1 Christian Klinger et Michel Masset, « Difficultés d’accès au foncier économique : l’entreprise à terre ? », Rapport d’information n°306 (2023-2024), déposé le 31 janvier 2024, Délégation sénatoriale aux Entreprises https://www.senat.fr/rap/r23-306/r23-3062.html
2 Patricia Lejoux, Corentin Charieau. « La zone d’activités économiques : objet urbain non identifié ? » Territoire en mouvement. Revue de Géographie et d’Aménagement, 2019. halshs-02491442 https://shs.hal.science/halshs-02491442/document
3 Michel Tendis, « Les 13.700 zones d’activités économiques concentrent 50% de l’emploi en France », Localtis, 13 juillet 2023, https://www.banquedesterritoires.fr/les-13700-zones-dactivites-economiques-concentrent-50-de-lemploi-en-france
Repenser l’usage du foncier dans les zones d’activités économiques
Adoptée en septembre 2024, la feuille de route économique stratégique 2024-2030 de la métropole clermontoise s’attache, dès le premier axe de son plan d’actions, à agir « pour un foncier économique durable ». Cette feuille de route de la Direction Accompagnement des Entreprises (DAE) vise à mettre en cohérence la politique de développement économique avec les objectifs de transition écologique et de résilience du territoire. Or le renforcement des capacités d’actions du tissu économique, la redirection de l’activité économique vers des modèles d’économie régénérative ou encore le positionnement de l’économie territoriale au service du vivre-ensemble ne peut advenir sans une connaissance fine du foncier économique afin d’être en capacité de décliner spatialement activités et ressources. Tenant compte de ce nouveau contexte, l’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central (AUCM) a conçu un dispositif pour outiller la DAE d’un référentiel foncier utile à la réorientation de leur action.
Les enjeux stratégiques du repérage et de la qualification du potentiel d’optimisation foncière dans les zones d’activités métropolitaines pour (re)trouver du foncier économique
Les politiques de développement économique, voire de simple maintien du tissu économique existant, se trouvent confrontées en matière de foncier à de nombreuses concurrences conduisant directement à une raréfaction, et donc à un renchérissement, du foncier économique :
- La nécessité de faire des choix entre différents usages possibles du foncier encore disponible, pour répondre à la crise du logement ou aux enjeux de développement économique par exemple,
- Des difficultés d’acceptabilité de certains projets, pourtant indispensables au bon fonctionnement de l’écosystème économique local, comme par exemple les projets logistiques permettant d’assurer l’approvisionnement des entreprises et l’acheminement de leurs produits,
- L’éviction des entreprises en périphérie du tissu urbain mais désormais également d’espaces historiquement dédiés au développement économique, au profit du déploiement de l’habitat et des équipements,
- Des mécanismes de marché orientant le foncier encore disponible vers des projets plus rentables et moins risqués que les activités productives, notamment du logement et du commerce [1],
- La faible intégration des activités économiques, en dehors du commerce, dans le tissu urbain, en particulier pour des activités productives pourtant compatibles,
- Un foncier économique généralement peu investi par l’aménagement et l’urbanisme[2], considéré comme des espaces « hors des villes » alors que véritables espaces de vie quotidienne pour près de la moitié des salariés français[3].
A ces enjeux de fabrique urbaine s’ajoutent les ambitions nationales de réindustrialisation, de renforcement de la souveraineté et de l’autonomie stratégiques ainsi que de sobriété foncière. Les développeurs économiques doivent aujourd’hui composer avec les zones d’activités existantes et les autres sites d’accueil d’activités pour assurer le parcours résidentiel des entreprises du territoire tout en gardant la capacité d’accueillir des nouveaux projets susceptibles de renforcer le fonctionnement économique du territoire.
Dans ce contexte, il importe de qualifier finement l’occupation des zones d’activités économiques, d’identifier leur potentiel d’optimisation et de mutation foncière et de définir les secteurs économiques stratégiques, trois conditions préalables à l’élaboration d’un schéma directeur du foncier économique et à l’expérimentation de nouveaux modes de gestion du foncier. L’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a été sollicitée par la métropole clermontoise pour révéler, cartographier et caractériser les « gisements » fonciers. Elle a ainsi mis en pratique une méthodologie permettant de consolider la connaissance des capacités d’intensification sur les zones d’activités économiques, mais également de renouveler la perception du foncier économique, souvent limité aux seules disponibilités foncières, ou “reste à commercialiser”, de la collectivité.
