organisation du réseau de lecture publique en bassins de vie, appelés bassins de lecture, ont démontré que la commune n’est plus l’unique échelon d’action d’une politique culturelle, et que l’offre s’articule en intégrant des logiques de microterritoires au plus proche de la réalité de la vie des usagers. Cette organisation par bassin a permis de créer un maillage territorial, strate intermédiaire permettant un pilotage métropolitain tout en mobilisant des agents et des moyens d’action à l’échelle des bassins de lecture, afin de conserver une relation de proximité avec les usagers.

Le PCSES du réseau de lecture publique 2021-2027

Les principes organisationnels du réseau de lecture publique perdurent depuis 2005, et sont affirmés à nouveau dans le nouveau projet culturel, scientifique, éducatif et social (PCSES) du réseau de lecture publique 2021-2027 délibéré par le conseil métropolitain du 28 mai 2021. Sur la base d’un diagnostic partagé à l’échelle du réseau, intégrant également des données du territoire, et à la suite d’un travail collégial associant l’ensemble des personnels du service lecture publique, de la direction culture et des élus métropolitains, quatre axes ont été proposés pour faire évoluer le réseau sur les années 2021-2027.

Le premier concerne l’équité territoriale en continuant à améliorer le maillage du territoire, en proposant de retravailler sur la desserte de l’offre mobile de bibliobus permettant de desservir des communes n’ayant pas de bibliothèques, en développant des actions « hors les murs » par la promotion d’une bibliothèque mobile (« Ideas Box 1 »), en favorisant la mobilité des documents sur le réseau par la mise en place du prêt universel et en réduisant les inégalités d’accès liées à l’éloignement géographique pour certains usagers par le portage à domicile, le portage collectif, voire la mise en place de retraits automatisés.

Le deuxième axe a pour objectif de diversifier et renforcer l’action sociale des bibliothèques, en poursuivant la mission d’accueil de tous les publics en situation de handicap, d’illectronisme, allophone, par un accompagnement spécifique pouvant aller jusqu’à l’assistance dans certaines démarches administratives. Cet axe nécessite également de faciliter largement l’accès aux bibliothèques en repensant les horaires d’ouverture au regard de l’évolution des temps des usagers, mais également en donnant de la visibilité à l’offre proposée par la bibliothèque en ligne.

Le troisième axe porte sur le développement des nouveaux usages. L’offre doit être plurielle et sa diversification doit permettre d’accompagner les publics dans de nouvelles pratiques, accentuant la dimension tiers-lieu par la participation et la coconstruction avec la population. Cet axe invite à construire de nouveaux espaces en fonction de nouveaux usages, de se doter d’une offre en ligne structurée autour d’une politique documentaire numérique, tout en améliorant la connaissance des publics et « non publics ».

Le quatrième et dernier axe a trait aux dynamiques transversales nécessaires pour l’affirmation de ce réseau métropolitain, qui, bien qu’organisé par bassin pour répondre à une dimension de proximité, est structuré à l’échelle métropolitaine, ce qui en fait une singularité et une force. Les réflexions sur une politique d’accueil ou documentaire à l’échelle du réseau sont des exemples de la nécessité de dépasser le cadre des bassins. L’organisation de ce réseau est métropolitaine et il est nécessaire, à ce titre, de créer une communauté par la cohésion des équipes en favorisant la montée en compétences des agents, leur mobilité sur le réseau, le partage des pratiques dans le cadre de journées professionnelles et inscrire cette politique au même niveau que les autres politiques métropolitaines.

Ces axes devraient être prochainement complétés par une entrée « développement durable et transition », car un PCSES, fixant un cap et dessinant une trajectoire à suivre, doit rester évolutif et en prise avec l’arrivée au premier plan de thématiques urgentes. L’organisation d’un réseau métropolitain sans prédominance d’un équipement central a permis de mettre en avant toutes les spécificités du réseau sans avoir un tropisme au niveau de la ville-centre. L’arrivée du projet de bibliothèque métropolitaine de l’Hôtel-Dieu va permettre de passer un nouveau cap dans la construction d’une politique métropolitaine de lecture publique, déjà bien structurée, en offrant de nouvelles perspectives à la population par de nouveaux services, une nouvelle offre qui s’inscrira dans les axes du projet culturel, scientifique, éducatif et social du réseau. Elle doit toutefois être préparée en veillant à ce qu’une gouvernance repensée veille à préserver des équilibres liés à l’histoire d’un réseau sans centre, au moment où ce dernier doit intégrer un équipement comptant à lui seul autant de surface que l’ensemble des établissements existants.

