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Consulter le cheminement et l’historique de l’étude URBA4 à travers la « storymap » : https://storymaps.arcgis.com/stories/456f135243bc47b6b15738a55c8136e2

[1] Sont considérés comme des passoires thermiques les logements dont le Diagnostic de Performance Énergétique est médiocre (E, F et G). La loi dite “Climat et résilience” prévoit l’interdiction de mise en location des logements classés F en 2025, G en 2028 et E en 2034. Depuis janvier 2023, les logements dont la consommation est supérieure à 450 kwh/m²/an sont interdits à la location.
[2] L’ensemble des supports et documents produits durant l’étude sont disponibles sur : Passoires thermiques : de la nécessité d’unir nos efforts (arcgis.com)
[3] Dans le cadre de cette étude, le travail d’estimation ne porte que sur les logements dont le DPE est F ou G pour cibler en priorité les premiers logements concernés par l’interdiction de mise en location.
[4] Le travail d’estimation mené dans le cadre de l’étude se base sur les données ADEME des DPE réalisés entre juillet 2021 et décembre 2022 (nouveau DPE). Des critères discriminants dans l’obtention d’un DPE médiocre pour un logement ont été retenus afin de qualifier les passoires thermiques (maison ou appartement, petites surfaces, typologie urbaine, logement d’avant 1975, altitude, statut d’occupation). Ceux-ci se basent sur la méthodologie appliquée à l’échelle nationale par le SDES. Un redressement des DPE de la base ADEME a ensuite été effectué sur ces critères à partir des fichiers fonciers. Les limites des bases ADEME DPE et fichiers fonciers s’appliquent donc également à ce travail d’estimation.

[5] Le 12 février 2024, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a annoncé la mise en consultation d’un projet d’arrêté visant à rendre les seuils DPE plus équitables pour les petits logements. Cet arrêté devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2024. Actuellement, les consommations d’énergie étant exprimées au regard de la surface en m² du logement, les consommations d’eau chaude sanitaire au m² sont plus élevées pour une petite surface relativement à une plus grande surface, pour des besoins en eau chaude sensiblement identiques.

[6] Le permis de louer est un dispositif instauré par la loi ALUR visant à lutter contre l’habitat indigne en permettant aux communes ou EPCI qui le souhaitent d’appliquer des mesures de contrôle des biens mis en location. Tout propriétaire-bailleur d’un logement situé dans un secteur concerné par le permis de louer doit faire une déclaration préalable de mise en location ou demander une autorisation de mise en location.

Passoires thermiques : de la nécessité d’unir nos efforts en Auvergne-Rhône-Alpes !

Par Amélie Leroux, Chargée d'études Habitat et Observatoire Local des Loyers - 08.04.2024

Pour accélérer la rénovation énergétique et limiter la précarité qui en résulte, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 prévoit l’interdiction progressive d’ici à 2034 de la mise en location des logements énergivores dits « passoires thermiques »[1]. Cette interdiction basée sur l’étiquette énergétique issue du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) du logement devrait fortement impacter le marché locatif. Elle s’inscrit également dans un objectif de sobriété foncière liée au Zéro Artificialisation Nette (ZAN), en obligeant à optimiser l’usage du parc de logements existant. La lutte contre les passoires thermiques constitue dès lors un défi d’ampleur, mobilisant l’ensemble des politiques publiques du logement, de l’urbanisme et de la maîtrise de l’énergie.
Afin d’appréhender les impacts de cette mesure, le réseau des quatre agences d’urbanisme d’Auvergne-Rhône-Alpes (Urba4) et l’ADEME ont proposé un cadre de réflexion et d’échanges aux collectivités, EPCI et acteurs de l’habitat de la région à travers la réalisation d’une étude dédiée, amorcée en 2022 et clôturée par un séminaire le 5 décembre 2023 [2].
Deux problématiques ont guidé les travaux et réflexions du groupe : quels sont les principaux impacts et enjeux de l’interdiction annoncée de mise en location ? Quels leviers peuvent être activés par les territoires pour agir sur les passoires thermiques ?
Pour y répondre, deux approches ont été déployées. Tout d’abord la quantification et la cartographie du phénomène à l’échelle régionale, pour permettre une meilleure connaissance et un potentiel suivi des logements étiquetés F et G [3]. En parallèle, l’organisation de groupes de travail et d’échanges sur les politiques publiques mobilisables et re-mobilisables pour agir sur ces logements, selon deux situations territoriales diversifiées : un groupe pour les territoires ruraux, un groupe pour les métropoles de la région AURA.

Vers une contraction massive du parc locatif privé en Auvergne-Rhône-Alpes ?

Selon les résultats du travail d’estimation mené dans le cadre de l’étude Urba4 [4], plus d’un million de logements seraient des passoires thermiques F et G à l’échelle régionale, soit 21 % du parc de logements. Ces passoires sont particulièrement nombreuses dans le parc de logements antérieur à 1975 (avant les premières réformes thermiques), où plus d’un logement sur 3 aurait un DPE F et G, mais aussi dans les logements de petites surfaces : 27,1 % de passoires estimées parmi les maisons de moins de 80 m² et 24,8 % parmi les appartements de moins de 60 m². A noter sur ce dernier point que les récentes annonces gouvernementales sur un réajustement de la méthode de calcul du DPE en faveur des petites surfaces, actuellement discriminées, pourraient réduire la part de passoires thermiques parmi ces logements[5].

