La revue

La recré-action fait son chemin, en reconsidérant la place du vivant dans la fabrique urbaine

Par Violaine Colonna d'Istria, Chargée d’études Vulnérabilités Urbaines - 25.01.2024

Le 12 septembre 2023 a eu lieu la quatrième rencontre du cycle “Recré-action”, organisée par l’AUCM en parallèle de l’élaboration du PLU de la Métropole. Cette formation-action expérimentale est conçue pour prendre du recul, débattre et construire ensemble un passage à l’action, en cherchant à questionner nos comportements et nos modèles dans le contexte d’un urbanisme métropolitain confronté à l’urgence écologique et sociale. 

Les alertes météorologiques de ce début de soirée n’ont pas découragé la participation d’une vingtaine d’élus et de techniciens du territoire métropolitain à une balade sensible dans la commune de Châteaugay. Sillonner le territoire de cette commune avait pour objectif de reconsidérer la place du vivant dans la fabrique urbaine à travers plusieurs arrêts et expériences sensibles. Dans un contexte de diminution de la biodiversité et d’épuisement des écosystèmes, cette approche visait à expérimenter une manière de poser la question de la façon dont nous, humains, condescendons à faire place aux autres espèces vivantes et dont nous négligeons, parfois, les liens d’interdépendances entre les différents représentants du vivant.

Réintroduire le vivant dans les cours d’écoles

La cour de l’école primaire de Châteaugay a constitué le premier arrêt de cette balade. A cette occasion, Thomas Weibel, conseiller délégué à la ville de Clermont-Ferrand en charge de la végétalisation des cours d’école et Elodie Sauzède, chargée de mission Nature en ville à la ville de Clermont-Ferrand ont présenté à deux voix le projet “Respire la récré” qui consiste à redonner une place à la nature dans les cours d’école clermontoises. 

Issu d’une promesse électorale forte, ce projet hérite du constat selon lequel les cours d’école sont inadaptées aux besoins des enfants, tant en termes de développement social, humain et cognitif qu’en termes de motricité. Réintroduire le vivant dans ces espaces a des effets très positifs pour le développement des compétences motrices des enfants, la pratique de l’activité physique mais aussi pour le confort de tous, en rafraîchissant les espaces extérieurs. Deux dimensions de projets et d’enveloppes budgétaires qui y sont consacrées ont été prévues. Dans le cas des projets les plus modestes, la co-construction avec l’ensemble des personnes fréquentant les établissements concernés, principe opérationnel général, se double de leur participation active. Enseignants, animateurs périscolaires, parents d’élèves et élèves sont invités à contribuer aux travaux, aux plantations et aux transformations des espaces. La transformation progressive des cours d’école donne des résultats très positifs et le projet gagne, suite à des premières expériences, en fluidité et en capacité d’essaimage. 

Mieux comprendre les arbres pour en faire nos alliés face au changement climatique

Dans un second temps, Thierry Ameglio, directeur de recherche à l’UMR PIAF, a présenté le travail de son laboratoire de recherche sur la “Physique et Physiologie Intégrative de l’Arbre en environnement Fluctuant” (PIAF) au groupe rassemblé dans le parc Jay. Spécialisé depuis plusieurs années sur la question de la végétation en ville, les travaux de ce laboratoire s’intéressent aux effets sur tous types d’arbre des conditions environnementales particulièrement contraintes que les environnements urbains proposent aux sujets : sol limité, chaleur émanant des bâtiments… Le PIAF participe ainsi actuellement à plusieurs expérimentations destinées à éclairer les choix d’avenir pour les plantations nouvelles au regard du contexte climatique et de la résistance connue des espèces végétales. Thierry Ameglio a partagé avec le groupe l’exemple de l’observation en cours sur les arbres du quartier Saint-Jacques à Clermont, exposés à de nouvelles conditions de vie suite à la destruction de la “Muraille”. Une instrumentation permet de suivre, par des capteurs positionnés sur les sujets observés, le bien-être et le niveau de stress hydrique auquel ils sont confrontés. Thierry Ameglio a ainsi fait remarquer qu’une suite de jours chauds sans précipitations avait permis d’observer une réduction du diamètre des branches de ces arbres. 

Se mettre à la place des arbres, une manière de sortir d’une approche utilitariste ?

En guise de transition vers le moment de la séance consacrée à la balade sensible, Stéphane Cordobes, directeur de l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a noté le maintien d’une vision très utilitariste des végétaux dans les présentations proposées : les arbres sont considérés pour leur intérêt pour le confort des humains et utilisés pour les apports en matière de qualité de vie induits. La transformation culturelle importante que le contexte d’urgence écologique, climatique et sociale impose impliquerait cependant davantage de lier de nouvelles relations avec la végétation et les animaux en redéfinissant la nature de nos cohabitations, de nos liens et du partage des ressources nécessaires aux besoins du vivant, toutes espèces confondues. 

Mentionner, comme l’a fait Thierry Ameglio, l’existence d’un “cri de l’arbre” lorsque celui-ci est soumis à des événements stressants peut-il contribuer à nous relier davantage à ces vivants non humains ? C’est ce que la balade sensible s’est attachée à produire, en invitant les participants à se mettre “dans la peau d’un arbre” et à imaginer ce que les arbres nous diraient s’ils partageaient le même langage que nous. Cette expérimentation a été perturbée par une collision entre un véhicule et un chien à proximité du groupe. Cependant, cette expérience commune a mis l’accent sur plusieurs notions telles que la fragilité du vivant et l’insécurité et la conflictualité des espaces urbains. L’acceptabilité sociale, qui préoccupe les acteurs du territoire, a également constitué un fil rouge de cette séance. Entre des riverains qui s’opposent parfois à laisser davantage d’espace aux végétaux, la pression foncière, des demandes toujours croissantes d’espaces à urbaniser et les limites des outils réglementaires et de leur application, les élus ont exprimé un certain découragement quant à leur capacité à protéger les végétaux et à contribuer à la transformation des imaginaires et au développement de nouvelles formes de relations et d’interactions avec la végétation et les animaux. 

En conclusion, les participants ont exprimé une volonté de transformer les manières de travailler et d’être au monde, notamment en partant du PLU de la Métropole, non comme un document figé mais comme un lieu de réflexion et de mise en oeuvre susceptible de recevoir des ajustements et nécessitant, de ce fait, un travail collaboratif en continu à maintenir sur la durée de son exécution.