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« Ne pas renoncer au tourisme, mais fonder le tourisme sur autre chose, c’est certainement la voie qu’il faudrait suivre.” – Entretien avec Sylvie Clarimont

Entretien avec Sylvie Clarimont, professeur des universités en géographie à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay-Saint Cloud, responsable du Master Tourisme parcours Loisirs, Tourisme et Développement Territorial, et rattachée au laboratoire TREE (Transitions énergétiques et environnementales).

De 2018 à 2022, Sylvie Clarimont a porté le programme « Tourisme, eau et changement climatique en Nouvelle-Aquitaine (EauTour) », financé par la Région Nouvelle Aquitaine, visant à analyser les conditions d’émergence et de mise en œuvre de politiques d’adaptation au changement climatique, respectueuses de la ressource en eau et des milieux aquatiques et capables d’accompagner la transition vers des territoires touristiques durables et résilients. Dans la continuité de ce programme, Sylvie Clarimont vient de démarrer un nouveau programme de recherche « Investir les plans d’eau pour la transition écologique des loisirs et du tourisme en Nouvelle-Aquitaine (ILEAUT-NA) », cofinancé par la Région Nouvelle Aquitaine et la communauté d’agglomération Pau – Béarn – Pyrénées.

Cet entretien a été sollicité pour apporter des éclairages sur des missions conduites par l’agence d’urbanisme, portant sur les usages touristiques des lacs et rivières dans un contexte de changement climatique. Ainsi, les trois lacs de la communauté de communes Thiers Dore et Montagne et la rivière Allier, qui irrigue le territoire du pôle métropolitain Clermont Vichy Auvergne, font l’objet de deux missions distinctes, qui ont pour même objectif de croiser les regards d’experts, de professionnels du tourisme et d’élus, pour apporter des réponses tant aux attentes des clientèles touristiques qu’aux besoins des habitants du territoire.

Les propos de cet entretien ont été recueillis le 19 février 2024 par Julia Angeletti, chargée d’études urbanisme et transitions environnementales et Anaïs Burias Moreira, chargée d’études économie et tourisme.

Vos travaux, en lien notamment avec le partage des eaux, vous amènent à porter un regard à la fois analytique et critique sur les difficultés de mise en pratique des politiques publiques de tourisme durable, des concurrences entre usages et des tensions entre régions. Quels sont selon vous les principaux défis du tourisme face au changement climatique ?

Le premier défi n’est-il pas celui de la connaissance et de la reconnaissance des enjeux environnementaux associés au tourisme ? Les professionnels pâtissent d’un manque de formation, voire de sensibilisation, sur ces enjeux. Je suis responsable d’un Master en tourisme, pour lequel je dispense des cours sur les interactions entre tourisme et environnement, et j’éprouve toujours des difficultés à intéresser les étudiants aux questions environnementales, eux qui viennent généralement d’une formation en tourisme très orientée marketing, promotion, communication. C’est certainement cette logique entrepreneuriale, qui prévaut dans les formations en tourisme, qu’il faudrait ajuster dès l’amont. Les professionnels du tourisme doivent prendre conscience de l’ampleur du changement et du fait qu’aucun territoire ne sera épargné. La France se réchauffe plus rapidement que le reste du globe, mais malgré tout, certains professionnels ou élus pensent encore que nous serons épargnés. Dans les Pyrénées, comme dans le Massif central, prévaut l’image d’un territoire « château d’eau », et même si les acteurs locaux ne nient pas le changement climatique, je constate une mise à distance géographique du changement climatique : « le changement climatique c’est pour la frange méditerranéenne », « le changement climatique c’est pour le versant sud des Pyrénées, mais ce n’est pas pour nous », ainsi qu’une mise à distance temporelle : « le changement climatique, ça sera peut-être dans 100 ans, mais pas pour maintenant ». Les prévisions sont alarmantes, nous avons des éléments de connaissance en Nouvelle-Aquitaine, avec l’association AcclimaTerra [1] et l’Observatoire Pyrénéen du Changement Climatique [2], et pourtant certains élus sont encore dans le déni.

Le deuxième défi, c’est de mettre en œuvre des stratégies territoriales qui combinent des actions d’atténuation, notamment de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à des actions d’adaptation. Mais une adaptation qui consiste « à faire avec », et non pas à vouloir « faire contre » le changement climatique. On constate aujourd’hui de nombreuses actions de pseudo-adaptation, je dirais même de mal-adaptation, qui consistent à vouloir aller contre et à s’obstiner malgré tout : s’acharner à produire de la neige de culture alors que les températures annoncées sont positives, envisager de stocker la neige dans des puits à neige… Cela relève très clairement de la non-adaptation. S’adapter au changement climatique, c’est aussi l’accepter et prendre notamment conscience que nous aurons sans doute de moins en moins d’eau, de moins en moins de neige et qu’il faudra faire avec.

 Selon vous, les intérêts économiques locaux (tourisme notamment) sont-ils compatibles avec la protection des milieux aquatiques ?

Les logiques économiques l’emportent encore trop souvent sur les logiques de préservation de la ressource en eau, alors que, pourtant, on sait qu’elle est vulnérable, on sait qu’elle est fragile. On a des éléments d’actualité qui montrent cela. Je prends pour exemple la suspension du plan Ecophyto3 – alors que les plans précédents étaient loin d’avoir atteint leurs objectifs -, la révélation du scandale du traitement illégal des eaux minérales ou encore l’aménagement de terrains de golf dans des secteurs qui n’ont pas connu de pluies significatives depuis deux ans comme les Pyrénées-Orientales. Je n’explique pas qu’on puisse s’obstiner à défendre les intérêts économiques quand une ressource aussi vitale que la ressource en eau, est en jeu. Plusieurs éléments peuvent expliquer cela. La marchandisation de la nature tout d’abord. La notion de service écosystémique est en quelque sorte révélatrice de cette entrée de la nature dans la sphère marchande. On reconnaît que la nature nous rend des services, et que l’on a besoin d’elle, mais on cherche à en faire une évaluation monétaire.

Aujourd’hui, on considère par ailleurs que « tout est compensable », donc si on détruit les hectares de forêt quelque part on pourra le compenser par le reboisement de nouveaux hectares de forêt ailleurs, comme si tous les espaces naturels se valaient, dans une relation d’équivalence. Cette logique compensatoire peut certainement expliquer ce primat de l’économie par rapport à la nature.

Enfin, l’eau devrait réellement être reconnue comme un bien commun, et sa préservation relever de l’intérêt général, pour primer sur des intérêts particuliers ou sectoriels. Dans les faits, il est complexe de considérer l’eau comme « patrimoine commun de la nation », même si la loi sur l’eau de 1992 la définit comme telle. C’est un bien commun qu’il faut épargner, préserver à tout prix. Quoi qu’il en soit, c’est une question complexe.

Selon quelles modalités concilier aménagement, développement et préservation des sites ? Faut-il activer des leviers spécifiques et lesquels, le cas échéant ?

En premier lieu, pour réellement protéger la ressource en eau, ne faudrait-il pas envisager la maîtrise foncière publique comme condition sine qua non ? Autour des lacs et rivières, avec un parcellaire morcelé et majoritairement privé, la maîtrise foncière demeure complexe et onéreuse. Mais autour des plans d’eau de taille modeste, une maîtrise foncière publique peut être envisagée pour s’assurer que les usages agricoles ou économiques ne portent pas préjudice à la qualité de la ressource. Les périmètres de protection de captage d’alimentation en eau potable sont un bon exemple de maîtrise foncière publique adoptée par certains syndicats pour éviter la contamination de la ressource.

Ensuite, au-delà des indispensables actions de sensibilisation et d’éducation des usagers, la régulation des flux de fréquentation peut être un levier à activer. Certains lacs pyrénéens sont extrêmement fréquentés en période estivale, avec des comportements inadaptés : de la baignade… avec crème solaire, des dépôts sauvages de déchets et des rives de lacs qui deviennent des plages, à 1800 ou 2000 mètres d’altitude. Dans ces espaces fragiles, la régulation de la fréquentation, et des nuisances engendrées, peut se faire par une meilleure maîtrise de l’accès, des restrictions de stationnement et une limitation des activités de loisirs motorisées. Sur le site protégé des lacs d’Ayous, en vallée d’Ossau, la Communauté de communes et la Commission syndicale qui gère les estives ont mis en place des mesures assez drastiques de régulation des flux (contrôle strict et limitation du stationnement avec interdiction des camping-cars la nuit, tarification du stationnement, sensibilisation) qui semblent porter leurs fruits et on ne retrouve plus les dérives constatées les années précédentes. Cependant, si l’accès côté français est régulé, côté espagnol, il y a une promotion de ces lacs avec une dérégulation totale de la fréquentation. Ce levier de régulation des flux en espace naturel ouvert n’est pas facile à mettre en œuvre, dans le cas des lacs d’Ayous, il y a eu une dizaine ou une douzaine d’années de réflexion, de tâtonnements, d’échecs, avant d’arriver à une solution.

