Réconcilier patrimoine et usages pour faire du cœur historique un espace pleinement habité
À Beaumont, commune de plus de 10 000 habitants de la métropole clermontoise, le centre ancien se dégrade lentement, à l’image de nombreuses centralités historiques françaises. Pourtant, ici, la situation présente une singularité : la commune est propriétaire de près de soixante biens immobiliers, acquis au fil du temps. Cette accumulation de foncier bâti, devenue une charge budgétaire pour la commune du fait de la nécessité de sécurisation, symbolise une ambivalence plus large : celle d’un centre historique perçu à la fois comme un héritage commun à préserver et un poids face à un patrimoine vétuste qui peine à s’adapter aux aspirations de la vie actuelle.
Face à ce constat, Beaumont a choisi d’agir. Inscrite dans l’Opération de revitalisation du territoire (ORT) multisites portée par Clermont Auvergne Métropole, la commune a engagé une démarche d’élaboration d’un plan guide, accompagnée par l’AUCM, pour repenser l’avenir de son centre médiéval et inverser le regard porté sur cette déprise urbaine.
Une démarche exploratoire et sensible
Le plan guide ambitionne de replacer le centre ancien au cœur d’une stratégie urbaine d’ensemble et de long terme qui investit les thématiques transversales de la revitalisation : habitat, cadre de vie, mobilités, … Un exercice à la fois prospectif et sensible a été conduit en groupe projet pour définir des profils cibles d’habitants et d’investisseurs que la commune souhaite attirer ou maintenir sur le centre bourg. L’utilisation de personae, tels que l’esthète, amoureux des belles pierres, ou encore la jeune retraitée, a permis de comprendre les critères de choix résidentiels des habitants lors de l’acquisition ou de la location d’un logement.
Le plan guide s’est attaché, par ailleurs, à s’ancrer dans les réalités locales en proposant plusieurs arpentages pour s’éprouver face à l’épreuve du terrain. L’approche incarnée dans un site donné, mais également dans un cadre de politiques publiques portées par les acteurs locaux rassemblés dans le cadre du plan guide a constitué un élément important du process de travail. Enfin, la force du plan guide tient avant tout dans la dynamique collective engagée autour d’un groupe projet rassemblant les différentes parties prenantes de la revitalisation : l’Etat (ABF, DDT63, ainsi que les architectes et paysagistes conseils), Conseil départemental du Puy-de-Dôme, CAUE, EPF Auvergne, SMTC, services urbanisme, habitat, culture de la Métropole, service de la ville … Ce groupe a été réuni tout au long de la démarche sous forme d’ateliers participatifs mixant diffusion d’expertises, approche sensible et travail collaboratif.
Patrimoine vécu et valeurs d’usage
L’objectif du plan guide a été clairement posé dès le lancement de la démarche : il s’agit de transformer le centre historique de Beaumont sans le dénaturer. C’est pourquoi, une étude patrimoniale approfondie a été confiée au cabinet ACA Architectes & Associés. Cette expertise a permis d’identifier les caractéristiques fondamentales du bourg fortifié : le linéaire des remparts, la structure médiévale du parcellaire avec des emprises bâties particulièrement denses, un réseau viaire hiérarchisé, arborescent et pittoresque – de la voie principale aux venelles -, les typologies bâties – maisons de vignerons, loges, demeures notables – ou encore les caractéristiques architecturales remarquables, telles que les toitures en tuiles à un ou deux pans échelonnés qui accompagnent la pente. Tous ces éléments composent un paysage urbain singulier qu’il s’agit de transmettre dans son fonctionnement et sa structure, sans pour autant figer toute forme d’intervention.
À Beaumont, le patrimoine n’est pas une simple matière à conserver : il est également un espace de vie, porteur de mémoire et de sens. La question posée par le plan guide est donc celle de la transmission : qu’est-ce qui mérite d’être conservé, à quoi tenons-nous collectivement et pourquoi ? Il s’agit donc d’articuler valeurs patrimoniales et valeurs d’usage, de repenser la mutation d’un centre en déprise, sans trahir l’esprit des lieux et du « déjà-là ».
Un plan guide comme boîte à outils
Le plan guide n’est pas un document figé mais un outil évolutif, un support de dialogue et de transformation. Il propose quatre grands axes d’intervention pour refonder une centralité habitée, attractive et connectée au reste du territoire beaumontois :
- Vivre au quotidien, pour améliorer la qualité des espaces publics.
- S’émerveiller, en révélant la richesse du cadre de vie par la végétation.
- Circuler, accéder, stationner pour repenser les mobilités au bénéfice des piétons.
- Se loger par une requalification de l’habitat en partant de l’existant.
