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1 Webinaire La baignade dans la Loire et l’Allier : quels nouveaux liens créer entre humains et rivières ? 22 septembre 2022
–La baignade en rivière : où en est-on en Europe ?, par Roberto Epple
–Enquête sur les conditions d’un renouveau de la baignade en Loire, Jérôme Baratier et Bénédicte Métais
–Le cas de l’Allier : retour sur les enquêtes et la méconnaissance du milieu par les baigneurs, et propositions de sites de baignade autorisée, Stéphanie Terrisse
–Retours d’expériences et bonnes pratiques de tourisme en rivière
, par David Paquet, consultant en développement touristique du cabinet Alliances
2 En plus du modèle Tournesol, le programme “1000 piscines” a motivé la construction d’autres modèles : Iris, Plein-Ciel, Plein-Soleil ou encore Caneton. Il est intéressant de remarquer que ces équipements, de fait artificiels, par opposition aux rivières et fleuves, ont été nommés en faisant référence à des éléments naturels et vivants
POLe Arts Urbanisme https://polau.org/, Indre-et-Loire
4  Nous citons ici l’agence d’urbanisme de Tours

Baignade en eaux naturelles, vers de nouveaux rapports humains-rivières?

Par Stéphanie Terrisse, Directrice d’études, Responsable observation, évaluation et prospective - 01.10.2022

La baignade en eaux naturelles, activité a priori banale et spontanée, révèle l’existence de tensions entre trois intérêts : l’adaptation nécessaire de nos activités humaines aux enjeux climatiques et écologiques, l’évolution des usages et comportements liés à l’eau, et les réglementations existantes, notamment celles qui limitent fortement la baignade. Dans un contexte d’étés de plus en plus chauds et d’engouement pour les loisirs de proximité en cadre naturel, les lacs, fleuves et rivières connaissent et connaîtront dans les prochaines années un regain de fréquentation. Dans le même temps, la préservation écologique des milieux est plus que jamais nécessaire, le tout encadré par des règlements à la fois restrictifs et complexes, hérités de situations passées. Comment s’articulent alors les intérêts et pratiques des baigneurs, pêcheurs, riverains, faune, flore, agriculteurs, professionnels de l’aménagement et autres politiques publiques ?

Loin d’être anodin, le sujet de la baignade en eaux naturelles interroge en fait non seulement les rapports entre humains et milieux naturels, dont les rivières, mais apparaît aussi comme un indicateur de l’état démocratique d’un territoire. A travers leur webinaire organisé le 22 septembre 2022, disponible en replay, les agences d’urbanisme de Clermont et de Tours ont plongé dans le sujet.

En trois parties (1),il s’est agi d’interroger la baignade au regard de contextes historique et culturel voire géopolitique. D’abord depuis le point de vue des fleuves européens, ensuite en passant par le cas des bords de Loire et de la fiction juridique du “Parlement de Loire” expérimentée à Tours. Enfin en revenant à la rivière Allier et à ses usagers, et en s’inspirant de l’exemple du Ciron dans les Landes. En perspective : proposer des pistes répondant aux enjeux décrits plus haut d’adaptation des comportements, pratiques et règlements au nouveau contexte climatique et écologique de l’eau. Nous en partageons ici un compte-rendu.

DE LA RIVIÈRE À LA PISCINE, ET INVERSEMENT

En France, les années 1970 marquent un tournant pour la pratique de la baignade. Jusque-là pratiquée de façon libre et spontanée, des événements et décisions ont peu à peu éloigné habitants et touristes des berges. La pollution de l’eau parfois, mais aussi des noyades accidentelles restées dans les mémoires ont incité les pouvoirs publics à multiplier les interdictions de baignade. Parallèlement, le programme “1000 piscines” est lancé, pour que les écoliers français apprennent à nager, non plus dans le milieu naturel mais dans de flambant neuves piscines dites “Tournesol” (2). Les rivières et fleuves perdent alors peu à peu leur fonction récréative. Pourtant, des passionnés continuent à pratiquer la nage en eaux libres et militent pour retrouver ce plaisir simple.

