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La surélévation des bâtiments : une réponse à la sobriété foncière

Par Amaya Zulueta et Karine Enjolras - 01.03.2023

Si la surélévation des bâtiments a historiquement fait ses preuves, un récent travail de recherche, mené par l’architecte Géraldine Bouchet-Blancou, met en perspective une approche renouvelée de ce mode de faire “la ville sur la ville” avec les enjeux des trajectoires de neutralité carbone et d’atteinte du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols. Ainsi, l’ouvrage Densifier et rénover à l’échelle urbaine par la surélévation des bâtiments propose une analyse conjuguant enjeux techniques, réglementaires, juridiques et financiers avec le déploiement d’une identification à grande échelle du potentiel foncier des toits. Nous en partageons notre lecture.

LA SURÉLÉVATION DES BÂTIMENTS, LEVIER DE DENSIFICATION HORS SOL

Les grandes métropoles européennes ont connu, au fil des siècles, des vagues de surélévations des bâtiments existants, notamment en raison de l’impossibilité d’étendre la ville au-delà de la barrière physique que constituaient les fortifications. Ainsi, Paris, Barcelone ou Genève ont été densifiées par strates successives pour répondre aux besoins d’accueil de population, besoins souvent anticipés dans la conception du bâti originel. La construction de la ville sur la ville est une technique en fait bien rodée. Cependant, ce type d’opération a été délaissé depuis la moitié du XXe siècle au profit de la construction neuve qui bénéficiait de l’abondance d’espaces libres à coloniser, en lien avec le déploiement de la mobilité individuelle.

Depuis une quinzaine d’années, l’engouement pour la densification verticale renaît progressivement, en réponse à la très forte hausse des valeurs foncières et à la nécessité de maîtriser l’étalement urbain. C’est dans ce contexte que la loi Alur de 2014 avait introduit des mesures « facilitatrices » en supprimant le coefficient d’occupation du sol (COS) et en limitant le droit de véto du propriétaire du dernier étage pour permettre la réalisation d’opérations de surélévation en centre-ville, avec l’ambition d’y introduire plus de mixité sociale.

Si des freins règlementaires persistent, notamment au sein des secteurs patrimoniaux où les Architectes des Bâtiments de France (ABF) restent souvent réticents à ce type de projet au nom de la préservation des perspectives monumentales, la limitation de hauteur encadrée par les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) a tendance à s’assouplir pour ouvrir les voies de la densification. Au niveau local, le PLU de Clermont Ferrand introduit une règle dérogatoire pour permettre le déploiement de la canopée urbaine en cœur de ville. Dans un autre contexte, la ville de Vichy a récemment modifié son PLU et supprimé la règle de hauteur sur le périmètre du site patrimonial remarquable, afin de permettre une analyse plus circonstanciée du contexte urbain, une conception au cas par cas prenant appui sur un dialogue rapproché entre la ville, l’ABF et l’opérateur.

LA SURÉLÉVATION, LEVIER DE FINANCEMENT DE LA RÉNOVATION DU BÂTI EXISTANT ?

Si le principal moteur des projets de surélévation reste l’économie de charge foncière, le montage financier permet également de conjuguer rénovation du bâti et construction neuve par ajout d’étages, l’un (valorisation du foncier déjà maîtrisé) venant financer l’autre (remise aux normes et amélioration des surfaces existantes). Ce dispositif gagnant-gagnant est d’ailleurs investi par les bailleurs sociaux tel Habitat Social Français qui a réalisé, sur Paris, la moitié de sa production des cinq dernières années par surélévation (11 opérations pour un total de 187 logements produits), adossant la réhabilitation des logements existants à une part significative de projets de surélévation. Le parc d’habitat social des années 70-80 se prête bien aux opérations de surélévation dans la mesure où les structures porteuses sont suffisamment robustes (béton armé, toits terrasses) et les gains énergétiques à réaliser sur l’existant, substantiels (isolation par l’extérieur, réduction des ponts thermiques).

D’un point de vue technique, l’utilisation de matériaux « secs » tels le bois ou l’acier, permet d’une part de réduire les charges supplémentaires sur l’édifice existant, mais également d’alléger le bilan environnemental de l’opération en agissant sur la performance thermique du bâti, en réduisant les phénomènes d’îlots de chaleur (toits végétalisés, revêtements clairs basés sur le principe d’albédo limitant l’absorption de chaleur, surplombs de protection solaire…), voire en stockant du carbone (cas des bardages bois non traités et des surfaces végétalisées).

Toutefois, l’équilibre financier reste fragile et très dépendant des prix du marché foncier. En effet, le montage de ce type d’opération nécessite un grand nombre d’intervenants (étude de structure et de sol, frais de géomètre et de notaire dans le cas des copropriétés, assistant à maîtrise d’ouvrage, coût de la construction neuve et d’accès aux nouveaux niveaux créés, rénovation et liaison neuf/existant) générant de fait des surcoûts.

