La revue
Revenir à la Une
Partager

Illustration de couverture : La perspective des allées du Cardo et du jardin Lecoq, à Clermont-Ferrand. © Agence In Situ, Paysages et Urbanisme / Urbanisme – Hors-série n° 79, avril 2024

Récit rétrospectif des mobilités clermontoises

Par Matilin Le Meur et Martin Vanier, Acadie. - 14.04.2025

Le présent article propose une lecture rétrospective et séquencée de la manière dont la question des mobilités s’est inscrite à l’agenda des acteurs clermontois et s’est traduite en action au cours des cinquante dernières années.

1 – L’horizon métropolitain : le temps des grands projets structurants (1970-2000)

Au cours de la décennie 1970, une génération d’élus clermontois et auvergnats entend s’attaquer au « retard » de la Région, « Himalaya français » enclavée par son Massif et manquant d’une « métropole » inscrite à l’armature des « métropoles d’équilibre » qui structure alors les investissements de l’Etat. Pour ces acteurs, la « jonction » au système français est autant fonctionnelle (par des infrastructures) que performative (par des « marqueurs »). Elle passe par l’énoncé d’une vision politique et stratégique des mobilités du territoire. L’empreinte locale de cette « jonction » au système national structure fortement le développement spatial du territoire et de fait l’agenda politique des décennies suivantes.

La promesse d’intégration nationale trouve un écho certain au cours des décennies 1970 et 1980 dans les agendas présidentiels et étatiques. Présidentiel car, auvergnat, le Président Valéry Giscard d’Estaing entend désenclaver « sa » Région en la dotant des grandes infrastructures qui la contournent alors. Etatique ensuite car, soucieux de l’aménagement équilibré du territoire national, l’Etat souhaite contribuer au désenclavement du Massif central. Celui-ci y voit dans le même temps une possibilité d’anticiper la congestion du couloir rhodanien en proposant une liaison autoroutière alternative. Cet alignement d’intérêts et la forte mobilisation des acteurs locaux ouvrent, au début des années 1980, le chantier du carrefour autoroutier clermontois qui s’étendra sur plus de trois décennies.

Construit pour répondre à un besoin d’ordre national (tant pour le territoire que pour l’Etat), le carrefour autoroutier structure de fait fortement la métropolisation spatiale clermontoise autour du mode automobile. La gratuité de l’A75 ouvre les stratégies résidentielles des ménages et étend l’aire d’influence clermontoise au sud jusqu’à Issoire. A l’inverse, le péage de Gerzat, constitue un frein à l’urbanisation au nord du bassin de vie. Au quotidien, on constate de fait un certain report sur les axes secondaires entre Riom et Clermont-Ferrand, sans que ces derniers ne soient dimensionnés pour accueillir une forte intensité de flux.

Ce « grand projet » autoroutier enracine donc le système du bassin de vie clermontois dans un « tout voiture ». Une caractéristique d’autant plus marquée que l’échelle du bassin de vie ne fait l’objet d’aucune politique de mobilités complémentaire. Le tropisme des élus est pour cause résolument national : l’aérien notamment, Clermont-Ferrand est jusqu’en 2003 le « hub » de la compagnie Regional Airlines, fait l’objet d’investissements conséquents (extension de l’aérogare en 1993) et constitue un des leviers de jonction nationale privilégié. Le ferroviaire fait également l’objet d’investissement (électrification de la ligne Paris – Clermont-Ferrand en 1982) en laissant de côté l’amélioration de l’étoile clermontoise et du réseau interurbain de moyenne portée.

A l’inverse, au sein de la ville-centre, on pense la sortie du « tout voiture ». L’héritage urbanistique moderniste de Clermont-Ferrand rend son centre-ville « trop accessible » à la voiture par les grandes radiales à sens unique, complétées par les réseaux de nationales et départementales tout aussi directs qui maillent le territoire de la métropole. Le Syndicat mixte des transports clermontois (STMC) porte, dès sa création en 1976, cette ambition à l’échelle d’un PTU restreint de 13 communes et structuré par les besoins de la ville-centre. Dès 1995, le SMTC porte le projet de la ligne A du tramway et la restructuration du réseau inscrite au PDU de 2001. Mis en service en 2006, le tramway moderne accuse un retard de près de 20 ans sur les autres métropoles dans le déploiement d’une telle infrastructure. La sortie du « tout voiture » telle qu’appréhendée dès lors, adosse le tramway à un projet de rénovation urbaine : l’infrastructure guide l’urbanisation, contribue au désenclavement des Quartiers Politique de la Ville, et accélère la requalification des espaces publics du centre-ville en faveur des modes actifs. Le tramway s’accompagne d’une révision des plans de circulation et du stationnement au cœur de Clermont. Le périmètre SMTC et l’imbrication du Syndicat avec la Ville de Clermont-Ferrand confère toutefois à cette politique de mobilité un caractère « clermonto-clermontois » et ce durablement.