A partir de photographies, de cartes postales, d’extraits de journaux, de débats citoyens et d’autres formats, l’agence d’urbanisme de Tours, le POLAU (3) et leurs partenaires ont mené une enquête sur l’évolution de la culture de la baignade et sur les rapports entre la baignade et la Loire, y compris en adoptant le point de vue de sa biodiversité (le poisson silure, le grain de sable). Le récit ainsi construit vise aussi à proposer des solutions cohérentes avec les enjeux actuels, qui permettraient de revenir à la baignade en milieu naturel.

“TOUT CORPS HUMAIN PLONGÉ DANS L’EAU EST UN BON INDICATEUR DE L’ÉTAT ÉCOLOGIQUE, AFFECTIF, POLITIQUE ET DÉMOCRATIQUE DU MILIEU” (4)

A l’heure où crise énergétique et tensions sur la ressource en eau peuvent mettre à mal le modèle des piscines municipales, où le dérèglement climatique hausse les températures et multiplie les canicules, les populations riveraines des cours d’eau français revendiquent le droit de se baigner et de se rafraîchir à moindre coût. Localement, l’interdiction stricte de la baignade, par exemple en vigueur depuis 1975 pour la rivière Allier dans le Puy-de-Dôme, est remise en question. La baignade est pratiquée malgré l’interdiction, parfois sans conscience du potentiel danger ou de l’impact sur le vivant. Les enquêtes réalisées sur les plages de l’Allier en témoignent : selon les sites, entre un tiers et deux tiers des personnes rencontrées ne savent pas que la baignade est interdite dans la rivière et elles n’ont par ailleurs pas conscience d’être dans un milieu qui n’est pas géré par des humains mais dont l’équilibre est, au contraire, naturel.

L’interdiction de baignade a créé une rupture dans la connaissance des fleuves et rivières, de leur fonctionnement et des comportements adaptés (dont la nage) en milieux naturels, pour toute une génération. Plusieurs pistes sont possibles pour permettre une réappropriation par les habitants et visiteurs. Sur la Loire, recréer des écoles de nage dans le fleuve ou remettre en place des plages surveillées et organisées sont des idées avancées. Sur les berges de l’Allier, six sites pourraient accueillir une baignade aménagée et surveillée. À l’inverse, il est urgent de faire respecter l’interdiction de baignade sur trois sites à fort enjeu environnemental. Le long du Ciron, c’est aussi la sensibilité environnementale qui a guidé la partition du linéaire du cours d’eau en secteurs plus ou moins accessibles pour les loisirs et la baignade.

TOUS ET TOUTES DANS LE MÊME BAIN ?

La baignade soulève des questions complexes, au croisement du vivant et du droit, et révélatrices de l’état écologique et démocratique de nos milieux. Il ne s’agit ni d’autoriser la baignade à tout prix, ni de l’interdire à tout jamais, mais plutôt de réguler et d’encadrer collectivement l’usage des rivières pour la baignade, en prenant en compte la complexité des enjeux écologiques, sociaux, touristiques et de sécurité liés à ces milieux naturels. La baignade dans nos rivières est une question territoriale locale, pour laquelle les règlementations et recommandations à l’échelle du pays ou du bassin versant ne conviennent plus. Les associations et les collectivités commencent à se saisir de ce sujet, de nombreux acteurs différents doivent travailler ensemble, et il est complexe de créer une communauté autour de la baignade. Des « contrats de baignade » passés entre acteurs, habitants et rivières elles-mêmes sont par exemple une solution à envisager pour impliquer l’ensemble des parties prenantes.

Au-delà de la forme de cet engagement, le véritable enjeu reste bien de changer notre regard utilitariste sur la rivière, de ne plus la voir comme une ressource, mais comme un bien commun. Cet enjeu s’étend d’ailleurs plus globalement à nos rapports à l’eau, sujet de questionnements et de défis pour de nombreux acteurs locaux, sur lesquels l’agence d’urbanisme Clermont Métropole continuera à accompagner ses adhérents et partenaires.