Des espaces hybrides pour essaimer des nouvelles pratiques

Lors de l’exploration intitulée « Quartiers et lieux culturels et créatifs, laboratoires de transitions grandeur nature ? », l’exemple de plusieurs sites au fonctionnement novateur, parfois informel, ouvre la voie à des visions alternatives, avec l’intervention de nouveaux acteurs intermédiaires.

Relever les défis écologiques exige d’impulser des transformations sociétales de fond, de tracer de nouvelles perspectives collectives et de libérer les capacités d’innovation et d’action locales. De nombreux territoires placent les enjeux d’appropriation des avenirs possibles – ou plus largement les enjeux du vivre-ensemble – au coeur de leurs politiques de transitions, en s’appuyant parfois sur la présence de quartiers et lieux culturels et créatifs. Une enquête  prenant place autour de la butte clermontoise a permis de récolter des indices sur les conditions de positionnement de ces espaces comme laboratoires de transitions. Prenant appui sur les témoignages d’acteurs de terrain et d’experts, cette enquête a questionné les modes d’émergence, institutionnels ou au contraire informels, de ces lieux et, surtout, leurs capacités à essaimer de nouvelles pratiques indispensables dans une perspective de redirection écologique.

Hybridation et développement endogène

Spontanés, programmés, planifiés, institutionnels, privés ou associatifs, ces sites constituent des espaces hybrides d’effervescence, d’expérimentation, d’innovation, voire d’émancipation. Singuliers et protéiformes, ils regroupent une grande diversité d’acteurs au sein d’écosystèmes. Bien qu’ils partagent de nombreux points communs, l’usage des ressources de leur territoire fait d’eux des lieux endémiques et donc particulièrement adaptés aux réalités locales. Répondant à des besoins spécifiques, ils occupent souvent de manière décomplexée des espaces en friche dont les usages posent question. Ces lieux ont la capacité de proposer des pas de côté, d’ouvrir de nouvelles perspectives, de renouveler nos façons de faire et nos rapports au monde. C’est pourquoi ils sont aux avant-postes des transitions, qu’elles soient urbaines, écologiques et sociétales.

Les dynamiques de coopération sont au coeur de leurs processus de création, comme de leur fonctionnement. Deux exemples : Le Port des Créateurs, à Toulon, et Le Lieu-Dit, à Clermont-Ferrand, ont ainsi permis d’interroger l’émergence de ces lieux au prisme des coopérations entre pouvoirs publics et collectifs d’acteurs culturels. L’association Le Port des Créateurs est née de la volonté de la Ville d’accompagner l’écosystème culturel en pleine effervescence,
selon une logique de synergie avec le tissu associatif culturel local, afin de redynamiser son centre-ville classé quartier prioritaire (QPV). Ce tiers-lieu oeuvre à la structuration d’un réseau
d’acteurs culturels sur le territoire. Construit autour du souhait de créer des communs, de développer les coopérations interacteurs et d’hybrider les champs thématiques culturels et économiques, Le Port des Créateurs joue un rôle d’incubateur. Il illustre ainsi la capacité d’une structure culturelle associative à être catalyseur de projets économiques et culturels, innovants et vecteur d’attractivité. Ainsi, les actions menées par la Ville et l’association ont été récompensées par l’obtention des labels Tiers-lieu culturel et citoyen, et Quartier culturel et créatif (QCC). Quant au Lieu-Dit, celui-ci se définit « en creux » : il est tout ce que les autres équipements culturels métropolitains ne sont pas. Il a alors vocation à accueillir des acteurs alternatifs, sélectionnés par appel à projets annuel et pouvant profiter de cet espace de liberté pour tester leurs projets. L’accompagnement proposé par l’équipe leur permet de tendre à l’autonomie, en parallèle de l’intégration dans un écosystème en constitution qu’offre Le Lieu-Dit. L’équipement, en régie municipale, repose sur quatre piliers singuliers : une gouvernance atypique où la municipalité accepte sa propre position minoritaire au profit des acteurs culturels ; une économie collaborative et frugale ; l’expérimentation du collectif par l’hybridation des pratiques et des acteurs ; enfin, une réhabilitation et évolution architecturales définies pas à pas, en fonction des usages et des (collectifs) usagers successifs. Ce fonctionnement s’avère un facteur de transformation de l’action publique, puisqu’il oblige à revoir l’ensemble des processus de réhabilitation des espaces et rebat les cartes des pouvoirs décisionnels.