Mais en zone urbaine, comment réguler quand s’exprime une demande sociale très forte pour des espaces de fraîcheur en libre d’accès ? Et comment concilier aménagement, développement et préservation des sites ? Il y a un exemple que je trouve très intéressant à côté de Pau : une ancienne gravière, le lac d’Aressy, est devenue à la fois un espace de préservation des milieux naturels et un espace de loisirs ouvert à la population paloise qui apprécie ce lieu aux usages beaucoup plus libres qu’en piscine publique. Mais se pose aujourd’hui la question de la régulation de l’accès et de la sensibilisation du public dans cet espace très fréquenté. L’agglomération réfléchit à créer un zonage, une séparation fonctionnelle de l’espace, avec une zone de quiétude pour les oiseaux et l’ensemble de la faune sauvage qui ont commencé à s’y implanter, et une zone ouverte à la fréquentation. Comment fait-on pour interdire l’accès à une partie du lac ? On met des barrières, des clôtures ? Si on cesse d’entretenir les sentiers, il y aura des cheminements sauvages…Cela renvoie à des questions de justice sociale, de réduction des inégalités sociales d’accès à la nature, avec un public qui fait partie de ces 35% de personnes qui n’ont pas accès aux vacances.

Face au changement climatique et notamment aux vagues de chaleur estivales, dans quelle mesure les fleuves et les lacs constituent-ils des atouts, tant pour la vie locale et le besoin de fraîcheur que pour la dynamique touristique et la clientèle qui s’y rapporte ?

Il faut certainement distinguer deux types d’espaces. D’un côté, les espaces urbains, que l’on vient d’évoquer, avec une demande sociale très forte pour des espaces de fraîcheur, des espaces aquatiques, facilement accessibles, qui permettent de se rafraîchir l’été quand il fait très chaud. Dans l’agglomération paloise, le lac d’Aressy et les berges du gave de Pau jouent pleinement ce rôle, même si la baignade y est interdite. Les eaux dormantes, les eaux courantes, sont des alternatives aux piscines publiques, souvent prises d’assaut, parfois fermées, et dont le prix peut être aussi dissuasif. En zones rurales, loin de pôles urbains importants, on est dans une situation un peu différente. Je pense aux territoires ruraux qui ont parfois construit leur développement touristique autour de la présence d’un lac, d’un plan d’eau artificiel. Dans les années 1960, 1970 et même 1980, il y a eu une vague d’équipements des zones rurales en plans d’eau, financée en partie par l’État dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, pour essayer de diversifier l’économie rurale et favoriser le développement touristique de ces zones qui n’avaient pas vraiment d’éléments attractifs hormis des éléments patrimoniaux. Et si le plan d’eau fut un moyen d’attirer une clientèle touristique dans ces espaces ruraux intermédiaires, il répond moins aux besoins de fraîcheur des habitants qu’aux besoins de la clientèle touristique.

Quel avenir pour ces territoires touristiques qui dépendent de ces plans d’eau avec le changement climatique ?

Si certains plans d’eau ont été créés uniquement pour satisfaire des besoins touristiques, d’autres l’ont été pour l’irrigation ou la production hydroélectrique et sont devenus avec le temps des sites touristiques. Je pense à la retenue du Gabas qui devait initialement être dévolue à l’irrigation et qui est aujourd’hui un lieu récréatif et touristique et surtout une composante importante du paysage. On retrouve donc une attractivité pour l’eau, l’eau contemplée et pas uniquement pour se rafraîchir. Donc quel avenir pour ces sites touristiques ? Les situations sont très variées. Certains de ces plans d’eau pourront peut-être perdurer et d’autres seront condamnés à devenir autre chose. Il faudra certainement accompagner ces territoires ruraux dans la reconversion de ces plans d’eau et la diversification de leur économie touristique. Certains plans d’eau ont disparu. Par exemple, le plan d’eau d’Uzein, au nord de Pau, a vu le jour dans les années 1970 avec une guinguette, de la location de pédalos, etc. En juin 2013, les crues très importantes du gave de Pau et de ses affluents ont fait beaucoup de dégâts et le plan d’eau d’Uzein n’a pas résisté : la digue a cédé et le plan d’eau a disparu. Depuis 2013, il y a des hésitations, des réflexions autour de la « reconstruction » de ce plan d’eau fantôme qui appartient à la Commission syndicale du Haut Ossau.

Dans l’étude que vous avez portée sur la perception de la ressource en eau et l’adaptation au changement climatique dans les vallées de la Dronne et de la Vézère, les acteurs touristiques et certains élus minimisent la vulnérabilité de leur territoire face aux changements climatiques. Pourquoi et comment sensibiliser ces acteurs à l’enjeu d’un usage plus raisonné de la ressource dans un territoire où celle-ci est suffisante hors épisodes de sécheresse ?

Dans les vallées de la Dronne et de la Vézère, si les acteurs touristiques s’accordent sur la baisse effective des débits et la prolifération des plantes invasives qui perturbent, entre autres, la navigation, ils gardent une relative confiance avec une mise à distance spatiale et temporelle des risques liés au changement climatique. Certains acteurs, comme les loueurs de canoës, entrevoient même l’opportunité d’allonger considérablement la saison de pratique. Dans le secteur pyrénéen, les accompagnateurs en montagne qui proposent des activités de canyoning, ont une sensibilité environnementale plus forte et sont plus inquiets, mais ils entrevoient néanmoins, avec la baisse des débits, la possibilité de diversifier les publics et d’ouvrir l’activité aux plus débutants. Ils se sentent également moins menacés, car ils estiment que leur espace de pratique est très étendu, qu’ils sont « mobiles » et qu’ils peuvent donc s’adapter. Par contre, dans le Marais poitevin, j’ai senti plus d’inquiétudes en échangeant avec les loueurs de canoës, notamment pour la pérennisation de leur activité avec la baisse des niveaux d’eau. Il y a une inquiétude, mais il faudrait distinguer là aussi deux types de professionnels : ceux qui font des visites accompagnées du marais, qui ont suivi une formation dispensée par le Parc Naturel Régional en début de saison et sont donc capables de sensibiliser eux-mêmes les visiteurs à la fragilité de cet espace, et ceux qui se contentent de louer des embarcations et ne sensibilisent pas forcément les clients à la nécessité de préserver le marais, ni aux règles de bon usage avec des berges fragiles et souvent privées.

En plus de minimiser la vulnérabilité du territoire, les acteurs précités tendent à minimiser l’impact des usagers sur le milieu naturel. Quelle posture adopter pour une prise de conscience de ces impacts et les inciter à adapter leurs pratiques (sensibilisation des clients, signalétique, campagnes de ramassage de déchets…) ?

En Dordogne, les vallées de la Dronne et de la Vézère sont un vaste parc de jeux aquatiques : les gens crient, se jettent à l’eau, s’amarrent ou pique-niquent n’importe où, et on a des berges qui sont érodées à plusieurs endroits différents, parce qu’il n’y a pas de points de pique-nique. Dans le Marais poitevin, les canoës en visite libre partent avec une petite carte des points de pique-nique autorisés. Donc en principe c’est un peu mieux régulé, ce qui n’est pas le cas en Dordogne où l’activité est uniquement mue par la rentabilité économique et avec une très faible sensibilité environnementale de la part des loueurs qui ne sont même pas conscients que leurs embarcations en plastique peuvent avoir un effet de frottement sur le lit de la rivière. Les nanoparticules de plastique qui s’échappent n’ont ainsi jamais été évoquées dans les entretiens que nous avons conduits dans le cadre de cette étude.

Par ailleurs, les opérateurs sont très mobiles puisqu’en fonction des conditions météo, des conditions des lâchers d’eau, ils se déplacent d’un lieu de pratique à un autre. Les clients louent une activité ludique, mais pas un lieu de pratique, ils veulent « juste profiter d’un moment de détente sur l’eau ». Cette activité, en quelque sorte «a-spatiale», pose toute la limite des actions de sensibilisation.