Le parc locatif privé devrait être le segment du parc locatif le plus impacté par la réglementation, les logements y étant moins souvent réhabilités que dans le parc social. En Auvergne-Rhône-Alpes, 147 000 logements – soit 19,3 % du parc locatif privé – sont estimés être des passoires thermiques (F et G). Parmi ces logements, 60 000, soit 40 % d’entre eux, se situent au sein des quatre métropoles de la région. En volume, les passoires thermiques se concentrent ainsi sur les espaces urbains denses, où un enjeu de massification de la rénovation énergétique apparaît. Pour autant, en pourcentage de parc, les secteurs ruraux et de montagne sont amenés à être plus impactés. Le parc locatif privé étant généralement faible dans ces zones, l’interdiction de location, même de peu de logements, impactera fortement l’offre locative disponible sur ces territoires. Les conséquences et enjeux liés à l’interdiction de mise en location des passoires thermiques sont donc bien distincts selon les territoires.

De la nécessité d’engager une  démarche de rénovation du parc locatif privé

Les acteurs rencontrés lors de l’étude mettent en avant plusieurs enjeux liés à cette réduction annoncée de l’offre locative privée. Les solutions d’accompagnement existantes sont jugées insuffisantes au vu du volume de passoires thermiques à rénover, et la massification nécessaire de la rénovation thermique des logements apparaît difficile à mettre en œuvre. 

D’autres freins à une rénovation significative du parc locatif privé sont évoqués : capacité des propriétaires à réaliser des travaux  -par manque de ressources financières ou difficultés à se lancer dans des travaux-, difficultés à faire voter les travaux dans les copropriétés, absence de budget suffisant dans les collectivités pour accompagner financièrement cette rénovation par le biais de subventions complémentaires de celles de l’Etat.

Sans possibilité de réaliser les travaux nécessaires pour continuer à louer leur bien, les propriétaires-bailleurs pourraient adopter différentes stratégies : la mise  en vente de leur logement, qui interroge la capacité de l’acquéreur à réaliser les travaux et fait donc peser un risque de voir augmenter le nombre de propriétaires-occupants en précarité énergétique ; le report vers la location touristique du bien, le parc touristique n’étant pas concerné par l’interdiction de mise en location ; la mise en vacance du bien, par un désengagement du propriétaire qui ne souhaite ni vendre, ni réaliser de travaux ; le non-respect de l’interdiction et la mise en location du bien auprès de ménages précaires. 

La sortie massive de logements du parc locatif privé pourrait également avoir des répercussions sociales. Les passoires thermiques du parc privé sont souvent des logements occupés par des ménages relativement modestes. La faible qualité thermique de ces logements  maintient leurs loyers à des niveaux plus accessibles, ce qui confère à ce parc un rôle de parc social « de fait ». Dans ce contexte, la contraction du parc locatif privé pourrait accentuer les difficultés de logement de ménages modestes, qui se reporteront vers le parc social, contribuant à en accentuer la tension.

Globalement, la réduction probable de l’offre locative privée du fait de rénovations thermiques  insuffisantes, pourrait accentuer la tension sur les marchés locatifs. Dans un contexte de sobriété foncière, le développement d’une offre dans le neuf suffisante pour combler le retrait des passoires thermiques du parc n’est toutefois pas une solution envisageable. Ainsi, afin de maintenir une offre locative à la hauteur des besoins, les territoires n’ont d’autres choix que d’identifier des  leviers pour agir sur les passoires thermiques.

Divers leviers mobilisables et re-mobilisables par les territoires pour agir sur les passoires thermiques

Lors des groupes de travail, les acteurs mobilisés ont, au travers de leurs retours d’expériences, mis en avant plusieurs leviers pour agir sur les passoires thermiques. 

Premier levier, planifier, pour intégrer la rénovation énergétique dans des stratégies territoriales globales : les stratégies de lutte contre les passoires thermiques développées par les territoires nécessitent, pour plus d’efficacité et de cohérence avec l’ensemble des politiques du territoire dans un contexte de sobriété foncière, d’être inscrites dans les différents documents d’urbanisme (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal, Programme Local de l’Habitat…) afin d’avoir une vision territorialisée de la rénovation et de cadencer celle-ci dans le temps. Ces démarches de rénovation peuvent aussi s’inscrire dans des stratégies plus globales de revitalisation des territoires (Action Cœur de Ville, Petites Villes de Demain…), notamment dans les secteurs plus ruraux, pas toujours dotés de documents d’urbanisme.

Deuxième levier, inciter et accompagner la rénovation énergétique par un appui à des dispositifs d’accompagnement complets (financier, technique et administratif) à destination des particuliers, mais également des professionnels de l’immobilier. 

Troisième levier, contraindre, pour remobiliser des biens et enclencher une dynamique de rénovation énergétique : des outils tels que le permis de louer [6] ou la taxe sur les logements vacants,  au-delà de leur caractère coercitif, sont avant tout des portes d’entrées pour enclencher auprès des propriétaires de logements énergivores une dynamique de rénovation énergétique, voire anticiper des situations de dégradation.

Plus globalement, un besoin d’améliorer la connaissance des logements en situation de passoires thermiques pour développer des outils adaptés est également apparu : l’ensemble des acteurs fait le constat de l’existence d’une multitude de sources de données et d’outils, rendant la connaissance du phénomène peu lisible et peu précise. Ils soulignent ainsi l’intérêt de disposer d’un outil harmonisé de connaissance des passoires thermiques pour proposer des solutions de rénovation adaptées aux caractéristiques de chaque territoire. 

Si ces différents leviers ne sont pas mobilisables de la même manière par l’ensemble des territoires – les territoires ruraux par exemple n’étant pas tous dotés de documents d’urbanisme leur permettant de planifier la rénovation – tous mettent en avant la nécessité de s’appuyer sur une stratégie globale et un écosystème d’acteurs pour mettre en œuvre une rénovation efficiente, à la hauteur des enjeux soulevés par l’interdiction de mise en location des passoires thermiques.

Unir les efforts pour lutter contre la rénovation énergétique paraît ainsi une nécessité.