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[1]  La Diode est un espace clermontois pluridisciplinaire abritant quatre structures de la vie culturelle locale : Videoformes, le pôle chorégraphique Boom’structur, un studio de répétition pour la musique acoustique géré par le Chœur Régional d’Auvergne et la Maison des Jeux, où interviennent plusieurs associations. Trois hangars dédiés aux arts visuels ont également été intégrés au site et mis à disposition des associations Artistes en résidence et Les ateliers.

[2] https://fresqueduclimat.org/

“La politique culturelle, c’est une politique de lien” – Entretien avec Pierre Patureau-Mirand

Par Elodie Biétrix, Chargée d’études Massif central, Culture et réorientations écologiques - 31.10.2023

Entretien avec Pierre Patureau-Mirand, directeur de la Culture à Clermont Auvergne Métropole, propos recueillis en janvier 2023.

Le portage d’une politique culturelle par l’intercommunalité est relativement ancien à Clermont-Ferrand. Comment se structure cette politique publique ?

Dès 2004, Clermont Communauté a élaboré un schéma d’orientation communautaire du développement culturel, feuille de route permettant à l’intercommunalité de développer sa propre politique culturelle. C’était assez précurseur à l’époque. Ce schéma s’inscrivait dans une perspective sur quinze ans et avait donc pour ambition de s’étendre au-delà d’un seul mandat politique. Il a fait l’objet d’une révision lui incorporant des orientations stratégiques en 2016, assorties d’un plan d’actions en 2017.

Pendant toutes ces années, la direction de la culture s’est structurée selon deux axes. Le premier vient placer la culture comme élément d’attractivité et de rayonnement territorial à travers de grands événements et des infrastructures importantes. Ces éléments vont permettre au territoire de jouer un rôle de tête de réseau au niveau régional (à l’époque de l’ex-région Auvergne). Le second axe concerne la création d’un service public culturel de qualité et de proximité dans un territoire intercommunal. Il fallait pour cela dépasser le cadre communal et inscrire notre action dans une perspective plus large, considérant qu’on est plus fort lorsqu’on fait ensemble. Cet axe comprend aussi un soutien aux opérateurs culturels du territoire, notamment à travers le versement de subventions ainsi qu’un travail important sur la structuration d’écosystèmes. Par exemple, dans le domaine des musiques actuelles, nous avons construit des lieux de répétition, de création, de résidence et mis en réseau un maillage de studios afin de permettre le développement de ce champ artistique sur notre territoire. Dans la même logique, nous avons réhabilité un lieu, la Diode, afin de donner la possibilité à des artistes nationaux et internationaux de venir en résidence de recherche et d’expérimentation sur le territoire clermontois via l’association Artistes en résidence, tout en se connectant  collectif d’artistes du territoire, les Ateliers, dans cette fabrique tournée vers les arts visuels. Notre rôle en tant que collectivité est donc aussi de chercher à créer des modèles de gestion facilitants pour les artistes, en nous appuyant entre autres sur le tissu associatif.

Depuis l’élaboration du premier schéma en 2004 et le transfert au 1er janvier 2005 du réseau de lecture publique vers l’intercommunalité, le champ de compétence de votre direction s’est considérablement élargi.

Depuis son transfert, le réseau de lecture a connu une transformation significative. Nous avons rebâti plus de la moitié des bibliothèques, développé des fonctions transversales… Actuellement, ce réseau comprend quinze bibliothèques et deux bibliothèques spécialisées (le Centre de documentation de la Jetée dédié au cinéma et au court métrage ainsi que la bibliothèque du Patrimoine). Le fonctionnement du réseau s’appuie sur un document cadre pour la lecture publique intitulé le projet culturel, scientifique, éducatif et social pensé à l’échelle du réseau (PCSES). La vocation éducative et sociale de la lecture publique nous montre la façon dont les bibliothèques ont entamé leur mue culturelle afin de se rapprocher encore plus de la population. Nous portons actuellement au sein de la direction, un projet majeur de  bibliothèque dans l’ancien bâtiment de l’Hôtel-Dieu, dans le centre de Clermont-Ferrand.

Enfin, nous avons également transféré six musées dans le cadre d’un champ d’intervention intitulé musées-patrimoine, dont le transfert a eu lieu non pas par la compétence culture, mais par la compétence tourisme. Ce transfert s’est effectué le 1er janvier 2017, lors de la transformation de la communauté d’agglomération en communauté urbaine.

Les derniers transferts ont été opérés dans un contexte de forte mutation territoriale : le 1er janvier 2018, notre intercommunalité est devenue métropole, entraînant un changement de paradigme considérable. L’enjeu était alors de continuer à exister dans la nouvelle grande région. L’ex-région Auvergne représente seulement 20 % d’Auvergne-Rhône-Alpes, une part relativement modeste. Et dans cette grande région, il y a d’autres métropoles : Lyon, qui est un peu à part, mais surtout Grenoble et Saint-Étienne. Il devenait impératif d’avoir aussi une métropole à l’ouest de la région. Qui plus est, obtenir un nouveau statut après avoir perdu celui de capitale régionale était un enjeu majeur dans notre évolution territoriale.

