La revue
Revenir à la Une
Partager

Article paru dans le Hors-série Urbanisme n°79,
reproduit avec l’aimable autorisation de la revue Urbanisme.

Consulter le sommaire et commander la revue :
https://aucm.fr/publication/hors-serie-urbanisme-n79/

Image d’illustration : © Direction de la culture, Clermont Auvergne Métropole

1/L’Ideas Box est une médiathèque en kit qui tient sur deux palettes, elle
s’ouvre en moins de vingt minutes pour créer un espace culturel de 100 m2,
avec connexion Internet, ordinateurs et tablettes, livres numériques et
papier… Imaginée par Bibliothèques sans frontières et dessinée par Philippe
Starck, elle a été initialement conçue pour reconnecter les familles et renforcer
l’éducation dans les situations d’urgence humanitaire (ndlr).

Faire vivre la lecture à l’échelle intercommunale

Par Pierre Patureau-Mirand, directeur de la culture, Clermont Auvergne Métropole - 28.05.2024

Le réseau de lecture publique, créé en 2004 dans le cadre d’un projet de territoire, avec le double objectif de favoriser la solidarité culturelle et son attractivité, est un élément fort de structuration de la politique culturelle de la métropole clermontoise.

La création du ministère des Affaires culturelles, en 1959, a marqué un tournant significatif dans la reconnaissance de la culture comme élément essentiel de la société française. Ce ministère, chargé de coordonner les politiques culturelles à l’échelle nationale, avait pour objet de promouvoir l’accès à la culture pour tous les citoyens. En parallèle, la volonté de décentralisation, qui s’est intensifiée dans les années 1980, a conduit à un transfert progressif de compétences et de moyens vers les collectivités territoriales. Cela a favorisé une gestion plus proche des besoins et des réalités locales, tout en renforçant la présence de la culture sur l’ensemble du territoire français. Ce maillage territorial de lieux culturels a joué un rôle crucial dans la démocratisation de l’accès à la culture en France. Il a permis de diffuser les pratiques culturelles et artistiques au sein des différents territoires, favorisant ainsi l’épanouissement d’une culture vivante et diversifiée.

C’est en 1999, avec la loi Chevènement, qu’une bascule s’est opérée avec le renforcement de l’intercommunalité qui instaure un cadre légal favorable à la coopération entre les communes, tout en élargissant les compétences de ces structures intercommunales. Elle a ainsi contribué à moderniser et rationaliser l’organisation territoriale du pays. En matière de politiques culturelles, cette nouvelle approche a permis de franchir un nouveau cap en intégrant une dimension de solidarité territoriale, passant ainsi d’une logique d’équipement à une logique de territoire. Cette nouvelle orientation a encouragé les communes à travailler ensemble, afin de mutualiser leurs ressources et leurs compétences. Cette approche a favorisé une meilleure coordination des politiques publiques à une échelle de bassin de vie, permettant ainsi une utilisation plus efficace des moyens disponibles.

Un modèle d’intégration intercommunale.

À l’instar de Montpellier et Toulon, la politique culturelle intercommunale clermontoise peut être mentionnée comme l’un des rares exemples de transfert du centre de gravité de la politique culturelle de la ville-centre vers la métropole (cf. Culture et Métropole. Une trajectoire montpelliéraine, d’Emmanuel Négrier et Philippe Teillet, Autrement, 2021). En conseil communautaire du 2 juillet 2004, les élus ont délibéré sur l’adoption d’un schéma d’orientation communautaire du développement culturel, qui permettait d’inscrire à l’agenda une feuille de route sur une durée de quinze ans, dépassant les logiques du mandat, à l’échelle d’un territoire intercommunal composé de 21 communes. Dans cette feuille de route, la décision politique de transférer toutes les bibliothèques municipales a affiché la volonté de créer un réseau de lecture publique dans le cadre d’un projet de territoire, avec pour double objectif de favoriser la solidarité culturelle et son attractivité. Cette décision a permis de passer de la théorie à la pratique avec la création d’un réseau de lecture publique quasi unique en France. Ce réseau composé de quinze bibliothèques et médiathèques ainsi que de deux bibliothèques spécialisées (Centre de documentation du cinéma et du court métrage La Jetée et Bibliothèque du patrimoine) s’emploie à faire vivre la lecture, les pratiques culturelles et l’inclusion sociale sur le territoire. Ce réseau se singularise par son organisation en bassins de lecture, son fonctionnement transversal et mutualisé, dont la vocation est de s’inscrire au plus près des populations et de prendre en compte la grande diversité des publics des territoires. Avant le transfert effectif, au 1er janvier 2005, seules deux bibliothèques étaient aux normes en termes de surface, selon le ministère. La création d’un plan de lecture publique dans le sillage du schéma a permis de développer une stratégie sur un temps suffisamment long pour transformer en profondeur l’offre en matière de lecture publique, en proposant à la population un service public particulièrement performant.