La notion d’écosystème est centrale dans la constitution des quartiers et lieux culturels et créatifs. L’émergence et la structuration d’écosystèmes renvoient de fait à leur ancrage territorial, tant à l’échelle du quartier que de la ville. Ces lieux de culture et de création se caractérisent par des structures collaborant vers un objectif commun en lien avec le territoire, excluant des motivations purement corporatistes ou individuelles. Les clés de réussite se trouvent dans la capacité des acteurs culturels informels à se saisir des structures formelles existantes, et inversement, mais également dans leur capacité à interagir avec les habitants. Ainsi, on note un processus d’évolution de grandes structures formelles, à l’instar de la future bibliothèque centrale de la métropole clermontoise, qui s’affranchit du modèle classique pour considérer pleinement les nouveaux usages. L’occupation des interstices laissés vacants par les institutions privées et publiques démontre le besoin de la société civile d’inventer des dispositifs hybrides permettant de répondre aux besoins, enjeux et défis contemporains, auxquels les acteurs conventionnels n’apportent pas toujours de réponses satisfaisantes.

Vers l’institutionnalisation et la normalisation de ces expérimentations ?

Les tiers-lieux, fabriques, coopératives, associations, collectifs d’architectes-urbanistes, écoles d’art, bibliothèques, clusters des industries culturelles et créatives, etc., portés par une diversité de lieux et d’acteurs, entrent dans un processus d’hybridation. Voient ainsi le jour de nouveaux acteurs intermédiaires, que l’on pourrait qualifier de « tiers acteurs » de la fabrique urbaine et culturelle. Ceux-ci jouent des fonctions essentielles d’intermédiation, de régulation, d’expérimentation, et de création de nouveaux imaginaires. Les expériences observées perturbent les modes de faire habituels des institutions publiques ou privées, comme le souligne Marc Drouet, directeur régional des affaires culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Elles incitent à adopter des approches plus coopératives, sensibles aux contributions citoyennes et aux ressources latentes des territoires. Les collectivités apprennent à expérimenter sans normaliser, à accompagner sans institutionnaliser, à relier sans uniformiser, à faire confiance sans sous-traiter, à échouer sans renoncer. Par ailleurs, l’émergence des « communs » dans la sphère urbaine témoigne d’une communauté d’usages qui choisit de se doter de règles pour prendre soin d’une ressource commune, souvent dans une perspective à long terme et collective. Ces initiatives naissent fréquemment de la constatation de l’impuissance du public et du privé, conduisant les citoyens à s’approprier des lieux et services d’intérêt collectif. Les « communs » remettent en question les pratiques administratives, la relation entre l’institution et la marge, ainsi que les concepts traditionnels
d’utilité publique et d’intérêt général. Ils réclament souvent le « permis de faire » et la possibilité de s’affranchir des normes pour atteindre des objectifs de résultat, plutôt que de moyens.
En parallèle, la société civile réclame un rôle plus important dans la prise de décision, incitant la puissance publique à revisiter ses pratiques. Cependant, ces évolutions ne sont pas sans défis. La définition du bien commun, la coexistence des règles formelles édictées par l’État ou les collectivités et les règles posées au sein des communs ainsi que la nécessité de préserver l’équilibre entre participation citoyenne, savoir expert et responsabilité publique sont autant de questionnements complexes auxquels les institutions publiques doivent faire face. Ainsi, ces nouvelles formes d’acteurs et d’initiatives transforment profondément la manière dont les pouvoirs publics et acteurs privés appréhendent et interagissent avec les évolutions urbaines et culturelles. Les institutions sont appelées à repenser leurs approches, à être plus réceptives aux dynamiques communautaires, et à naviguer habilement entre la nécessité d’encadrer et celle de favoriser l’émergence de solutions innovantes et collectives. Les expériences observées et les indices relevés produisent une série de ressources, qui s’avèrent déterminantes dans l’amorce d’une dynamique de changement, de l’échelle locale du territoire de vie à l’échelle globale.

