Article paru dans la publication FNAU « TRAITS D’AGENCES N°45 – Septembre 2024« .
Reproduit avec leur aimable autorisation.
Illustration : Lou Herrmann. Carnet dessiné – 44e rencontre FNAU, Clermont-Ferrand, Novembre 2023.
1. Loisel Manon et Rio Nicolas, Pour en finir avec la démocratie participative, Textuel, 2024
2. Déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle (2001), Déclaration de Fribourg sur les droits culturels (2007), Observation 21 des nations unies sur le droit de chacun à participer à la vie culturel (2009) – https://droitsculturels.org/observatoire
3. https://reseauculture21.fr/blog/2023/01/28/habitatespace-public-et-droits-culturels/
Régénérer la fabrique des espaces publics : l’hypothèse des droits culturels
L’accroissement de la vulnérabilité de nos territoires face au changement global, l’absolue nécessité de réorienter nos manières de les habiter, de les édifier, s’inscrivent paradoxalement dans un contexte d’affaiblissement de la démocratie. Que peut l’espace public, en tant que support d’interactions, de pratiques sociales, mais aussi de trajectoires individuelles, pour accompagner nos efforts de transitions ? Quelles voies possibles pour l’urbaniste dans cette recomposition ?
De la participation citoyenne aux droits culturels
Alors que la participation citoyenne, longtemps perçue comme la voie royale vers une réappropriation collective des problématiques publiques, peine à tenir ses promesses [1], un pas de côté semble nécessaire pour régénérer la fabrique des espaces publics. Il s’agit notamment de penser d’autres formes de médiation avec l’habitant, en prenant en compte la diversité des façons de vivre, la pluralité des références culturelles, la multiplicité des imaginaires qui fondent notre capacité à faire collectif. L’approche des espaces publics sous l’angle des droits culturels constitue en ce sens une hypothèse de travail. Elle pourrait répondre à un double enjeu : d’une part, renforcer la capacité de chaque habitant à se réaliser au sein de la communauté, d’autre part, ouvrir aux urbanistes un champ de possibles pour amorcer les transitions.
Vers des espaces publics de capacités
Les droits culturels, établis dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, s’inscrivent dans la pensée réparatrice d’après-guerre. Ils visent à garantir pour chacun la liberté de vivre son identité culturelle, comprise comme « l’ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ». La notion se consolide à travers divers textes de référence [2], dont la Déclaration de Fribourg en 2007. Les droits culturels sont aujourd’hui des droits fondamentaux universels, confortés en France par les lois NOTRe (2015) et LCAP (2016).
Approcher les espaces publics par les droits culturels revient à dépasser les notions de fonctions et d’usages, à conscientiser les rapports de domination, l’omniprésence de certaines références culturelles, comme fondements – souvent involontaires – de nos espaces publics et facteurs de leurs dysfonctionnements. Les logiques de normes, de prescription, laissent place à une logique d’encapacitation des habitants, où la diversité des savoirs et le croisement des points de vue nourrissent la robustesse du collectif.
Un outil d’interrogation des pratiques urbanistiques
Traduire les droits culturels dans l’ingénierie urbaine consiste à changer de posture, de regard, à ouvrir de nouveaux espaces de coopérations.
En témoigne l’expérience «Habitat, espaces public et droits culturels »[3] à laquelle a contribué l’AGUR de 2020 à 2021, qui a montré la capacité des droits culturels à renouveler le logiciel et les métiers de la fabrique urbaine, faisant émerger une nouvelle « grammaire » de projet où se renégocient la place des acteurs et leurs interactions, où l’urbaniste s’implique en tant que médiateur-traducteur. Un glissement de posture sur lequel s’engage aussi UrbaLyon, via la recherche-action « Urbanisme et droits culturels », qui explore une approche anthropologique et cognitive de l’urbanisme. Un esprit partagé par l’AUCM, qui promeut la réorientation écologique des territoires sous l’angle de la recomposition culturelle. Soin au long cours plutôt que remède miracle, l’horizon des droits culturels forme ainsi un cadre de pensée qui interpelle la manière dont dialoguent espaces publics et relations d’humanité et ouvre une voie vers de nouvelles interactions, propices aux transitions.