Dans les Pyrénées, on constate beaucoup de problèmes de tensions entre usagers, d’autant que la fréquentation en zone de montagne est en augmentation depuis trois ans (donc depuis le Covid), notamment sur les espaces lacustres et pastoraux qui sont des lieux particulièrement prisés par les néo-pratiquants de la montagne. Des heurts assez violents ont eu lieu, entre bergers et randonneurs, avec les chiens de bergers aussi. En réponse à cela, le Conseil départemental des Pyrénées Atlantiques a mis en place une démarche de communication et de sensibilisation sur le terrain, en lien avec les acteurs du pastoralisme et les acteurs du tourisme qui s’appelle « Réussir ma rando » et qui vise en premier lieu à sensibiliser ces nouveaux publics aux bons gestes à adopter en zone pastorale. Il me semble que ça a plutôt bien fonctionné et j’ai l’impression que, durant l’été 2023, il y a eu moins de tensions, ou en tout cas moins de tensions médiatisées que lors des étés précédents, même si on observe encore des contrevenants, comme des personnes avec des chiens sans laisse, ce qui pose énormément de problèmes en zone pastorale et aussi en zone lacustre, car les chiens ont tendance à se baigner et cela nuit à la qualité de l’eau et aux milieux aquatiques.

Vous faites état d’un manque de partage et de dialogue entre les acteurs touristiques et les gestionnaires des milieux aquatiques, lié à des cloisonnements sectoriels et institutionnels. Quels sont, selon vous, les moyens existants – ou à inventer – de concertation autour du partage de l’eau ?

On a deux univers parallèles qui se croisent très peu, l’univers du tourisme et l’univers des gestionnaires de l’environnement. Je suis étonnée finalement que, vous à l’Agence, vous travaillez en commun, chargée de mission environnement, chargée de mission tourisme, que vous travailliez ensemble et que vous dialoguiez en permanence parce que ce n’est pas toujours le cas. Dans beaucoup d’institutions, c’est assez tubulaire et finalement les gens du service environnement croisent très peu les gens du service tourisme, ils travaillent au sein de la même structure, mais ils se connaissent à peine. Et ensuite, au niveau des professionnels, nos acteurs du tourisme croisent très peu les chargés de mission environnement. Alors comment faire pour que ces univers commencent à travailler ensemble ? Faudrait-il revoir les démarches de concertation ? En principe dans les SAGE [3], quand il y a une commission locale de l’eau qui se met en place, tous les usagers de la rivière doivent être présents. Mais les secteurs institutionnels du tourisme sont-ils toujours représentés ? Faudrait-il repenser la composition des commissions locales de l’eau et les élargir ou créer, en parallèle, des instances délibératives, des instances de dialogue qui soient plus larges ? Mais comment susciter l’intérêt de ces acteurs du tourisme qui sont parfois rétifs à s’impliquer dans ces instances ?

Dans le Marais poitevin, j’ai constaté que les personnes les plus sensibles aux questions environnementales avaient une double casquette, par exemple des professionnels du tourisme élus au niveau de la communauté de communes. Ces acteurs multi-casquettes ont une vision un peu plus élargie, et c’est certainement par leur intermédiaire qu’il y a un levier d’action intéressant.

Dans le cadre des enquêtes qualitatives, la photographie est aussi un vecteur permettant de favoriser la prise de parole. Elle invite les participants à exprimer leur perception du changement climatique, la façon dont ils voient l’évolution de la rivière et de ses usages. L’agence de l’eau Adour Garonne a organisé, début février, une journée citoyenne autour de clichés montrant les différentes facettes de la rivière (aménagée, en assec, …). Ce dispositif a libéré la parole des personnes présentes qui avaient plus de facilités à s’exprimer avec ce support photographique.

Avec la baisse des débits d’étiage en été et la pression sur la ressource en eau dans ses différents usages, faut-il renoncer à certaines activités d’eau vive et repenser l’offre touristique des destinations dont les activités nautiques sont dépendantes d’une quantité et d’une qualité d’eau suffisantes ? A la suite des réflexions engagées actuellement sur la fermeture des stations de ski, quelles pourraient être les stratégies de reconquête envisageables pour les territoires de lacs et de rivières ?

Dans les territoires centrés sur les activités d’eau vive, je crois qu’il faudra apprendre à entrer dans l’ère du renoncement, apprendre à faire le deuil de certaines activités. Des choix devront être faits avec des priorités d’usages clairement établies, dans le dialogue et la concertation. Mais de fait, il y a déjà des renoncements qui sont à l’œuvre, comme en 2022, lorsque l’activité nautique sur le lac de Sainte-Croix ou le lac de Serre-Ponçon a été réduite par manque d’eau disponible dans ces lacs de retenue. Ce qui m’inquiète davantage, ce sont les réponses techniques à ces problèmes qui conduiraient à multiplier les stockages en eau. Pour moi, ça s’apparente un petit peu à une fuite en avant. Je pense qu’il faudrait d’abord envisager de réduire drastiquement les consommations en eau, et ensuite envisager de renoncer à certaines activités qui ne sont peut-être pas fondamentales. Revoir les priorités d’usages de la ressource en eau en mettant la priorité sur l’eau potable et l’eau comme vecteur pour la production alimentaire. Faire un effort pour maintenir une eau suffisante pour préserver les écosystèmes aquatiques, et après, peut-être, envisager en dernier lieu les usages qui sont des usages moins fondamentaux, moins vitaux. Mais ça suppose de sortir d’une vision très sectorielle de l’eau avec chaque groupe d’intérêt qui défend finalement son pré carré.

Vous faites une analogie avec la fermeture des stations de ski et effectivement dans certaines vallées on constate la fin d’une économie qui dépendait complètement du ski. Et il y a certainement des enseignements à tirer de ces fermetures de stations. En 2021, un jeune chercheur, Pierre-Alexandre Métral[4], dans le cadre de sa thèse portant sur l’analyse des trajectoires territoriales des stations de ski abandonnées,  a mis en évidence trois logiques de reconversion distinctes qui peuvent être inspirantes pour des territoires de lacs ou de rivières : 1/ la reconversion « planifiée », 2/ la reconversion « sous contrainte » et 3/ la reconversion par « laisser faire ». Les trajectoires d’anticipation (cas 1) sont particulièrement intéressantes. Il prend l’exemple de la station de Métabief, une station du Jura qui prévoit de cesser son activité ski en 2030 ou 2035. La station concentre aujourd’hui ses investissements dans l’entretien des équipements, il n’y a plus d’investissements massifs, et les économies financières réalisées sont mises au service de la diversification de l’offre. Ne pas renoncer au tourisme, mais fonder le tourisme sur autre chose, c’est certainement la voie qu’il faudrait suivre. Une reconversion planifiée, anticipée, réfléchie et concertée, en se donnant un pas de temps d’une dizaine d’années pour réfléchir tous ensemble au devenir du territoire.

A contrario, la reconversion « sous contrainte » ou le « laisser-faire » ne sont pas des solutions souhaitables. L’abandon, la fermeture brutale, sans anticipation, sans projection, une station qui devient une friche touristique, une « station fantôme », sont autant de stigmates dans les territoires.

D’autres stations de ski se réinventent : c’est le cas de Céüze dans les Hautes-Alpes qui repense son devenir touristique autour des sports de nature, ou encore le Mas de la barque, en Lozère, une station fermée une vingtaine d’années auparavant qui s’est orientée vers l’écotourisme avec la construction d’un parc d’hébergements complètement inscrit dans l’architecture locale, en employant des matériaux locaux. Ou encore Valdrôme, dans la Drôme, qui s’est orientée vers une forme de tourisme assez originale : l’astro-tourisme. Ce sont des trajectoires plutôt réussies qui invitent à l’optimisme.

La Cour des comptes vient de publier un rapport sur les stations de sport d’hiver[5], qui propose d’établir des diagnostics de vulnérabilités au changement climatique. Il me semble intéressant de transposer cette approche pour réfléchir à de nouvelles stratégies touristiques dans des territoires de rivières et de lacs, en prenant en compte certes des aspects climatiques et d’évolution des disponibilités en eau, mais aussi la solidité financière de la collectivité qui porte ces activités, et d’autres critères comme les ressources disponibles du territoire (patrimoniales, architecturales, naturelles, etc.). Et sur la base de ce diagnostic de vulnérabilités multicritères, nous pourrions identifier les territoires prioritaires sur lesquels il faut intervenir d’urgence. A la lecture de ce rapport, il faut certainement aussi faire évoluer le cadre réglementaire pour que les autorisations de prélèvement pour les usages récréatifs tiennent mieux compte des perspectives climatiques. Certaines pistes sont à investir, comme la mise en place d’un fonds d’adaptation au changement climatique pour financer des actions de diversification et de déconstruction, de reconversion de certaines installations, pour éviter des verrues paysagères, qui rouillent, qui vont contaminer les eaux, et poser de nombreux problèmes.