VERS UNE STRATÉGIE D’IDENTIFICATION DU FONCIER AÉRIEN ?

Au regard des lois limitant l’artificialisation et des enjeux fonciers qui en découlent, des systèmes d’information géographique permettant d’identifier de manière automatisée les gisements fonciers aériens sont développés. Croisant les données réglementaires, contextuelles (hauteur des mitoyens), d’année du bâti existant et d’étiquette énergétique ainsi que l’accessibilité pour la mise en œuvre du chantier, ces systèmes permettent d’identifier les gisements potentiels avant d’entrer en phase d’étude de faisabilité technique.

Les territoires sous forte pression foncière s’emparent donc du levier de mobilisation du foncier aérien pour répondre aux besoins de production de logements dans un contexte de raréfaction du foncier au sol. Quid de l’Auvergne dans cette course aux mètres carrés ?

Les études de gisement foncier à l’œuvre sur le territoire depuis une dizaine d’années sont orientées sur la reconversion des friches industrielles qui présentent bien souvent des qualités structurelles intéressantes pour des opérations de surélévation. C’est le cas de la friche des Docks de Blois à Vichy, ancien site ferroviaire qui a été reconverti en 2018 en résidence intergénérationnelle et institut de formation par l’ajout d’un niveau sur la structure existante. A Clermont-Ferrand, la reconversion d’une partie d’une friche Michelin est entrée en phase de chantier mi 2022. Le site de Cataroux ouvre sa reconversion par l’ILO23 en réinvestissant le patrimoine industriel, formant ainsi un socle d’accueil du programme neuf développé en surélévation.

La surélévation est donc déjà une réalité locale. De là à lancer un recensement précis des secteurs urbains denses, il n’y a qu’un pas que le ZAN devrait accélérer. Si les secteurs denses des centralités urbaines sont à la recherche de mètres carrés supplémentaires pour équilibrer financièrement des opérations, les collectivités auraient également intérêt à investiguer le parc public, voire les zones d’activités économiques, afin de mesurer les marges de progrès envisageables pour une gestion optimale des surfaces déjà construites.

Finalement, si la dynamique de surélévation des bâtiments progresse sur le territoire national, elle reste encore marginale. Outre les freins techniques et réglementaires, la structuration de la filière Bâtiment pose également des limites : elle est essentiellement formée à la construction neuve et à l’usage du béton et accueille parallèlement un réseau d’artisans orientés vers la rénovation mais souvent relevant de petites entreprises plus que de grands groupes. La multiplication des intervenants pour mener à bien ce type d’opération (ceux spécialisés dans la rénovation, ceux dans les constructions à ossature bois, ceux dans la mise en œuvre de chantiers en hauteur, le thermicien, etc) entraînent une complexité dans la conduite du chantier et des surcoûts impactant les bilans d’opération.

Il reste d’usage de considérer que construire du neuf est moins coûteux et plus rentable que de faire avec l’existant, alors même que cela consomme plus de ressources et plus d’énergies. L’organisation actuelle très segmentée (industrie v/s artisanat) ne permet pas d’articuler facilement neuf et existant. Pour autant, les trajectoires à atteindre tant en matière de sobriété foncière que de neutralité des émissions de carbone nécessitent une approche plus frugale de la construction : faire avec le déjà là, s’adapter, revoir ses besoins et intervenir avec humilité.

DENSIFIER PAR SURÉLÉVATION, UNE STRATÉGIE RÉSERVÉE AUX CENTRES-VILLES ?

Si la densification des centres-villes semble avoir encore de beaux jours devant elle, les effets du dérèglement climatique et la recherche de la neutralité carbone questionnent la tendance au “tout métropolitain”. La ville dense reste difficilement sobre : les flux qu’elle génère (de personnes, matières, déchets), les infrastructures dont elle a besoin pour fonctionner, ont tendance à l’éloigner de cet objectif. Par ailleurs, l’engouement pour la maison individuelle de plain-pied semble ne pas faiblir depuis les années 50-60, les tissus pavillonnaires s’étalent et se densifient sous l’effet de la pression foncière. Cette dynamique trouve ses limites face aux enjeux climatiques et écologiques : imperméabilité des sols, morcellement de la propriété foncière qui rend difficile la définition de trame de mobilités douces, élévation du niveau de risque en zone inondable, etc.

L’objectif de Zéro Artificialisation Nette s’appliquant aussi aux espaces péri-urbains, celui-ci pourrait bien constituer un rôle de limitation similaire aux fortifications historiques, qui relancerait alors la construction de la ville par strates. Ainsi la surélévation des pavillons pourrait constituer une réponse à la densification de ces espaces hors centre-ville et ramener de la vie dans les cités périphériques.