Le SCoT solidaire du Grand Clermont

En quoi la révision du SCoT, dans un contexte de changement global, passe-t-elle par un changement culturel dans la manière de penser le territoire, son développement, le rapport à l’espace et à la vulnérabilité ? Entretien avec Bruno Valladier, vice-président du Grand Clermont en charge du SCoT.

Le SCoT (schéma de cohérence territoriale) du Grand Clermont couvre 104 communes et 4 EPCI
(établissements publics de coopération intercommunale), pour une superficie de 1 300 km2, et compte 430 000 habitants. Près de 50 % du territoire se situe dans l’un des deux parcs naturels régionaux (PNR) : le PNR des Volcans d’Auvergne, à l’ouest, et celui du Livradois-Forez, à l’est. Le SCoT du Grand Clermont, approuvé en 2011, est entré en révision en 2022.

Pourquoi avoir lancé la révision du SCoT du Grand Clermont fin 2022 ? Quels sont les objectifs de cette révision ?
C’est tout d’abord pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires. Le SCoT actuel a été approuvé en 2011, l’agence d’urbanisme Clermont Massif central a réalisé l’évaluation du SCoT à n+12 ans en 2023, et la question qui se pose aujourd’hui est celle de la mise en conformité du SCoT avec un certain nombre de lois (ALUR, ELAN, climat et résilience, etc.). Le deuxième objectif, éminemment plus politique et presque existentiel, vise à engager une refonte de notre vision en termes d’attractivité et de développement du territoire. Les crises sanitaires, les changements de mentalités et de modes de vie nous invitent à reconsidérer notre manière de
penser l’aménagement du territoire.

Afin d’engager cette révision, le Grand Clermont a organisé en 2023, avec l’appui de l’AUCM, une série de trois ateliers avec les élus des 4 EPCI membres du PETR (pôle d’équilibre territorial et rural). Ces ateliers ont mis en avant la nécessité de construire un SCoT « solidaire » à l’horizon 2050. Pourquoi cette notion est-elle importante ?
C’est une notion qui a émergé au fil des différents ateliers, car nous avons vu que nos territoires sont en réalité complémentaires, à l’inverse d’une vision qui opposerait le coeur métropolitain (autour de Clermont-Ferrand et de Riom), les pôles de vie et les territoires périurbains. Cette complémentarité se manifeste notamment dans l’organisation en archipel qui vise à consolider
les polarités en y développant des services de proximité. Mais la solidarité mérite d’être renforcée, notamment sur la question des mobilités. Le territoire est composé de deux zones majoritairement rurales, à l’est et à l’ouest, et d’un axe central métropolitain, et il nous semble indispensable de veiller à un développement harmonieux sur l’ensemble du territoire en plaçant au coeur du projet les solidarités ville-campagne, entre EPCI, mais aussi entre territoires de SCoT, pour éviter d’accentuer certains déséquilibres.

Par exemple, le projet alimentaire territorial (PAT) du Grand Clermont vise 50 % d’autosuffisance alimentaire en 2050. C’est une ambition forte en termes de complémentarité entre territoires qui doit se traduire dans le SCoT, notamment sur la question de la ressource en eau et de la place de l’agriculture, en vue d’accéder à une alimentation de qualité. La solidarité est aussi sociale, car les projections de l’Insee montrent que la population est amenée à vieillir et nous devons anticiper ces changements.