Dans cette récente métropole, de quelle manière parvenez-vous à ancrer au territoire la politique culturelle que vous mettez en œuvre ?

Nos équipements, et en particulier les bibliothèques, ont un ancrage territorial important allant parfois au-delà des limites de l’intercommunalité. C’est le cas pour la médiathèque de Cournon-d’Auvergne dont la fréquentation par des publics venus d’en dehors de la Métropole montre l’articulation entre l’urbain, le périurbain et le rural qui existe sur notre territoire et qui fait de cette métropole une aire d’attraction relativement importante.

Même si nous travaillons étroitement avec les communes de la Métropole, et particulièrement Cournon-d’Auvergne et Clermont-Ferrand, ce n’est pas toujours simple : les communes ont leurs propres politiques culturelles et passer de l’échelon communal au cadre métropolitain représente parfois une dimension trop grande. Nous avons donc découpé le territoire en vallées : la vallée de la Tiretaine partant d’Orcines et traversant Royat, Chamalières et Clermont-Ferrand. Également, la vallée du Bédat qui passe par Durtol, Nohanent, Blanzat, Châteaugay, Cébazat et Gerzat. La vallée de l’Artière descend quant à elle de Saint-Genès-Champanelle vers Beaumont, en passant par Romagnat, Aubière et  Pérignat-lès-Sarliève. Enfin, la dernière, plus au sud, que l’on a nommé Val d’Allier, relie Pont-du-Château, Lempdes, Aulnat, Cournon-d’Auvergne et Le Cendre.  Ce découpage basé sur des entités géographiques, telles que les rivières, permet aux gens de s’identifier et de se sentir appartenir à l’une ou l’autre tout en étant dans une strate intermédiaire qui ne correspond ni à la commune, ni à la Métropole mais plutôt à un territoire approprié.  

Votre approche territoriale est donc étroitement liée aux aspects géographiques et naturels du territoire. Quelle est la place de la question écologique dans la politique culturelle que porte votre direction ?

La culture interroge les manières de faire, de vivre ensemble, de faire communauté. Elle questionne aussi les façons de répondre à des besoins fondamentaux comme les besoins en alimentation ou en eau. Des questions qui sont pour moi éminemment culturelles dans le sens où elles reflètent la manière dont on vit ensemble. La culture a donc toute sa place dans la question écologique.

Cet enjeu me semble aujourd’hui être clairement partagé par les acteurs de la culture. Cependant, toute la difficulté est de savoir quels leviers activer pour s’en saisir. Est-ce par des objectifs de décarbonatation du secteur, comme on peut le lire dans le rapport du Shift Project ? La question de l’économie circulaire et des circuits courts n’est-elle pas plus importante ? Doit-on tirer le fil d’autres enjeux liés à l’habitabilité ? Un mouvement de fond, impactant nos équipements, est de plus en plus prégnant. Nos pratiques sont interrogées pour tendre à quelque chose de plus vertueux. Lorsqu’on réalise une exposition par exemple, la scénographie interroge le devenir des matériaux employés à la fin de l’exposition. Est ce qu’on jette ? Est ce qu’on recycle ? Est ce qu’on récupère ? Nous réfléchissons aujourd’hui au réemploi des matériaux avec des partenaires comme l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole, très intéressée par une « récupérathèque ». La question de la décarbonation se pose aussi lorsque nous organisons un événement au regard des mobilités du public ou de celles des œuvres, venues parfois du bout du monde pour le temps limité d’une exposition. Mais nous savons que malgré la difficulté que cela représente, nous devons modifier nos façons de faire. La question du numérique, aujourd’hui très présente dans le monde culturel, est une bonne illustration de cette ambiguïté. S’il a des aspects très intéressants notamment par rapport aux problématiques de mobilité et d’accessibilité, le numérique n’est pas nécessairement une solution puisqu’il a un impact écologique énorme. Nous sommes aujourd’hui à cet endroit-là, avec de nombreuses interrogations et pas forcément de réponse pragmatique pour y répondre.

Comment les acteurs culturels se saisissent-ils de ces enjeux ? Disposez-vous d’outils spécifiques pour les encourager à les traiter ?

Au regard de cette absence de réponse ferme, il est important, pour encourager les acteurs culturels d’aller vers le traitement des enjeux écologiques, d’aller au-delà des concepts. Nous devons, dans nos équipements, montrer de manière très pragmatique le rôle que l’on peut avoir et la manière d’entrer dans une logique de transition. Il faut bien sûr de la sensibilisation et il y a également d’importants enjeux de formation et d’éducation. Néanmoins, il est primordial de réfléchir à la façon de dire les choses et de porter les messages afin de ne pas culpabiliser les gens.