Les principes d’organisation du réseau de lecture publique en bassins de vie, appelés bassins de lecture, ont démontré que la commune n’est plus l’unique échelon d’action d’une politique culturelle, et que l’offre s’articule en intégrant des logiques de microterritoires au plus proche de la réalité de la vie des usagers. Cette organisation par bassin a permis de créer un maillage territorial, strate intermédiaire permettant un pilotage métropolitain tout en mobilisant des agents et des moyens d’action à l’échelle des bassins de lecture, afin de conserver une relation de proximité avec les usagers.

Le PCSES du réseau de lecture publique 2021-2027

Les principes organisationnels du réseau de lecture publique perdurent depuis 2005, et sont affirmés à nouveau dans le nouveau projet culturel, scientifique, éducatif et social (PCSES) du réseau de lecture publique 2021-2027 délibéré par le conseil métropolitain du 28 mai 2021. Sur la base d’un diagnostic partagé à l’échelle du réseau, intégrant également des données du territoire, et à la suite d’un travail collégial associant l’ensemble des personnels du service lecture publique, de la direction culture et des élus métropolitains, quatre axes ont été proposés pour faire évoluer le réseau sur les années 2021-2027.

Le premier concerne l’équité territoriale en continuant à améliorer le maillage du territoire, en proposant de retravailler sur la desserte de l’offre mobile de bibliobus permettant de desservir des communes n’ayant pas de bibliothèques, en développant des actions « hors les murs » par la promotion d’une bibliothèque mobile (« Ideas Box 1 »), en favorisant la mobilité des documents sur le réseau par la mise en place du prêt universel et en réduisant les inégalités d’accès liées à l’éloignement géographique pour certains usagers par le portage à domicile, le portage collectif, voire la mise en place de retraits automatisés.

Le deuxième axe a pour objectif de diversifier et renforcer l’action sociale des bibliothèques, en poursuivant la mission d’accueil de tous les publics en situation de handicap, d’illectronisme, allophone, par un accompagnement spécifique pouvant aller jusqu’à l’assistance dans certaines démarches administratives. Cet axe nécessite également de faciliter largement l’accès aux bibliothèques en repensant les horaires d’ouverture au regard de l’évolution des temps des usagers, mais également en donnant de la visibilité à l’offre proposée par la bibliothèque en ligne.

Le troisième axe porte sur le développement des nouveaux usages. L’offre doit être plurielle et sa diversification doit permettre d’accompagner les publics dans de nouvelles pratiques, accentuant la dimension tiers-lieu par la participation et la coconstruction avec la population. Cet axe invite à construire de nouveaux espaces en fonction de nouveaux usages, de se doter d’une offre en ligne structurée autour d’une politique documentaire numérique, tout en améliorant la connaissance des publics et « non publics ».

Le quatrième et dernier axe a trait aux dynamiques transversales nécessaires pour l’affirmation de ce réseau métropolitain, qui, bien qu’organisé par bassin pour répondre à une dimension de proximité, est structuré à l’échelle métropolitaine, ce qui en fait une singularité et une force. Les réflexions sur une politique d’accueil ou documentaire à l’échelle du réseau sont des exemples de la nécessité de dépasser le cadre des bassins. L’organisation de ce réseau est métropolitaine et il est nécessaire, à ce titre, de créer une communauté par la cohésion des équipes en favorisant la montée en compétences des agents, leur mobilité sur le réseau, le partage des pratiques dans le cadre de journées professionnelles et inscrire cette politique au même niveau que les autres politiques métropolitaines.

Ces axes devraient être prochainement complétés par une entrée « développement durable et transition », car un PCSES, fixant un cap et dessinant une trajectoire à suivre, doit rester évolutif et en prise avec l’arrivée au premier plan de thématiques urgentes. L’organisation d’un réseau métropolitain sans prédominance d’un équipement central a permis de mettre en avant toutes les spécificités du réseau sans avoir un tropisme au niveau de la ville-centre. L’arrivée du projet de bibliothèque métropolitaine de l’Hôtel-Dieu va permettre de passer un nouveau cap dans la construction d’une politique métropolitaine de lecture publique, déjà bien structurée, en offrant de nouvelles perspectives à la population par de nouveaux services, une nouvelle offre qui s’inscrira dans les axes du projet culturel, scientifique, éducatif et social du réseau. Elle doit toutefois être préparée en veillant à ce qu’une gouvernance repensée veille à préserver des équilibres liés à l’histoire d’un réseau sans centre, au moment où ce dernier doit intégrer un équipement comptant à lui seul autant de surface que l’ensemble des établissements existants.