Est-ce que cette notion centrale de solidarité doit nous inviter, collectivement, à réinterroger le processus de métropolisation ? L’organisation du Grand Clermont en archipel doit-elle être renforcée ?
La première question à se poser est, en effet, celle de la redéfinition de l’armature territoriale, en modifiant nos critères et en intégrant ou non de nouveaux pôles de vie. Sur la métropolisation, une des craintes serait la gentrification progressive des campagnes rurales proches, avec a contrario une concentration des ménages les plus modestes dans le coeur métropolitain. Cela interroge nos priorités en matière de création d’emplois, par exemple : les activités artisanales, industrielles et commerciales doivent pouvoir se développer en dehors de la métropole, ce qui permet aussi de réduire les mobilités domicile-travail entre la métropole et les territoires périphériques. Seuls 12 % de nos trajets sont liés au travail et on peut donc s’interroger sur la notion d’immobilité. A-t-on besoin de se transporter physiquement pour être moderne, dynamique et efficace ? On peut trouver du bonheur dans une relation forte avec un territoire de 2 000 habitants et un accès facilité aux services de proximité, en réservant la mobilité à l’accès aux services et loisirs de niveau métropolitain.

De la même manière, faut-il penser autrement l’attractivité territoriale ?
Historiquement, on pouvait penser qu’on était attractifs parce qu’on avait un territoire avec beaucoup d’emplois et de nombreuses aménités, mais aujourd’hui, pour rester attractifs, il faut faire évoluer le modèle, car celui-ci est dépassé. Ce qui prime aujourd’hui, et surtout primera demain, c’est l’habitabilité, l’adaptabilité, la sérénité, la rencontre humaine, le relationnel, mais aussi le fait de pouvoir se nourrir correctement. On va devoir revenir aux fondamentaux. Il est probable aussi, qu’avec le changement climatique, les modèles alimentaires évolueront, on s’appuiera davantage sur les produits panifiés et on devra réduire notre alimentation carnée. Une certaine partie de la population a bien conscience de ces enjeux, mais elle n’est pas encore majoritaire. On doit notamment embarquer les jeunes générations dans cette réflexion et ce changement de modèle, les amener à se projeter en 2050 ! Enfin, nous savons que le processus de métropolisation n’a pas toujours apporté les résultats escomptés. Par exemple, nous pouvons questionner la notion d’attractivité dans un contexte de dépopulation, en s’interrogeant dans le SCoT sur notre capacité à anticiper à la fois le vieillissement des ménages,
les effets des migrations climatiques, mais aussi la transformation de l’emploi dans un contexte de relocalisation, d’accès limité aux ressources et de développement de l’intelligence artificielle.

Les études récentes montrent que le territoire du Grand Clermont est très vulnérable face au changement climatique (+ 2,5 °C en moyenne entre 1953 et 2021). L’État fixe
un objectif de « zéro émission nette » (ZEN) de CO2 d’ici à 2050. Comment intégrer
davantage les enjeux énergie-climat dans le SCoT pour respecter les objectifs du ZEN ?
Au-delà de l’obligation réglementaire, c’est aussi une obligation de survie. Sur la production d’énergies décarbonées, la question doit se poser dans le SCoT en identifiant les secteurs les
plus adaptés. L’autre question abordée lors des ateliers conduits par l’agence d’urbanisme est : a-t-on besoin de produire et de consommer autant d’énergie ? Cela rejoint la question des mobilités évoquée précédemment. A-t-on besoin de se déplacer autant ? Donc, l’objectif premier serait de réduire drastiquement nos déplacements pour limiter nos consommations d’énergies fossiles. Enfin, on doit s’interroger, à l’échelle de l’habitation, sur nos besoins en matière de chauffage et de climatisation. Les changements à engager à travers le SCoT touchent directement nos modes de vie, que ce soit sur l’eau, l’alimentation, l’énergie, les déplacements, etc. La question de la sobriété et de son acceptation sera centrale dans la révision du SCoT.

En tant que médecin, quelle place souhaitez-vous donner à la santé dans le SCoT ?
Les enjeux liés à la santé peuvent venir éclairer nos choix en matière d’aménagement et constituer un fil rouge pour la révision du SCoT. Le SCoT doit, en effet, contribuer à l’amélioration globale du cadre de vie et de la tranquillité des habitants. Par exemple, face à une sursollicitation de nos cerveaux, il est important de disposer de zones de calme, de répit, même sur des espaces réduits, où l’on peut se reposer, se ressourcer, se déconnecter. Ces espaces refuges (cérébraux, climatiques, pacifiés sont à inventer dans nos documents d’urbanisme, à travers des OAP [orientations d’aménagement et de programmation] multithématiques par exemple, qui peuvent mettre l’accent sur le cadre de vie et le bien-être des habitants : densités adaptées, cheminements doux, accès aux transports, services et commerces de proximité, présence d’espaces verts, etc.