Concernant les outils dont nous disposons, l’ajout de critères écologiques à l’attribution de subventions est une question complexe. Nos dispositifs actuels ne sont pas adaptés à la transition que nous, techniciens et élus, avons pourtant tous conscience de devoir mener. Mais comment mettre en place des dispositifs n’allant pas à l’encontre des projets culturels et artistiques ? Par exemple, un festival comme Europavox va, de fait, attirer du monde. Mais on peut considérer que le festival se déroulant à Clermont-Ferrand, une partie du public se situe déjà dans la commune et privilégie, pour se rendre aux concerts, la marche ou les transports en commun. Ce qui ne serait pas forcément le cas dans le contexte d’un festival en milieu rural. Il est donc primordial d’analyser toutes les situations car chacune est particulière. Il faut déterminer, au cas par cas, à quels endroits il est possible d’agir plutôt qu’instaurer des critères génériques.

Afin que les réponses apportées aux enjeux écologiques soient les plus justes possible, leur articulation avec les spécificités des projets mais également des territoires semble en effet incontournable ?

La construction de projets de territoire impliquant pleinement une transition écologique et sociale me semble être un élément pour faire face à ces enjeux. Un projet comme la candidature au titre de Capitale européenne de la culture a une dimension territoriale d’une grande richesse car il croise l’urbain, le périurbain, le rural, le vraiment très rural. Il interroge la désertification mais aussi les phénomènes d’attraction et d’interdépendances des territoires à l’échelle du Massif central. Construire un projet de territoire, c’est ce qui permet de dépasser le cadre de la ville de Clermont-Ferrand et celui de la Métropole et finalement, qui nous conduit à considérer que l’on fait tous partie d’un même territoire, d’une grande communauté. Cela nous amène à vouloir donner du sens à ce territoire, à le raconter pour en faire un lieu où les gens se sentent bien. La culture, par son caractère transversal, a la capacité de pouvoir agir sur une multitude d’autres politiques publiques, sur les enjeux économiques, sur la créativité.

On a ici un cadre de vie exceptionnel, éminemment naturel. Souvent, l’Homme façonne la nature pour en faire un paysage, toujours à la recherche du beau, de l’esthétisme. Le lien entre nature et culture est plus complexe et il faut considérer que la culture, dans une conception plus anthropologique, est ce qui nous incarne en tant qu’être humain lié à la nature, lié au vivant.

Les politiques culturelles ont alors la mission de porter cette vision de la culture ?

La direction de la culture gère des équipements, des bâtiments, tout en menant une action par la conduite de politiques culturelles. A travers l’action culturelle, via des expositions, des évènements, l’acquisition de livres, des animations diverses… nous gérons aussi des contenus. Nos équipements culturels, et plus particulièrement nos bibliothèques sont les lieux où l’on peut véhiculer ces contenus et faire infuser des messages auprès des publics. Nous organisons par exemple des ateliers ou encore des Fresques du climat. On peut ainsi agir sur la façon dont les gens perçoivent cette période en les accompagnant dans cette transition. Par ailleurs, en plus des actions que l’on conduit, il y a le message que l’on véhicule. Ce message a une action sur les imaginaires et sur la construction d’un certain sens critique, sur l’émancipation des personnes via une forme de construction mentale. Le rôle des opérateurs culturels est alors d’aider à construire une opinion.

Cette richesse de notre direction, et en particulier de nos équipements de proximité, est due à leur gestion et leur animation par des hommes et des femmes (434 agents ont travaillé pour la direction culture en 2022 dont 170 en lecture publique) et non par des algorithmes. Lorsqu’on est conseillé par l’humain, on favorise la diversité et la découverte. Notre rapport à la sensibilité et à l’imaginaire, les algorithmes ne l’ont pas. Par ailleurs, lorsqu’on évoque la transition écologique, on parle aussi d’une dimension sociale : l’enjeu social et l’impact social de la transition écologique. Si on ne traite pas pleinement cette dimension, la transition écologique va être terrible pour tout un pan de la population. 

La politique culturelle, c’est une politique de lien entre les personnes que l’on conduit à travers ce qu’on fait dans nos équipements, mais aussi de lien aussi entre toutes les autres politiques publiques. Pour intégrer pleinement l’enjeu écologique dans la direction de la culture, il faudrait refondre le projet culturel métropolitain vers une chose beaucoup plus globale. Comment agit-on, par exemple, sur la politique de la ville, sur le renouvellement urbain, sur la politique d’habitat, sur la politique d’urbanisme ? Tout l’enjeu est de penser à la façon dont la culture questionne l’habitabilité d’une ville, d’un territoire.