Une méthodologie à plusieurs dimensions pour accompagner les collectivités dans la mobilisation des friches urbaines

Les enjeux de mutations foncières, de renouvellement urbain et l’impératif de réponse aux objectifs du ZAN rendent la question des friches urbaines toujours plus prégnante. En réponse à ces enjeux, l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central développe depuis quelques années une méthodologie spécifique d’accompagnement des collectivités en matière de repérage et de mobilisation de ces friches.

Dresser l’inventaire

Repérer les friches, notamment les friches économiques, et en identifier le stock primaire, nécessite tout d’abord le croisement de multiples sources de données : sources fiscales (LOCOMVAC, CFE, etc.), inventaires des pollutions (BASIAS, BASOL), données cadastrales, etc. Ce travail de recensement brut reste cependant incomplet et nécessite un apport d’expertise terrain. Les acteurs locaux – élus et techniciens des collectivités – par leur connaissance fine du territoire, se révèlent être les détenteurs de l’information la plus fiable et la plus actualisée pour affiner et compléter l’identification des friches. D’autres acteurs sont également essentiels, à l’instar des Etablissements Publics Fonciers (EPF), qui apportent non seulement leur connaissance du terrain, mais aussi une expertise métier opérationnelle utile à la qualification de chaque friche (pollution, coûts d’acquisition/ démolition, proto-aménagement, etc.).

Prioriser les sites

Une fois l’inventaire réalisé, l’Agence s’attache à aider les collectivités à prioriser les nombreux sites identifiés, qui présentent des atouts et contraintes très variés et des caractéristiques complexes. Avec les contraintes qui sont les leurs (financières, temporelles, environnementales, etc.), les collectivités ont en effet besoin de cibler leurs efforts sur des sites à enjeux. Une analyse multicritères, croisant des données exogènes (contexte urbain, patrimonial, environnemental) avec les priorités stratégiques des élus (inscrites notamment dans les SCoT, PLUi et PLH), est réalisée afin d‘aider au choix de ces sites à enjeux. Les outils de mutabilité et TransiFriches, développés par l’AUCM et l’Ademe, ont ainsi permis de déterminer des profils de friches en fonction de leurs capacités contributives aux transitions écologiques et énergétiques des territoires.

Projeter une reconversion

Sur ces sites pilotes, intéressants de par leur caractère exemplaire et reproductible, l’Agence travaille alors sur des démonstrateurs de réemploi afin de se projeter sur des déclinaisons pré-opérationnelles de reconversion de friches. Cela dans une vision à long terme du développement territorial, non seulement car les friches sont « vivantes » – tous les jours de nouveaux sites apparaissent ou disparaissent – mais également car les besoins du territoire évoluent eux aussi avec le temps.

Accompagner la pré-programmation : le cas des Thermes Henry

Dans la cité thermale de Châtel-Guyon, 6 500 habitants, l’AUCM accompagne la mutation des usages et la recomposition des attachements autour d’un héritage emblématique. Les Thermes Henry, reconstruits en quasi-totalité en 1982, ferment définitivement leurs portes en 2019. Leur activité est transférée dans le nouveau resort thermal « Aïga » en 2020. Ils constituent aujourd’hui une friche significative et emblématique à reconquérir (10 000 m2), située au cœur du parc thermal de la commune. La ville, propriétaire du site, et la Communauté d’agglomération Riom Limagne et Volcans, souhaitent y implanter un tiers-lieu à dominante économique. À travers l’organisation d’ateliers avec élus et techniciens, l’AUCM accompagne les deux collectivités dans une étude de pré-programmation. Les ateliers prennent appui sur la présentation d’une vingtaine d’exemples de tiers-lieux en France et en Europe. Les prochaines étapes consisteront à envisager le modèle économique du projet, identifier les acteurs à associer à la démarche, et organiser la visite d’un ou de plusieurs sites inspirants. C’est donc tout une ingénierie d’accompagnement qu’il s’agit de déployer. Ce travail ne peut se faire sans la création d’espaces de dialogue, entre élus et techniciens, institutionnels et professionnels, permettant de trouver des consensus et de construire une culture commune sur les enjeux renouvelés de la sobriété foncière.

Consommation d’espaces versus artificialisation des terres : au-delà de la sémantique, la nécessaire préservation des fonctions écologiques des sols

Qu’est-ce qu’un sol ? Comment comprendre, suivre et analyser les notions de consommation et d’artificialisation des espaces naturels et agricoles à l’échelle locale ? Comment imaginer collectivement un modèle d’aménagement qui ménage les sols ? En fixant l’objectif du « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) à l’horizon 2050, la loi Climat et Résilience nous incite à reconsidérer notre rapport au sol et à recomposer nos cultures de l’aménagement, pour produire de nouvelles trajectoires basées sur l’efficacité et la sobriété foncières.

Après avoir abordé la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre avec les Shifters, l’Alliance pour la transition écologique et solidaire de la métropole clermontoise a fait appel à l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central pour co-animer son deuxième atelier consacré à la thématique de l’artificialisation des sols. Partager les savoirs élémentaires / principaux sur les sols, dresser un état de la situation locale, esquisser les trajectoires potentielles vers des aménagements plus sobres : une étape nécessaire à l’appropriation de la problématique pour contribuer à la co-construction de la feuille de route du territoire en matière de transition à l’horizon 2025.

Préserver les sols : de quoi parle-t-on ?

Avant de se lancer dans la mesure de l’artificialisation imposée par le législateur, il s’agit de mieux comprendre la ressource que constitue le sol. Le sol se définit comme la couche superficielle de la croûte terrestre dont l’épaisseur varie de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres. Véritable épiderme vivant de la planète, il est paradoxalement le plus méconnu des écosystèmes terrestres. Il s’agit pourtant d’une ressource indispensable assurant une foule de fonctions essentielles telles que le stockage de carbone, la filtration de l’eau ou encore l’accueil de multiples organismes vivants, animaux et végétaux. Le sol ne se renouvelle que très lentement, la formation d’un centimètre peut prendre jusqu’à 200 ans. Or la ressource s’avère fragile et se dégrade rapidement. Plus de 60 % des sols sont dégradés en Europe. Les principales menaces qui pèsent sur les sols européens [1] sont l’érosion et l’artificialisation, mais les sols sont également soumis à de nombreuses pollutions et contaminations comme le plastique ou les pesticides. De nombreuses législations et stratégies nationales se sont donc emparées des enjeux liés à la protection des sols. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 franchit un pas supplémentaire en reconnaissant les sols non plus seulement comme un support en deux dimensions mais comme un milieu en trois dimensions. Elle introduit et définit la notion d’artificialisation des sols dans le code de l’urbanisme, faisant ainsi référence aux fonctions écologiques des sols [2].

Définir et observer la consommation d’espaces et l’artificialisation des sols

Il importe de distinguer deux notions complémentaires : d’une part la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) qui se focalise sur l’usage de l’espace en mesurant la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés. Cette notion renvoie à celle d’étalement urbain ; d’autre part, l’artificialisation des terres, qui prend en compte l’impact sur les fonctions biologiques, hydriques, climatiques et agronomiques des sols. La trajectoire ZAN demande d’abord de diviser par deux la consommation d’ENAF sur la période 2021-2031 par rapport à la période 2011-2021, puis de réduire l’artificialisation par tranche de dix ans pour parvenir à zéro artificialisation nette en 2050, soit une balance équilibrée entre l’artificialisation d’un côté et les opérations de restauration des sols – renaturation ou désartificialisation – de l’autre.

La mesure de la consommation d’espaces et de l’artificialisation relève d’obligations réglementaires, les premiers indicateurs obligatoires de suivi devant être établis dès cet été par les territoires dotés de documents d’urbanisme [3]. Le socle minimal de suivi s’articule autour de quatre indicateurs [4] : la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées, telles que définies dans la nomenclature, les surfaces dont les sols ont été rendus imperméables, et enfin l’évaluation du respect des objectifs de réduction de la consommation d’ENAF et de lutte contre l’artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d’urbanisme.

Le décret du 27 novembre 2023 relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols précise la nomenclature des surfaces qualifiées d’artificialisées : les sols imperméabilisés, en raison du bâti ou d’un revêtement, les sols stabilisés ou compactés, les sols constitués de matériaux composites, les surfaces végétalisées herbacées à usage résidentiel (jardins), de production secondaire ou tertiaire ou d’infrastructures et enfin les surfaces en chantier ou à l’abandon. En sont exclues les surfaces à usage agricole.