Le projet « InspiRe » fait émerger la ville de demain

Avec InspiRe, un projet de mobilité sensible, mais également social, Clermont Auvergne Métropole recompose son réseau de transport public pour régénérer le rapport à la ville, afin qu’elle profite à tous.

Changer les comportements d’hommes et de femmes libres, quelle gageure ! C’est particulièrement vrai quand ce changement ne résulte pas du fait qu’un comportement autrefois acceptable ne l’est plus aujourd’hui, mais du fait que le comportement d’aujourd’hui n’est pas acceptable, compte tenu de ses conséquences pour demain. Trente ans après le sommet de Rio – trente ans, une génération complète –, quels nouveaux traits culturels sont apparus sur notre territoire, dans nos modes de production et de consommation ? Dans nos manières de nous déplacer ?

Chacun peut en juger sur son territoire. En ce qui nous concerne, nous avons eu, Olivier Bianchi, président de la Métropole, et moi, la conviction que nous devions aller plus loin et plus fort et, pour cela, rendre physiquement clair, palpable, sur une partie de la ville d’aujourd’hui, ce que sera la ville de demain. Nous avons ainsi lancé, après un temps de concertation et de préparation important, qui s’est étalé de 2016 à 2020 et après une validation électorale en mars 2020, le projet InspiRe.

Penser les mobilités comme une expérience sensible

L’heure que nous passons chaque jour à nous déplacer est d’abord une durée avant d’être une contrainte ou un plaisir ; c’est une durée sociale, à travers la ville, dans l’espace public, avec plus ou moins d’interactions et de sens mobilisés selon notre mode de déplacement.

À pied ou à vélo, spécialement dans le coeur urbain, rien ne nous sépare du dehors. Comme aménageurs de l’espace public, nous influons fortement sur ces sensations et perceptions : bruits, vues, trajectoires à choisir, risques, odeurs. En améliorant la fluidité et la sécurité, nous redonnons la liberté aux piétons et cyclistes de s’abandonner à leurs pensées ou de profiter de cet espace du dehors. En apaisant la circulation automobile, nous modifions aussi les bruits et réduisons les odeurs de gaz d’échappement. Le travail de façade à façade et la recomposition de l’espace urbain fabriquent une nouvelle ambiance. Avec InspiRe, c’est dans cet esprit que nous retouchons la ville, en traversant de part en part, d’est en ouest, intégralement, la métropole, sur 27 km. Cela se traduit matériellement par des trottoirs plus larges, des pistes cyclables, de la végétation, des mobiliers urbains composant des scènes variées, suivant la densité de population et la microrégion naturelle.

En transport en commun, nous sommes à la fois séparés du dehors par des vitres et mélangés à la foule. Nos sens nous renvoient à la promiscuité, à des mouvements qui nous sont extérieurs et auxquels nous devons nous adapter. Nous sommes parfois préoccupés d’un retard possible, d’une correspondance à ne pas manquer ou, au contraire, plongés dans notre monde intérieur de musique ou de lecture. Quand nous élaborons les réseaux, achetons les véhicules, concevons les infrastructures matérielles et immatérielles d’information, de jalonnements, de correspondances, nous ajoutons ou nous retranchons de la fatigue à l’usager, en améliorant le confort et en réduisant le stress. Avec InspiRe, nous avons cherché une certaine neutralité. Avec le choix de la propulsion électrique, le site réservé, la priorité aux feux : peu de secousses, un intérieur lumineux et peu sonore. Des mobiliers urbains simples, épurés, discrets, qui se repèrent, mais ne se donnent pas en spectacle. Un nouveau système d’information voyageur, accessible pour tous, qui rassure. Nous offrons aussi de nouvelles possibilités pour les habitants de se faire conduire – c’est un luxe – et donc de dédier ce temps de transport à une activité contemplative ou personnelle.