Comment identifier le foncier sous-utilisé au sein des zones d’activités ? Comment évaluer le poids de la réserve foncière d’entreprises anticipant leur développement futur ou le renchérissement du foncier dans une logique spéculative ? Comment anticiper les possibilités d’évolution de l’occupation des parcelles pour ne pas passer à côté de fonciers stratégiques pour le développement économique du territoire ? Comment mieux appréhender la mutabilité des terrains tout en évitant une densification anarchique des zones d’activités ?
UNE MÉTHODE PROPOSÉE PAR l’AUCM basée sur Une appréhension des gisements fonciers volontairement extensive
Afin de prendre en considération les espaces vides indépendamment de leur commercialisation et du découpage foncier, le repérage du potentiel d’optimisation foncière dans les zones d’activités a porté sur l’ensemble des espaces vides de bâtiment et des espaces faiblement bâtis. Elle prend donc en considération à la fois les unités foncières non bâties, qu’il s’agisse de foncier commercialisable par la collectivité, de réserve foncière d’entreprise ou encore d’espace agricole, mais aussi les unités foncières à faible emprise bâtie, soit par la présence de stationnements, de zones de stockage, d’espaces de circulation (voirie interne, aire de livraison ou de retournement), de valorisation paysagère ou simplement de délaissés sans usage. Sont donc comptabilisés dans les gisements, des espaces sur lesquels un usage peut être observé mais qui seraient mobilisables dans des dynamiques d’optimisation foncières, qu’il s’agisse d’utiliser les espaces vides ou sous-utilisés pour accueillir de nouvelles activités économiques, réorganiser les usages ou permettre le développement des activités déjà implantées.
Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour réorganiser les usages
Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour la construction de nouveaux locaux d’activités
Exemple de mobilisation des espaces vides ou sous-utilisés pour le développement des activités déjà implantées
Sources : orthophotographie CRAIG 2022, Cadastre DGFIP 2023 – Traitement : AUCM
La première étape de la méthode consiste à pré-identifier, à partir du cadastre et de manière automatique mais théorique, les dents creuses, soit les parcelles cadastrales contigües et non bâties situées en zones urbanisées, mais aussi les espaces faiblement optimisés présentant donc un potentiel de densification. Elle dépasse ainsi l’approche souvent retenue par les collectivités de ne considérer que les terrains qui leur restent à commercialiser. La maille retenue est celle des unités foncières (UF), qui désigne un « îlot d’un seul tenant composé d’une ou plusieurs parcelles appartenant à un même propriétaire ou à la même indivision ». Ce choix permet de conserver une logique relative à l’aménagement de la zone d’activités, le découpage des parcelles étant liée à l’histoire des divisions des terrains, indépendamment des projets.
La méthode de repérage des gisements fonciers économiques diffère de celle appliquée sur les espaces résidentiels. Ainsi, dans les espaces économiques, il importe par exemple de considérer le bâti léger, pouvant correspondre à des locaux indissociables de l’activité économique. Les seuils à fixer pour ne retenir que des gisements fonciers pertinents sont également à adapter. Au regard des retours d’expériences d’autres territoires et des résultats de tests pratiqués par l’AUCM, les seuils suivants ont été retenus pour l’ensemble de la métropole :
- Les bâtis individuels de moins de 20 m2, correspondant à des locaux techniques, ne sont pas pris en compte,
- Les gisements de moins de 500 m2 sont écartés,
- Les gisements fonciers situés sur des unités foncières bâties à plus de 50 % sont écartés,
- Une zone tampon de 10 m est appliquée autour des bâtiments,
- Le réseau viaire, pouvant traverser des unités foncières, est supprimé par l’application d’un seuil de recouvrement de 25 %,
- Les gisements fonciers non contigus de type « bandes » sont écartés par l’application d’un filtre morphologique.
Dans un deuxième temps, le stock théorique est affiné par croisement avec des bases de données thématiques et / ou locales :
- Le registre parcellaire graphique (RPG) pour identifier les parcelles agricoles exploitées,
- Le plan de prévention des risques inondations (PPRI) pour écarter les gisements concernés par un aléa fort dans lesquels s’applique un principe d’interdiction de construction. A noter que ces gisements pourront néanmoins être pris en compte pour d’autres usages, comme la limitation des phénomènes d’ilot de chaleur urbain,
- Le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) pour écarter les gisements concernés par des contraintes et des prescriptions (ex : marge de recul), mais également par des projets identifiés dans les emplacements réservés et les orientations d’aménagement et de programmation (OAP). Les gisements impactés par de futurs projets de voiries et la constitution de parcs ont ainsi été écartés.