Quelles tendances localement ?

Sur la période 2011-2020, en moyenne 122 ha ont été aménagés tous les ans à l’échelle du Grand Clermont [5], dont 47 ha par an pour la métropole clermontoise. 80 % des terres nouvellement urbanisées étaient auparavant agricoles, 20 % des espaces naturels (des landes ou des bois). La construction de logements, portée par les maisons individuelles des quartiers pavillonnaires, reste la principale cause de consommation d’espaces sur la dernière décennie. 60 % des surfaces consommées à l’échelle du Grand Clermont sont à vocation de l’habitat, 55 % à l’échelle de la Métropole. Le développement économique constitue la deuxième cause majeure de l’urbanisation. Près de 30 % des surfaces consommées à l’échelle du Grand Clermont sont à vocation économique, presque 40 % à l’échelle de Clermont Auvergne Métropole.

Des leviers pour agir

Le chemin à parcourir pour aboutir au ZAN reste important. Pour autant, les leviers d’action permettant de limiter l’artificialisation sont connus : mobiliser les dents creuses, soit les emprises non bâties ou à faible emprise bâtie au sein de la tâche urbaine ; densifier pour améliorer l’efficacité foncière, par exemple par le biais de la surélévation (Produire un logement à l’échelle du Grand Clermont consomme en moyenne 340 m2 de foncier, 196 m2 à l’échelle de la Métropole) ; recycler le foncier en mobilisant les friches, par le biais de la démolition-reconstruction ou encore par le traitement de la vacance. (Entre 2012 et 2021, plus de 40 % des logements livrés à l’échelle du Grand Clermont ont été produits en renouvellement urbain, plus de la moitié à l’échelle de la Métropole) ; ou enfin intensifier les usages par davantage de mutualisation et de mixité des usages ou la réversibilité des bâtiments.

L’observation et le suivi des politiques publiques en matière de foncier s’avèrent indispensables pour répondre aux enjeux de la transition écologique. Ces objectifs invitent les collectivités à repenser leur culture d’aménagement pour qu’elle s’inscrive dans une logique de sobriété spatiale
L’Agence d’urbanisme Clermont Massif central poursuit ses travaux pour le déploiement d’un observatoire foncier qui permettra de se mettre en capacité de mieux anticiper, cibler et prioriser les actions à mener.

Révision du SCoT du Grand Clermont : le territoire à l’épreuve de l’anthropocène

Fin 2022, le PETR du Grand Clermont a lancé la révision de son SCoT, approuvé en 2011. Le SCoT du Grand Clermont couvre 104 communes et 4 EPCI, pour une superficie de 1 300 km², et compte 430 000 habitants. Près de 50 % du territoire se situe dans l’un des deux Parcs naturels régionaux : le PNR des Volcans d’Auvergne à l’ouest et le PNR du Livradois-Forez à l’est. L’Agence d’Urbanisme Clermont Massif central a été missionnée pour réaliser l’évaluation du SCoT. Elle accompagne également la réalisation d’un diagnostic territorial et d’une réflexion prospective qui invitent les élus à se projeter en 2050.

Accélération du dérèglement climatique, pandémie, remise en question des approches en termes d’attractivité, les temps ont bien changé depuis l’approbation du SCoT en 2011. L’exercice doit ainsi permettre d’appréhender les défis d’adaptation auxquels sont confrontés les territoires : comment penser le territoire à l’heure de l’anthropocène ? Comment adapter le territoire du Grand Clermont au changement global et lutter contre les vulnérabilités, pour inventer de nouvelles formes de développement plus justes et écologiques, en privilégiant la qualité de vie, l’habitabilité, la résilience et l’hospitalité ?
Point d’étape d’une démarche d’accompagnement en cours.

Le SCoT du Grand Clermont : quel bilan après 12 ans de mise en œuvre ?

Le SCoT du Grand Clermont, approuvé en novembre 2011 sous le régime de la loi SRU [1], est soumis à une obligation d’évaluer les résultats de sa mise en application, au plus tard 6 ans après son approbation, puis tous les 6 ans.

L’évaluation à 12 ans, réalisée en 2023, a permis de questionner les principes et les objectifs affichés dans le SCoT en vigueur. Elle a été conduite en priorisant les sujets à forts enjeux pour la suite de la démarche de révision. Le SCoT de 2011 fixait deux principaux défis pour le territoire : d’une part, le pari d’une croissance démographique forte – accueil de 50 000 habitants supplémentaires à l’horizon 2030 – et d’autre part, la structuration d’une armature territoriale garante d’un équilibre local et renforçant les coopérations entre le cœur métropolitain, les pôles de vie, les espaces périurbains et les grands ensembles naturels remarquables. L’exercice mené en 2023 consistait également à évaluer la trajectoire de consommation foncière, notamment dans le contexte de la loi Climat et Résilience de 2021 et le respect des objectifs du ZAN [2].

L’analyse de la mise en œuvre du SCoT révèle tout d’abord une attractivité démographique à la hauteur des attendus formulés en 2011 : les objectifs fixés ont même été dépassés, confirmant le rôle moteur du Grand Clermont à l’échelle départementale (430 840 habitants en 2019, soit 908 habitants de plus que le scénario du SCoT). Les 17 communes du cœur métropolitain ont gagné 12 800 habitants, soit une moyenne de 103 habitants par an et par commune. Les 9 communes constituant les pôles de vie ont vu augmenter leur rythme de croissance démographique annuelle (passant de + 6 habitants à + 42 habitants par an et par commune).

La concentration des emplois se maintient dans le cœur métropolitain et dans les pôles de vie. Les maisons occupées par leur propriétaire restent le type de logements dominant dans les espaces périurbains et les pôles de vie. Aujourd’hui encore, le cœur métropolitain est le seul espace à proposer un parc de résidences mixte.

En matière de consommation foncière, le rapport démontre par ailleurs que les grands équilibres d’occupation des sols sont maintenus. En 2020 comme en 2011, 16 % de la surface du territoire du Grand Clermont est couverte par des espaces aménagés, 30% par des espaces naturels et 54 % par des espaces agricoles. La consommation des Espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) est plus modérée que par le passé, mais elle suit une trajectoire encore éloignée des exigences de sobriété et d’efficacité foncière inscrites dans le SCoT en vigueur. En effet, sur la période 2011-2020, 1 100 ha ont été artificialisés, soit en moyenne 122 ha/an (33 ha/an de moins qu’entre 2005 et 2011). Ces terres nouvellement artificialisées étaient auparavant des terres agricoles (79 %) ou des espaces naturels (21 %).

Organisation en archipel (armature territoriale) du SCoT du Grand Clermont (2011).

Un premier travail de pré-diagnostic : s’appuyer sur un atlas cartographique pour définir les grands enjeux du SCoT au regard du changement global

Fin 2023, l’AUCM a accompagné le Grand Clermont dans l’organisation d’une série de 3 ateliers avec les élus du Grand Clermont. Il s’agissait de dessiner un premier diagnostic prospectif, de partager des données et des analyses sur l’évolution du territoire et de formaliser les enjeux qui caractérisent le Grand Clermont, en essayant d’appréhender la manière dont le changement global était susceptible d’impacter le territoire à l’horizon 2050. Attractivité, compétitivité et métropolisation doivent-ils encore être les maîtres-mots de nos politiques d’aménagement ? Comment peut-on construire collectivement un projet de territoire en tenant compte des limites planétaires et en privilégiant les principes directeurs de qualité de vie, d’habitabilité, de résilience, de redirection écologique et de démocratie locale ?

Répartis en sous-groupes, les élus ont d’abord été invités à identifier les atouts et faiblesses du territoire en s’appuyant sur 15 cartes et schémas thématiques (voir extraits cartographiques ci-après). Dans un deuxième temps, chacun des groupes a formulé les grands enjeux à traiter prioritairement dans le SCoT au regard des atouts et faiblesses identifiés, et en utilisant le schéma  » Les territoires et l’épreuve anthropocène” (voir ci-dessous) comme support pour préciser les politiques de réorientation à mettre en place (protection, adaptation, sobriété et atténuation). Enfin, les participants ont mis en commun leurs différentes contributions.

Les consommations d’ENAF entre 2011 et 2020 sont plus importantes dans la plaine, à proximité des corridors autoroutiers et sur les contreforts de la Chaîne des Puys.

Une nette hausse des navetteurs (flux journaliers en provenance et à destination de Clermont-Ferrand) entre 2008 et 2019 (données INSEE) : + 24,5 %.

