La revue
Revenir à la Une
Partager

1  Regnier Elodie, 2023, « Sols menacés », Peut-on encore sauver les sols ?,  Ressources N°4 La revue de l’INRAE, p.73-74

2 Article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme : « L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. »

3 Décret n°2023-1096 du 27 novembre 2023 relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols

4 Article R2231-1 du code général des collectivités territoriales https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048465959

5 Le territoire du Grand Clermont se compose de la communauté d’agglomération Riom Limagne et Volcans, des communautés de communes de Mond’Arverne Communauté et de Billom Communauté et de Clermont Auvergne Métropole. Cf. https://www.legrandclermont.com/le-territoire

Consommation d’espaces versus artificialisation des terres : au-delà de la sémantique, la nécessaire préservation des fonctions écologiques des sols

Par Christel Estragnat, chargée d’études en économie territoriale - 26.08.2024

Qu’est-ce qu’un sol ? Comment comprendre, suivre et analyser les notions de consommation et d’artificialisation des espaces naturels et agricoles à l’échelle locale ? Comment imaginer collectivement un modèle d’aménagement qui ménage les sols ? En fixant l’objectif du « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) à l’horizon 2050, la loi Climat et Résilience nous incite à reconsidérer notre rapport au sol et à recomposer nos cultures de l’aménagement, pour produire de nouvelles trajectoires basées sur l’efficacité et la sobriété foncières.

Après avoir abordé la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre avec les Shifters, l’Alliance pour la transition écologique et solidaire de la métropole clermontoise a fait appel à l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central pour co-animer son deuxième atelier consacré à la thématique de l’artificialisation des sols. Partager les savoirs élémentaires / principaux sur les sols, dresser un état de la situation locale, esquisser les trajectoires potentielles vers des aménagements plus sobres : une étape nécessaire à l’appropriation de la problématique pour contribuer à la co-construction de la feuille de route du territoire en matière de transition à l’horizon 2025.

Préserver les sols : de quoi parle-t-on ?

Avant de se lancer dans la mesure de l’artificialisation imposée par le législateur, il s’agit de mieux comprendre la ressource que constitue le sol. Le sol se définit comme la couche superficielle de la croûte terrestre dont l’épaisseur varie de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres. Véritable épiderme vivant de la planète, il est paradoxalement le plus méconnu des écosystèmes terrestres. Il s’agit pourtant d’une ressource indispensable assurant une foule de fonctions essentielles telles que le stockage de carbone, la filtration de l’eau ou encore l’accueil de multiples organismes vivants, animaux et végétaux. Le sol ne se renouvelle que très lentement, la formation d’un centimètre peut prendre jusqu’à 200 ans. Or la ressource s’avère fragile et se dégrade rapidement. Plus de 60 % des sols sont dégradés en Europe. Les principales menaces qui pèsent sur les sols européens [1] sont l’érosion et l’artificialisation, mais les sols sont également soumis à de nombreuses pollutions et contaminations comme le plastique ou les pesticides. De nombreuses législations et stratégies nationales se sont donc emparées des enjeux liés à la protection des sols. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 franchit un pas supplémentaire en reconnaissant les sols non plus seulement comme un support en deux dimensions mais comme un milieu en trois dimensions. Elle introduit et définit la notion d’artificialisation des sols dans le code de l’urbanisme, faisant ainsi référence aux fonctions écologiques des sols [2].

Définir et observer la consommation d’espaces et l’artificialisation des sols

Il importe de distinguer deux notions complémentaires : d’une part la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) qui se focalise sur l’usage de l’espace en mesurant la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés. Cette notion renvoie à celle d’étalement urbain ; d’autre part, l’artificialisation des terres, qui prend en compte l’impact sur les fonctions biologiques, hydriques, climatiques et agronomiques des sols. La trajectoire ZAN demande d’abord de diviser par deux la consommation d’ENAF sur la période 2021-2031 par rapport à la période 2011-2021, puis de réduire l’artificialisation par tranche de dix ans pour parvenir à zéro artificialisation nette en 2050, soit une balance équilibrée entre l’artificialisation d’un côté et les opérations de restauration des sols – renaturation ou désartificialisation – de l’autre.

La mesure de la consommation d’espaces et de l’artificialisation relève d’obligations réglementaires, les premiers indicateurs obligatoires de suivi devant être établis dès cet été par les territoires dotés de documents d’urbanisme [3]. Le socle minimal de suivi s’articule autour de quatre indicateurs [4] : la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées, telles que définies dans la nomenclature, les surfaces dont les sols ont été rendus imperméables, et enfin l’évaluation du respect des objectifs de réduction de la consommation d’ENAF et de lutte contre l’artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d’urbanisme.

Le décret du 27 novembre 2023 relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols précise la nomenclature des surfaces qualifiées d’artificialisées : les sols imperméabilisés, en raison du bâti ou d’un revêtement, les sols stabilisés ou compactés, les sols constitués de matériaux composites, les surfaces végétalisées herbacées à usage résidentiel (jardins), de production secondaire ou tertiaire ou d’infrastructures et enfin les surfaces en chantier ou à l’abandon. En sont exclues les surfaces à usage agricole.

Quelles tendances localement ?

Sur la période 2011-2020, en moyenne 122 ha ont été aménagés tous les ans à l’échelle du Grand Clermont [5], dont 47 ha par an pour la métropole clermontoise. 80 % des terres nouvellement urbanisées étaient auparavant agricoles, 20 % des espaces naturels (des landes ou des bois). La construction de logements, portée par les maisons individuelles des quartiers pavillonnaires, reste la principale cause de consommation d’espaces sur la dernière décennie. 60 % des surfaces consommées à l’échelle du Grand Clermont sont à vocation de l’habitat, 55 % à l’échelle de la Métropole. Le développement économique constitue la deuxième cause majeure de l’urbanisation. Près de 30 % des surfaces consommées à l’échelle du Grand Clermont sont à vocation économique, presque 40 % à l’échelle de Clermont Auvergne Métropole.

Des leviers pour agir

Le chemin à parcourir pour aboutir au ZAN reste important. Pour autant, les leviers d’action permettant de limiter l’artificialisation sont connus : mobiliser les dents creuses, soit les emprises non bâties ou à faible emprise bâtie au sein de la tâche urbaine ; densifier pour améliorer l’efficacité foncière, par exemple par le biais de la surélévation (Produire un logement à l’échelle du Grand Clermont consomme en moyenne 340 m2 de foncier, 196 m2 à l’échelle de la Métropole) ; recycler le foncier en mobilisant les friches, par le biais de la démolition-reconstruction ou encore par le traitement de la vacance. (Entre 2012 et 2021, plus de 40 % des logements livrés à l’échelle du Grand Clermont ont été produits en renouvellement urbain, plus de la moitié à l’échelle de la Métropole) ; ou enfin intensifier les usages par davantage de mutualisation et de mixité des usages ou la réversibilité des bâtiments.

L’observation et le suivi des politiques publiques en matière de foncier s’avèrent indispensables pour répondre aux enjeux de la transition écologique. Ces objectifs invitent les collectivités à repenser leur culture d’aménagement pour qu’elle s’inscrive dans une logique de sobriété spatiale
L’Agence d’urbanisme Clermont Massif central poursuit ses travaux pour le déploiement d’un observatoire foncier qui permettra de se mettre en capacité de mieux anticiper, cibler et prioriser les actions à mener.