A l’issue de ces deux premières étapes automatiques, un stock potentiel de gisements fonciers économiques dans les zones urbanisées de la métropole est identifié. Ces gisements répondent à des critères de taille, d’emprise bâtie, de contraintes urbanistiques ou liées à des risques naturels permettant d’envisager « en théorie » une optimisation de l’usage actuel de ce foncier.
Photo-interprétation et retour d’expertise des développeurs économiques pour préciser les gisements dans les zones d’activités métropolitaines
Des connaissances plus précises sont mobilisées pour actualiser le stock de gisements et en retirer les « coups partis » :
- les plans de commercialisation pour écarter les gisements faisant l’objet d’une promesse ou d’un acte de vente. Ces gisements sont considérés comme des coups partis,
- le système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene) géolocalisé pour identifier les gisements sur lesquels serait déjà implanté un établissement. Ces gisements sont considérés comme des coups partis.
Les traitements géomatiques précédemment réalisés permettent de préqualifier les gisements fonciers en trois catégories : les dents creuses (espaces non bâtis), les espaces à faible emprise bâtie et les espaces agricoles. Cette qualification est affinée par photo-interprétation en identifiant, principalement pour les gisements situés sur des espaces à faible emprise bâtie, s’il s’agit :
- d’un espace délaissé sans usage immédiatement observé, pouvant correspondre à de la réserve foncière d’entreprise ou à de la surface herbacée de pelouse sans valeur ni continuité écologique,
- d’un espace sur lequel un usage est constaté à la photo-interprétation mais qui, en raison de sa taille, pourrait éventuellement être optimisé. Il peut s’agir de parking, d’espace de stockage ou encore d’aires de livraison ou de retournement de camions.
Sources : Agence d’urbanisme de Brest-Bretagne, Agence d’urbanisme de la région nantaise, repris et complété par l’AUCM
La photo-interprétation a également permis d’affiner le volume de gisements en retirant les bassins d’orage. Deux séances de travail ont été organisées avec les développeurs économiques de la Métropole afin de confirmer la justesse des résultats géomatiques obtenus au regard de leur connaissance des sites. Cette méthode permet d’aboutir à l’identification de profil d’optimisation foncière pour les zones d’activités métropolitaines qui, outre l’alimentation d’un volet économique souvent délaissé des observatoires fonciers, constitue un préalable à l’élaboration d’un schéma directeur du foncier économique.
Conclusion
Ce projet souligne l’intérêt des observatoires locaux pour appréhender, au-delà des obligations légales de l’établissement d’un inventaire des zones d’activités imposées par la loi Climat et Résilience, l’objet complexe du foncier économique. Il nécessite de prendre en compte des spécificités propres aux dynamiques économiques, et donc d’adapter les méthodes d’analyse du potentiel de densification pouvant s’appliquer aux espaces bâtis de façon générale. L’analyse des gisements fonciers dans les zones d’activités ouvrent plusieurs perspectives de mobilisation : l’intensification des usages, la réorganisation des usages ou encore la mutualisation des usages, qu’il s’agisse de stationnement, de stockage ou d’équipements (salles de réunion, espaces de restauration…) mais également l’externalisation et le redéploiement de certains usages en dehors des parcelles dévolues aux entreprises, voire en dehors de la zone d’activités ainsi que le renouvellement de l’existant par démolition/reconstruction. Ces premiers résultats, qui seront complétés par l’analyse de la dureté foncière, méritent de s’inscrire dans une réflexion plus globale sur la stratégie d’accueil et de développement économique, dépassant les seules zones d’activités économiques, sur les modes de gestion du foncier économique public comme privé ainsi que sur les règles d’urbanisme relatives aux espaces économiques pour favoriser, tout en respectant les dynamiques propres aux acteurs économiques, l’optimisation du foncier. Ils nécessitent plus globalement de reposer le modèle du foncier économique afin de sortir du triptyque mixité urbaine avec de l’habitat, du commerce et des équipements, report en périphérie, extension des zones d’activités en se tournant davantage vers la diversification des fonctions économiques et la complémentarité des activités économiques, la sanctuarisation d’espaces dédiés à l’activité, notamment productive, et la bascule d’une logique d’aménagement à une logique de management des sites d’activités.