Schéma présenté lors des ateliers par Stéphane CORDOBES, directeur de l’AUCM. Cette approche a servi de support dans le cadre des ateliers pour définir les enjeux prioritaires pour le SCoT au regard des grands bouleversements de l’ère anthropocène.

Ces 3 ateliers ont été organisés d’octobre à décembre 2023, à raison d’un atelier mensuel, avec les membres de la Commission urbanisme du Grand Clermont. La méthode de travail a permis de croiser les dynamiques à l’œuvre (ce avec quoi il faut composer), les transformations majeures (ce qui change et invite à reconsidérer l’avenir du territoire) et le socle commun territorial (ce que permet de garantir l’habitabilité du territoire).

Le premier atelier –  Les dynamiques à l’œuvre – a permis d’évoquer les enjeux autour du processus de métropolisation, de la démographie et du foncier. Les différentes analyses ont mis en exergue le modèle extensif de l’aire urbaine clermontoise, générant des flux domicile-travail importants et accentuant les effets de polarisation et de périurbanisation. Comment consolider et renouveler l’organisation du territoire en archipel ? Doit-on encore promouvoir sans réserve l’attractivité démographique ou doit-on inventer de nouvelles formes de développement qui placent la qualité de vie au cœur de la réflexion ? Quels outils mobiliser pour lutter contre l’artificialisation des sols et répondre aux objectifs du ZAN ?

Le deuxième atelier – Les transformations majeures – dont les échanges furent centrés sur les thématiques de l’habitat, du social et de l’économie, a mis en avant la nécessité de prendre en compte dans la révision du SCoT, les inégalités sociales et le vieillissement de la population, qui pourraient menacer la cohésion territoriale (disparités de revenus, accès au logement, précarité énergétique, etc.). Comment développer une offre de logements qui réponde au desserrement des ménages et au vieillissement de la population ? Comment envisager une relocalisation de notre économie productive (industrie, agriculture, etc.), notamment dans les pôles de vie ? A l’heure de l’anthropocène, comment concilier des injonctions qui peuvent sembler contradictoires, entre dérèglement climatique, développement économique et industriel, maintien des emplois et limitation de la consommation foncière ?

Le troisième atelier – Le socle commun territorial – concernait les équilibres ville-campagne, l’environnement et les mobilités. Les discussions ont mis en avant les problématiques en matière de gestion des ressources naturelles (une ressource en eau dégradée, des milieux naturels fragmentés, etc.). Comment mettre en adéquation nos besoins en aménagement avec la ressource en eau ? Comment considérer la biodiversité comme une priorité et non comme une contrainte ? Comment prendre en compte la question de l’énergie dans le SCoT pour répondre aux ambitions du ZEN [3] ?

Ces travaux ont permis de partager avec les élus les premières données du diagnostic stratégique et de définir les grands enjeux à prendre en compte dans le cadre de la révision du SCoT, en réinterrogeant certaines notions (attractivité, croissance, métropolisation, etc.) et en invitant les élus à se projeter en 2050. Les enjeux et les questionnements issus de ces ateliers ont été synthétisés sous la forme d’une carte mentale et d’un schéma (cf. ci dessous), et serviront de socle pour consolider le diagnostic de territoire et amorcer la réalisation du Projet d’aménagement stratégique (PAS) [4].

Poursuivre la révision du SCoT en 2024 : consolider le diagnostic et amorcer la réflexion sur le Projet d’aménagement stratégique (PAS)

En 2024, le Grand Clermont souhaite partager les résultats de ces ateliers avec l’ensemble des élus du territoire. L’année sera ainsi jalonnée de plusieurs temps forts et permettra de poursuivre et d’élargir le dialogue avec les différents acteurs du territoire : les EPCI mais également l’ensemble des élus, les différents acteurs et partenaires, mais aussi les SCoT voisins, dans une logique de solidarité et de complémentarité territoriale. Une série de rencontres et d’entretiens et la diffusion de questionnaires permettront de recenser de manière plus fine les attentes des différents acteurs concernant le SCoT et de faire émerger des propositions pour favoriser la réorientation écologique du territoire.

Plus généralement, l’objectif est d’approfondir le diagnostic stratégique sur des thématiques spécifiques (habitat, mobilités, foncier, économie, etc.) en identifiant les éléments qui permettront de définir la nouvelle armature territoriale du SCoT, pour amorcer dès cette année la réflexion sur le Projet d’aménagement stratégique (PAS). Ce travail s’effectuera également en associant les membres du Conseil de développement du Grand Clermont (CODEV) afin de connaître les aspirations citoyennes relatives au projet de révision du SCoT.

Le PAS devra ensuite fixer les grandes orientations qui permettront au territoire du Grand Clermont de répondre aux défis actuels (démographiques, sociaux, écologiques, etc.) et de construire un projet de territoire autour des notions de solidarités, de sobriété et d’habitabilité.

Ausculter la ville comme un médecin

L’exploration «Territoires en cure : comment la culture du soin peut infuser l’urbanisme?» a emmené les participants dans la ville thermale de Châtel-Guyon, pour une balade sonore et sensorielle, afin d’appréhender la manière dont notre environnement influe sur notre santé.

Dans un contexte de changement global de nos milieux de vie face aux enjeux climatiques (pluies intenses, épisodes caniculaires), mais également de développement des maladies chroniques et d’apparition des zoonoses (maladies infectieuses qui passent de l’animal à l’homme) à l’échelle mondiale, la situation nous oblige à repenser la manière dont notre environnement, nos espaces de vie influent sur notre santé. Mais comment faire ? Quels sont nos besoins dans l’espace urbain pour rester en bonne santé, qu’elle soit physique, mentale ou sociale ? C’est à Châtel-Guyon, ville thermale et lieu de santé par excellence, que nous avons lancé nos procédures de diagnostic, pour appréhender les différentes thérapeutiques favorisant un urbanisme favorable à la santé (UFS).

Le maire de Châtel-Guyon, Frédéric Bonnichon, et son équipe, dont Danielle Faure-Imbert, première adjointe, nous ont donné de premiers éléments. Comme pour tout questionnaire médical ont été abordés les habitudes de vie, les antécédents médicaux, urbains, les traitements mis en place, et l’histoire du coeur de ville, récemment repensé autour de la place Brosson, espace central de Châtel-Guyon. Le traitement appliqué l’a libéré de la voiture, créant un espace de rencontre, de festivités et de flânerie, avec une attention particulière au mobilier urbain : une fontaine sèche et des gradins, pour admirer le patrimoine thermal et profiter des animations. Mais, pour nous, aspirants médecins de la ville, cette anamnèse [1] n’est pas suffisante pour établir un diagnostic : une auscultation est nécessaire. C’est ainsi, qu’accompagnés de la troupe Ici-Même (lire ci-contre), nous avons marché, éprouvé nos sens – parfois les yeux fermés, parfois les oreilles grandes ouvertes – pour inspecter les chemins de forêt, écouter le bruit de la nature et de la ville, palper l’humeur des habitants et examiner le bourg de Châtel. Afin de dresser le bilan de cet examen physique, nous avons repris le tracé de nos cheminements, à la main et à la voix.

Au regard de nos incertitudes, une coexpertise semblait nécessaire. Aussi, avons-nous réalisé des examens complémentaires par petits groupes, chacun apportant son regard propre : géographe, urbaniste, cartographe, écologue, etc., ont ainsi pu amender le diagnostic. Afin d’obtenir des radiographies précises de la situation, nous nous sommes mis dans la peau de différents usagers.

Dans les antécédents de notre patient « ville », les facteurs de risques pour la santé ont été identifiés : omniprésence de la voiture, topographie marquée rendant difficile la mobilité, espaces publics très imperméables, peu d’espaces de rencontre et peu de cheminements actifs entre le centre-bourg, les équipements ou la forêt. Puis, ce fut au tour des facteurs de protection mis en place au travers des aménagements récents : meilleure lecture des paysages depuis l’espace public, création d’un espace de rencontre qui invite à la marche en lien avec le parc, mise en place de mobilier urbain propice au repos et à l’échange. Ces imageries, sous forme de Post-it® collés sur les photos aériennes de la ville, ont permis d’envisager des actions de prévention complémentaires, afin d’éviter le développement de nouveaux maux : augmenter la végétalisation des espaces pour amplifier le rafraîchissement de l’air en été, aménager des liaisons piétonnes entre le bourg, les espaces pavillonnaires, la forêt, dans une logique intergénérationnelle, et augmenter le nombre d’équipements liés à l’hygiène. Cette coanalyse fait écho aux 15 déterminants de la santé identifiés par les travaux de Barton et al. (2006) et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) dans le guide ISadOrA [2] et sur lesquels l’aménagement peut avoir un impact, qu’il soit positif ou négatif. Cette auscultation de la ville nous a permis de comprendre comment, en tant qu’acteur de l’aménagement, nous avons un rôle à jouer sur les déterminants de la santé, et comment envisager des modèles d’amplification permettant de rendre la ville plus favorable à la santé dans nos domaines d’expertises respectifs.