Cette période installe donc les éléments d’une permanence tenace : celle d’un espace métropolitain structuré par un carrefour autoroutier à la fonction « nationale », facilitant le « tout voiture » à l’échelle du bassin de vie d’une part, et d’autre part une centralité urbaine qui tente d’en sortir progressivement et posant les jalons d’une posture de plus en plus défensive vis-à-vis de ce mode. Une politique des mobilités d’échelle intermédiaire, pour le bassin de vie, reste donc à ce stade nettement impensée.

2 – Constructions institutionnelles et recompositions géopolitiques : le temps des incertitudes (2000-2013)

L’achèvement de la structure du carrefour autoroutier et la mise en service du tramway clôturent cet intense cycle planificateur. Charge à une nouvelle génération d’élus (Serge Godard élu maire en 1997 a poursuivi lors de son premier mandat les projets engagés par Roger Quilliot) de penser le « coup d’après » dans une géopolitique locale en évolution. Ces élus restent néanmoins principalement soucieux de l’intégration nationale du territoire, au détriment de l’enclenchement d’un nouveau cycle stratégique local.

A l’échelle clermontoise, l’après tramway fait l’objet d’une certaine latence stratégique. Par manque de capacité financière en partie, la sous-estimation des coûts de l’infrastructure annihile la possibilité de suivre les ambitions du PDU 2001 de construction de nouvelles lignes et de liaison à la gare notamment. Dans le même temps, le SMTC est confronté à une révision de son périmètre induite par le départ du Département en 2006, qui contraint ses capacités à porter des engagements stratégiques. Faute de vision stratégique, le temps est aux ajustements par l’intégration d’un agenda « développement durable » du territoire : vélos en libre-service, mobilisation des entreprises et des administrations (Plan de déplacement des entreprises et des administrations), parking-relais, etc.

L’énergie politique se déporte de nouveau du local au national. Inscrite au Grenelle de l’environnement de 2009, la création d’un tronçon à grande vitesse sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, dans la perspective notamment de désaturer l’axe Paris – Lyon, réouvre un cycle de mobilisation des élus clermontois et auvergnats qui s’exprimera principalement lors du débat public ouvert fin 2010 pendant trois ans. Dans la continuité de leurs prédécesseurs, cette génération d’élus joue également la carte de l’attractivité métropolitaine par l’intégration nationale, sans pour autant aboutir. Après le cycle d’intégration nationale, la période 2000 – 2013 augure d’un certain ré-enclavement clermontois relativement aux autres métropoles. La liaison par Ligne à Grand Vitesse, principal déterminant métropolitain dont bénéficient la majorité des métropoles régionales, ignore Clermont-Ferrand et ce irrémédiablement. En 2023 est acté le report du projet à un horizon indéterminé.

Le « coup d’après » était en réalité envisagé de manière interterritoriale.  La perspective du Grand Clermont (créé en 2003) dont le SCoT de 2010 ambitionnait de porter la question de l’aménagement du territoire à l’échelle de 4 intercommunalités a nettement conditionné l’élaboration du PDU de 2011 qui comportait un schéma multimodal des déplacements pour le Grand Clermont. Ces documents, jugés dans leurs évaluations à posteriori « inapplicables », envisageaient outre un prolongement du tramway, la création d’un « RER clermontois » reliant Riom, Clermont-Ferrand et Cournon d’Auvergne, dans l’optique de régulation de l’urbanisation. Ce dynamisme interterritorial a néanmoins manqué de portage politique pour être traduit opérationnellement.

Le défaut de portage politico-stratégique à l’échelle du Grand Clermont tient à la concomitance entre cette ambition interterritoriale et l’accélération des constructions intercommunales. Consécutives aux Lois Voynet et Chevènement, celles-ci ont également été fortement incitées par le Département du Puy-de-Dôme. Ces institutions nouvelles plus soucieuses de « faire projet » « au-dedans » qu’au dehors ont donc construit dans un premier temps des stratégies, dont de mobilités, à l’échelle de leurs PTU (créé en 1982 pour Riom). Surtout, ces intercommunalités se sont construites selon un modèle « défensif » vis-à-vis de la communauté d’agglomération de Clermont-Ferrand, nourries d’une méfiance vis-à-vis des « métropoles » et d’antagonismes politiques.

Ces incertitudes multiples expliquent pour partie le relais au second plan de l’agenda politique de la question des mobilités, jusqu’au début de la décennie 2010.