Si nous sommes en voiture – ce sera évidemment de moins en moins tout seul et de moins en moins de porte à porte –, nous percevons alors la ville, essentiellement, par la vue. Nous exerçons un effort de conduite et sommes également préoccupés par les risques d’embouteillage, d’accrochage, les déviations éventuelles, la recherche d’une place de stationnement. Pour nous, qui n’oublions pas que la voiture est le principal mode de déplacement, dans les conditions actuelles d’urbanisation qui se modifient sur le temps long, nous nous efforçons de compenser les augmentations de temps de parcours par une diminution de la fatigue. Nous fluidifions le trafic en réduisant les écarts de vitesse (c’est la ville à 30 km/h) et nous réduisons les détours en réinstallant des double-sens, à la place de deux ou trois voies à sens unique.

De manière générale, ce passage par le sensible nous oblige à penser le geste quotidien, l’individu et le groupe, pour qui nous réalisons l’aménagement. Que vivra-t-il ? À quoi a-t-il droit ? Qu’est-ce qu’il est juste de lui proposer et en fonction de quels critères ? Comment améliore-t-on le ressenti collectif, la qualité, l’accès ? Derrière chacune de ces questions, il y a de nombreuses orientations politiques. En réalité, comment pourrait-on provoquer un changement de comportement consenti par les citoyens si on n’associait pas sensation et représentation ?

Engager le débat, reconfigurer l’espace-temps, vers une société du
« mieux » mobile

Pour conduire cette transformation urbaine qui permette de vivre pleinement la ville, nous nous sommes engagés de manière continue sur le temps long de deux mandats municipaux. Cet engagement installe sur de longs mois, dans le débat public et, par ricochet, dans les conversations familiales, amicales, professionnelles, une réflexion sur la mobilité. Conservatrices ou progressistes, avec des points de vue variés, ces conversations ou diatribes sont une manifestation d’un possible changement d’habitudes. C’est pourquoi, nous avons placé le dialogue, avec tous les habitants, au coeur de la conduite de projet, en choisissant de mener des concertations bien plus fournies que les standards, en durée et en volume, en déclenchant l’enquête publique à un stade d’études préliminaires avancées, avant d’avoir bouclé l’avant-projet, pour que le dialogue soit effectif et puisse être pris en compte dans la réalité des aménagements.
Notre projet de mobilité n’est pas que sensible, il est également social, pour que la ville profite à tous.

Derrière ce slogan de mobilité pour tous, on peut entendre plusieurs principes. Nous cherchons à fabriquer une société « mieux » mobile, et pas « moins » mobile. Nous cherchons à maintenir les temps de parcours et à mieux les répartir entre les modes et les gens. Nous cherchons à favoriser les modes réellement urbains – c’est-à-dire ceux qui nous font pleinement vivre la ville – et non pas à restreindre l’accès à la ville.

Le large univers de possibles qu’offre la ville ne vaut ainsi que s’il est effectivement possible, donc accessible, financièrement bien sûr, mais déjà et en premier lieu physiquement. Or, les lieux recherchés évoluent avec l’air du temps, la désirabilité. Le regard nouveau que nous portons à l’épuisement des ressources non renouvelables, à l’énergie, à la pollution façonne aussi ce que nous jugeons agréable et nos loisirs s’en trouvent modifiés.

Le transport joue ainsi un rôle déterminant dans ce qu’est la ville réelle, celle qui nous est effectivement accessible dans notre budget-temps et notre budget-prix. Nous avons déjà pu évaluer, quantitativement, ce que la tarification solidaire et la gratuité du week-end généraient de déplacements nouveaux pour des citoyens autrefois empêchés. En déployant davantage d’offres, à moitié sur les deux lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) et à moitié sur le reste du réseau, nous agrandissons l’espace accessible d’une partie significative de la population et nous agrandissons la plage horaire où l’on peut être hors de chez soi. Par exemple, avec InspiRe, nous relions la ville de Clermont-Ferrand à celle de Cournon-d’Auvergne, où coule l’Allier qui est la grande rivière métropolitaine, toutes les 6 minutes, à l’heure de pointe, tous les jours de la semaine, de 5 h à 1 h du matin. Les bords de l’Allier deviennent plus accessibles, en particulier depuis l’ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), désormais tous situés le long d’une ligne forte.

En quelques mots, notre projet InspiRe constitue une proposition pour un changement de rapport à la ville, passant par le sensible, qui éclaire le bénéfice des transitions en cours.