Au chevet des territoires ?

Le choix souvent fait, notamment dans une volonté de lutter contre les inégalités de santé, est de s’intéresser aux plus fragiles. C’est l’exemple qui nous a été présenté par Vincent Challet, chargé de mission à l’Union départementale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale du Puy-de-Dôme (UDCCAS 63), qui a mené des réunions au sein de son département, en juin 2023. Ainsi, chaque territoire a pu exprimer ses spécificités au regard des enjeux de santé : désertification médicale, inégalité de santé, devenir des établissements d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad), précarité en milieu rural, santé mentale, UFS, etc. Ces temps d’échanges ont permis de sensibiliser les acteurs à la notion de déterminants de la santé et d’aboutir à une restitution et à un livret mettant en valeur les actions exemplaires du territoire. Si on se penche sur la question de la planification urbaine, les élus de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), accompagnés par l’agence de Dunkerque (Agur), ont choisi la santé et le climat comme fil rouge du plan local d’urbanisme intercommunal, habitat et déplacements (PLUi-HD). Sa spécificité : vous ne trouverez pas d’OAP santé, car les élus ont souhaité que la santé soit transversale à l’ensemble du document. C’est depuis 2014 que la CUD s’intéresse à l’approche de l’UFS. Elle est venue infuser de nombreuses politiques publiques comme celle de la mobilité, par la mise en place du réseau de bus gratuit. S’il était destiné initialement à favoriser le pouvoir d’achat, il donne aujourd’hui à chacun la possibilité « de se rendre à l’endroit où on a envie, par ses propres moyens », comme le rappelle Jean-François Montagne, vice-président à la CUD en charge de la transition écologique et de la résilience. Mais c’est aussi le cas du plan vélo ou du plan marche, en cours de réalisation ; autant de mesures agissant sur l’autonomie des individus et leur santé physique. Au-delà des politiques d’aménagement, les politiques de santé se sont également nourries des enjeux urbains, avec un contrat local de santé (CLS) qui porte un axe santé-environnement. « On a pris la question de la santé sous toutes ses formes », indique Delphine Castelli, élue déléguée à la santé, et, aujourd’hui, sur le territoire dunkerquois, l’urbanisme apparaît comme un outil de prévention en la matière.

Du côté du projet urbain, le réseau Urba 4 [3], soutenu par l’agence régionale de santé (ARS) et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), mène depuis quatre ans des expérimentations dans le cadre du plan régional santé-environnement (PRSE) n° 3. L’agence de Grenoble (Aurg) a ainsi mis en oeuvre deux démarches d’UFS pour des collectivités périurbaines, inscrites dans le cadre d’une opération de revitalisation de territoire : La Mure et Vizille. Ces travaux ont permis à l’équipe pluridisciplinaire mobilisée de partager, avec les élus et les services, le fait que l’urbanisme est un outil majeur de prévention en santé mentale et physique dans un contexte de changement climatique et de transition démographique. L’organisation de diagnostic en marchant avec des personnes âgées, des mères et des enfants de la commune a permis de faire émerger les besoins de ces publics vulnérables en matière de lien social, d’apaisement des espaces publics, de confortement des services, d’habitat adapté. Au-delà de l’identification de ces aspirations, ces démarches d’UFS ont permis, d’une part, de partager la nécessité de décloisonner les politiques publiques en matière d’urbanisme et de soins et, d’autre part, d’identifier, sur chacun des centres anciens, les leviers et les opportunités spatiales afin d’améliorer l’habitabilité de certains îlots. En conclusion de la journée, les participants ont relevé l’intérêt de développer une culture commune autour des déterminants de la santé, pour mettre en oeuvre des actions concrètes qui amplifient les ressources des territoires pour le soin et la prévention.  Il s’agit notamment de mobiliser les agences en développant les partenariats avec les ARS et en prenant appui sur la création d’un club santé au sein de la Fnau, comme l’ont souligné Françoise Schaetzel, présidente de l’agence de Strasbourg (Adeus) et viceprésidente de la Fnau en charge de la santé, et Franck Mérelle, directeur de l’agence de Dunkerque (Agur), qui ont tous deux participé à cette exploration.

Le programme de travail 2024-2025 est celui d’une agence transformée et transformatrice

Dans un contexte contraint de changement global qui nécessite de revoir sensiblement les pratiques et modes de fabrique urbaine, l’Agence a souhaité interroger ses adhérents et partenaires pour comprendre et identifier leurs besoins en accompagnement et mutualisation. S’appuyant sur ces réflexions, l’AUCM s’est ainsi transformée et renouvelée à l’issue de son projet stratégique défini en 2023. Son programme de travail illustre parfaitement les changements opérés en profondeur. Il suffit de considérer les nouvelles lignes d’études confiées à l’Agence en 2024 pour mesurer le chemin parcouru. On notera, entre autres, la place accordée aux accompagnements prospectifs, stratégiques et opérationnels des transitions, aux travaux de recherche-action qui s’inscrivent dans des programmes nationaux et l’engagement à l’échelle du Massif central pour commencer à construire une culture commune urbaine/rurale de l’adaptation à l’échelle biorégionale.

L’AUCM se positionne, également, comme un outil transformateur et accélérateur au service des transitions.

Dans le cadre de son programme 2024-2025, l’Agence est appelée à questionner les processus d’aménagement de l’espace, à tester et expérimenter des procédés alternatifs situés dans le cadre d’opérations de revitalisation, de rénovation ou encore de mutations urbaines, à bousculer et éclairer de nouveaux récits collectifs, à fluidifier les coalitions urbain-rural entre acteurs pour mieux répondre aux besoins à long terme des territoires.

Sept axes, participant d’une montée en compétences et en cultures communes de transformation des territoires, ont été retenus pour décliner le programme 2024-2025. Il s’agit ainsi de :

  • Accompagner l’élaboration de projets de territoires en transitions, pour co-construire des futurs adaptés aux différents territoires et différentes échelles (intercommunale, bassin de vie du SCoT du Grand Clermont, biorégion du Massif central) ;
  • Forger une culture territoriale commune d’adaptation au changement global, pour s’approprier individuellement les enjeux de transitions et répondre collectivement aux défis de transformation auxquels les territoires doivent faire face ;
  • Outiller les politiques de sobriété foncière, pour inventer, depuis l’approche de l’observation jusqu’aux démonstrateurs pré-opérationnels, de nouveaux modèles de développement urbain désirables et intensifs qui ménagent la qualité des sols, leur recyclage et les services écosystémiques qu’ils rendent. ;
  • Améliorer l’habitat et la vie urbaine de proximité, pour renforcer l’habitabilité et l’hospitalité de nos territoires de vie  ;
  • Prendre soin des publics et des espaces vulnérables, pour repenser nos politiques publiques au prisme du soin à apporter à tous les publics et tous les espaces du vivre ensemble ;
  • Soutenir les modèles de développement résilient, pour donner plus de robustesse et de capacités régénératrices à nos économies face à la réalité du nouveau climat ;
  • Favoriser l’accès à des mobilités à faible impact environnemental, pour transformer en profondeur nos pratiques de mobilités bas carbone de courte et longue distance.

Pour déployer ce programme, qui vise à apporter une approche à la fois inspirante et opérationnelle de l’urbanisme durable, l’Agence mobilise des compétences pluridisciplinaires dans ses cinq domaines d’expertise : accompagnement de projets de transitions urbaines et territoriales de l’îlot au grand territoire, observation des évolutions structurelles des territoires et évaluation des politiques publiques, ingénierie de la data et des systèmes d’information pour éclairer de façon synthétique des dynamiques territoriales de plus en plus complexes, partage des savoirs dans un objectif de capitalisation et de valorisation de ses travaux, et enfin recherche et prospective sur les grands enjeux qui engagent l’avenir des territoires.

Ce programme ouvre un champ des possibles pour les membres adhérents de l’AUCM qui souhaitent entrer dans les transitions. Il a, à ce titre, également vocation à être une source d’inspiration pour d’autres acteurs qui souhaiteraient adhérer à l’Agence et rejoindre ce programme de travail.