3 – Depuis 2014, un nouveau cycle : vers une stratégie « métropolitaine » des mobilités

L’élection en 2014 d’Olivier Bianchi à la Mairie de Clermont-Ferrand et à la présidence de la Métropole ouvre un nouveau cycle de l’action métropolitaine, moins « clermonto-clermontoise » en embrassant l’ensemble du périmètre institutionnel métropolitain, comme une tentative d’asseoir la bonne échelle pour résoudre les enjeux territoriaux. Les mobilités sont au cœur de cette ambition.

Par la création d’un réseau de transports en commun et de mobilités douces d’échelle et d’envergure métropolitaine, le SMTC se dote d’une feuille de route 2016-2032, qui préfigure le déploiement d’une nouvelle offre de transports à horizon 2032 (date de péremption de l’homologation des rames de tramway pneumatiques). Concrètement cette action s’est traduite par la reconfiguration du réseau SMTC, le projet InspiRe élaboré de 2016 à 2023, qui marque une rupture à plus d’un titre. La ligne de tramway A se voit complétée de deux nouvelles lignes structurantes de « bus-tram » qui sont prolongées au-delà de la frontière symbolique de l’A75 pour desservir l’est de la Métropole. La ligne B desservant notamment la gare de Clermont-Ferrand, réparant pour partie l’anomalie de l’absence d’intermodalité réseau local – réseau national.

Dans le même temps, ce nouveau réseau évite le monotropisme clermontois en déployant un ensemble de lignes en rocades autour de la ville-centre, de « périphérie à périphérie ». Enfin, le tramway avait initié un vaste projet urbain au cœur de Clermont, le nouveau réseau InspiRe s’accompagne d’un ensemble de projets d’espaces publics et de voirie (intégrant notamment les modes actifs) impliquant une planification et une stratégie foncière d’envergure métropolitaine. InspiRe constitue un vrai changement d’échelle, dépassant le cadre clermonto-clermontois qui prédominait jusque-là, pour intégrer l’ensemble du périmètre institutionnel du SMTC.

Ce nouveau cycle se caractérise également par une certaine conflictualisation sociale des enjeux de mobilités, à l’aune notamment de la transition écologique. L’opposition entre d’un côté le « tout voiture » dominant au sein de l’aire d’influence clermontoise, et la transition mobilitaire progressive du cœur métropolitain de l’autre est mise en avant. La Métropole a engagé en effet un ensemble de projet concourant à réduire la place de la voiture dans les déplacements en offrant des alternatives (Schéma cyclable, parking-relais, réseau InspiRe), en réduisant sa place dans l’espace public (piétonnisation, voies cyclables, réduction du stationnement, etc.) et en révisant la circulation au sein du centre-ville en transformant les pénétrantes en rocades. Les travaux engagés suscitent naturellement des difficultés de circulation et des embouteillages nourrissant les conflits. Ces mesures sont parfois considérées comme relevant d’une posture défensive de la « métropole » vis-à-vis des outsiders automobilistes. Un ensemble de conflits de transition intègrent donc l’agenda métropolitain, et font émerger la nécessité d’une politique de mobilités partagées à une échelle interterritoriale et plus pertinente au regard des pratiques des ménages.

Dans ce sens, la candidature SERM acte enfin d’un certain alignement des planètes et des agendas entre l’Etat, la Région Auvergne Rhône-Alpes, cinq Autorités organisatrices des mobilités (SMTC, Vichy Communauté, Riom Limagne et Volcans, SM-TUT, Agglomération Pays d’Issoire) dans la perspective d’une amélioration de l’offre de transports en commun (amélioration de l’offre ferroviaire, cadencement, développement d’une offre de car express, etc.). L’enjeu étant d’offrir aux ménages une alternative au « tout voiture » à l’échelle du bassin de vie, tout en contribuant à la structuration de l’aménagement de l’espace métropolisé clermontois.

Ce projet s’inscrit dans une dynamique plus générale d’ouverture interterritoriale. La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM, 2019) offrant la possibilité aux intercommunalités de porter la compétence mobilité et transport en devenant autorité organisatrice des mobilités (AOM) a confronté les territoires à leur capacité réelle de portage d’une telle compétence, en matière d’investissement notamment. La stabilisation des périmètres intercommunaux, l’apaisement des postures « défensives » ouvrent la voie d’un ensemble de dispositifs de coopération inter-territoires, en matière de mobilités notamment. Le SMTC en est l’un des outils en travaillant avec les intercommunalités voisines à leur adhésion au syndicat (Mond’Arverne Communauté), ou de manière ponctuelle sur des projets précis.

La nouveauté de ce cycle tient donc au changement d’échelle de l’investissement relationnel de l’institution métropolitaine. Au-dedans priment la concertation des publics et des mondes associatifs, et l’ouverture vers les maires ; au-dehors une posture coopérative à plusieurs échelles mais articulée autour de l’objectif de transition des modes de vie du bassin de vie.