Dix stratégiques ont été identifiées pour décliner cette stratégie urbaine d’ensemble : six pièces correspondant aux portes du bourg et quatre sont au cœur du tissu médiéval. À chaque fois, il s’agit d’intervenir avec finesse et délicatesse, en conciliant les usages, en testant de nouveaux scénarios à travers l’urbanisme transitoire, et en favorisant l’appropriation citoyenne des lieux.
Ce travail de couture sur-mesure implique de retrouver les contours historiques du bourg là où les limites ont été effacées par des démolitions et de traiter des interstices – ces zones de transition entre l’espace privé et l’espace public – comme des opportunités de requalifier le cadre de vie. La végétalisation des cœurs d’îlot, le travail sur les matériaux durables, le soin apporté à l’interface entre espace bâti et espace public témoignent de cette volonté de réparer sans déstructurer.
Focus sur l’îlot Commerce : redonner vie au patrimoine bâti
Parmi les zones d’intervention prioritaires, l’îlot Commerce occupe une place centrale. Ce secteur, où se concentre une grande partie du patrimoine communal en ruine, est emblématique des enjeux de reconquête. L’idée est de réactiver l’espace, d’en faire un lieu de vie résidentiel et social, tout en respectant son identité.
Cela passe par la réouverture d’ouvertures murées, l’introduction de treilles végétalisées sur les pignons, la réinvention des rez-de-chaussée pour accueillir des cafés sociaux ou des lieux culturels, et la reconnexion des venelles pour retisser un maillage urbain plus fluide.
Et maintenant, comment passer à l’acte ?
La réussite du plan guide passe par une mise en œuvre progressive, à plusieurs vitesses, visant à inscrire le centre bourg de Beaumont dans un processus de projet. Elle combine une approche globale, du fait de la prise en compte de l’ensemble de la stratégie urbaine, et des interventions ciblées sur certains îlots et/ou porteurs de projet qu’il s’agit d’attirer et de convaincre. Plusieurs outils fiscaux, juridiques, et opérationnels peuvent être activés pour encourager et insuffler des dynamiques de mutation.
Il s’agit, tout d’abord, de passer par des phases de test et d’expérimentation pour donner à voir rapidement et de manière « économe » comment réinvestir l’espace public par des aménagements légers, transitoires et réversibles. Design actif ou évènementiel, l’objectif est avant tout d’impliquer et d’engager les riverains dans l’animation de leur rue, leur école, leur bourg.
Pour les îlots les plus dégradés, un accompagnement sur-mesure est nécessaire. Guichet unique rassemblant l’ensemble des ressources et partenaires mobilisables, coaching individualisé auprès des futurs usagers, ou encore bourse aux logements vacants, le plan guide donne à voir l’importance d’être au plus près du porteur de projet pour apporter des réponses les plus adaptées possibles et, ainsi, faciliter la mise en opération.
Enfin, des outils incitatifs, voire coercitifs peuvent être engagés par la collectivité. Outre les dispositifs traditionnellement mobilisés dans la lutte contre l’habitat indigne et la vacance (incitations fiscales, bail à réhabilitation ou à construction…), la commune de Beaumont pourrait tirer parti de sa très forte maîtrise foncière pour lancer une consultation innovante sous forme d’Appel à manifestation d’intérêt (AMI) ou d’Appel à projets (APA). Prenant exemple sur d’autres communes, telles qu’Ambert qui propose l’acquisition de maison à l’euro symbolique pour l’accession sociale à la propriété ou encore Riom qui a conduit une consultation d’opérateurs pour le réaménagement urbain avec cession immobilière de ses deux friches carcérales, Beaumont pourrait mettre en place un AMI sur l’îlot Commerce pour accompagner la réalisation de projets immobiliers directement opérationnels et en accord avec les orientations du plan guide.
Pour une fabrique collective du patrimoine vivant
La démarche engagée par Beaumont illustre un changement de paradigme dans la manière de penser la revitalisation des centres anciens. Il ne s’agit plus de préserver le patrimoine en le muséifiant, ni de le réhabiliter selon une logique purement économique, mais de réconcilier mémoire et usages, pour faire du cœur historique un espace habité, désiré, transmis.
Cette ambition passe par une mobilisation collective, une compréhension fine des lieux, et une volonté politique forte. En plaçant les habitants au centre du processus, en valorisant l’intelligence du déjà-là et en privilégiant la souplesse des réponses contextuelles, Beaumont esquisse les contours d’un urbanisme du soin et de la transmission.
Le patrimoine urbain devient alors non plus une contrainte, mais un levier de projet — un vecteur d’émotions, de récits et de renouveau.