Michelin renouvelle son rapport au territoire clermontois

Autour du site industriel historique de Cataroux Michelin, l’exploration « Projets industriels en quête de transition écologique : investir ses héritages culturels pour mieux produire demain » proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme, avait pour objectif d’aider à comprendre comment prendre appui sur les territoires et leurs acteurs pour concilier réindustrialisation et sobriété.

En matière de développement économique, comment se traduit la recomposition culturelle des territoires ? Au-delà de la modernisation des outils de production, la décarbonation de l’industrie demande de transformer « le grand récit » de l’attractivité territoriale pour adopter une véritable logique de mutation et de transmission trouvant ses sources dans ses héritages industriels.

Traiter ce sujet complexe à l’aune de la réindustrialisation nationale soulève d’autres questions : quelle relation des entreprises industrielles avec leur territoire ? Au sein des bassins d’emploi, quelle anticipation et adaptation des métiers de l’industrie et des compétences ? Comment les cultures industrielles sont-elles susceptibles d’évoluer, pour s’engager dans la transition écologique et réenchanter le développement local ? Pour y répondre, le choix a été fait de s’appuyer sur l’exemple local du groupe Michelin. Plusieurs raisons l’ont motivé : sa figure d’acteur emblématique de Clermont-Ferrand, son inscription et son engagement dans le territoire sur le temps long, ses profondes mutations impulsées par la mondialisation, mais aussi par la transition écologique. Afin d’appréhender la recomposition culturelle et locale de l’industrie dans ses différentes composantes tout en gardant à l’esprit les enjeux globaux qui s’imposent à elle, l’exploration a gravité autour de sites historiques de l’entreprise : siège social des Carmes, cité ouvrière, ancienne coopérative pour les salariés ou centre de formation aux métiers de l’industrie. Ce parcours a permis un recueil de points de vue diversifiés (cadres de l’entreprise, responsable syndical, ethnologue) et de mieux comprendre les mutations spatiales, économiques, sociales et culturelles qui ont jalonné à la fois l’histoire de l’entreprise et celle du territoire.

Entre ancrage local et mondialisation

Comme le souligne La Fabrique de l’industrie, la réindustrialisation des territoires s’appuie sur plusieurs ingrédients clés : coopération entre acteurs, compétences, accès au foncier, financement, qualité de vie ou innovation. La dimension culturelle joue également un rôle majeur, en particulier en matière d’image de l’industrie, d’attrait pour les emplois et les formations ainsi que d’acceptabilité des projets par la population. Pour autant, si l’industrie s’inscrit dans un territoire d’accueil, elle reste fortement intégrée dans les chaînes de valeur des marchés mondialisés. Michelin illustre parfaitement cette double insertion et cette tension entre « local » et « mondial ». L’entreprise est, à la fois et de longue date, intimement liée à Clermont-Ferrand tout en s’inscrivant dans la mondialisation.

Dès le début du XXe siècle, elle ouvre des agences et usines en Europe et s’appuie sur des plantations d’hévéas en Asie. De 1960 à 1975, elle crée 32 usines dans le monde. Aujourd’hui, présente commercialement dans 175 pays, elle compte 121 sites de production dans 26 pays. Michelin est l’une des seules entreprises du CAC 40 dont le siège social se situe hors de Paris. À l’instar des villes industrielles du Nord ou de l’Est, son développement a fortement marqué le territoire clermontois, tant dans l’espace, avec la construction par l’entreprise de 18 quartiers et 8 000 logements, que dans la vie quotidienne et la culture locale, avec une forte implication dans les associations sportives, culturelles, magasins, crèches ou équipements de santé.

Mutations structurelles et changement culturel

Sous l’effet des transformations du capitalisme, le modèle Michelin mute fortement à partir des années 1980. Le site de Clermont connaît des turbulences avec une forte perte d’effectifs (de 30000 salariés, en 1983, à 10000, aujourd’hui). La production autour de Clermont-Ferrand se maintient exclusivement dans le haut de gamme et la compétition, mais se spécialise davantage sur la recherche/innovation. Les cadres sont aujourd’hui largement majoritaires (7000 des 10000 emplois). Des start-up sont créées ou soutenues pour développer l’innovation. L’entreprise poursuit sa diversification pour « sortir progressivement du pneu » avec l’objectif de réaliser 30 % du chiffre d’affaires hors pneu en 2030. Ce produit s’avère difficilement recyclable en raison des procédés de vulcanisation agglomérant les ingrédients qui le composent. La transition écologique constitue un impératif pour l’entreprise, avec des développements vers la propulsion vélique (aile gonflable Wisamo), les nouveaux matériaux ou encore l’hydrogène. Michelin porte pour 2050 le projet d’usine zéro émission. La culture de l’entreprise se modifie. La défiance à l’égard des syndicats décline pour se transformer en un dialogue social, qui s’illustre notamment lors de la négociation des accords pour les RTT. Les logements sont progressivement vendus et la culture du secret s’atténue. Les nouvelles valeurs de l’entreprise, qui remplacent celles du passé, pourraient s’incarner dans les mots « innovation », « respect », « vitesse » ou « adaptabilité », mais également dans l’allusion de l’un des intervenants à la triple bottom line « People, Planet, Profit », avec toutefois, à ses yeux, une prédominance du 3e « P ».

Malgré l’évolution de « l’esprit Michelin » et du système social historique, les services apportés aux salariés restent significatifs (salle de sport, conciergeries, comité d’entreprise, brasserie, crèches…). Ces services et la qualité de vie contribuant à l’attractivité des postes et à la fidélisation des salariés. Un nouveau rapport au territoire s’opère aujourd’hui par la mutation du foncier industriel en coeur de ville. Ainsi, le projet Cataroux (42 ha et 300 millions d’euros d’investissement) porté par Michelin témoigne d’un rapport renouvelé au territoire, destiné « à rendre à Clermont ce que Clermont a apporté à Michelin » et à « aider le territoire à trouver une nouvelle identité ». Il comprend un Pôle d’innovation collaboratif destiné à accueillir un écosystème de start-up ; un centre des matériaux durables ; un pôle plus touristique autour du Quartier des Pistes, futur espace de « l’Aventure Michelin 2 », mais aussi d’une Cité du mouvement et de projets immersifs, ainsi qu’un pôle de formation autour du Hall 32 et de la Manufacture des talents pour accompagner la transition aux métiers de demain, en lien direct avec les besoins des entreprises sur le principe de « circuit court des compétences ». Tourisme, santé, formation, innovation : ces axes structurants de ce projet contribuent à l’attractivité du territoire, mais peuvent sembler éloignés de la production manufacturière au sens strict, qui se poursuit en partie hors du territoire national.

Les parties prenantes de l’exploration ont été marquées par le rapport entre Michelin et le territoire, que ce soit par l’ampleur de son emprise dans la ville que par la connexion au local – qui demeure, malgré l’ouverture sur le marché mondial – et l’ampleur des services apportés aux salariés du groupe, comparée à une sorte de responsabilité territoriale de l’entreprise. La qualité et la diversité du projet Cataroux attestent du dynamisme de Michelin dans le processus de reconversion de son site historique. Pour autant, il témoigne également de la désindustrialisation progressive du site clermontois. Certains s’inquiètent, par ailleurs, des risques de gentrification des territoires induits par les politiques de développement basées sur l’attractivité pour les cadres.

Quel avenir de l’industrie dans les territoires ?

À partir de l’exemple de Michelin et Clermont-Ferrand, les participants ont soulevé des questions sur la place de l’industrie demain dans les territoires. En paraphrasant le titre de l’ouvrage de La Fabrique de l’industrie [1] (avril 2023), peut-on encore aujourd’hui « faire de l’industrie un projet de territoire » ? Les situations sont plurielles et il ne peut y avoir de recette unique. Comme il est écrit dans l’ouvrage précité, « les ressources héritées de l’histoire peuvent constituer des opportunités pour un territoire, mais également l’enfermer dans une trajectoire de déclin ».

Dès lors, c’est aux acteurs locaux (collectivités, industriels, opérateurs économiques, société civile…) de se mobiliser pour renouveler ces ressources et activer des synergies latentes. Pour certains, la vocation industrielle ne constitue pas une solution d’avenir et c’est une « nouvelle identité du territoire » qui est recherchée. C’est le cas en partie à Clermont-Ferrand, mais aussi dans d’autres territoires, qui préfèrent se tourner vers la culture ou le tourisme, au risque de réduire l’industrie au patrimoine. Ce retour sur l’histoire et l’avenir territorial de Michelin apporte les fondements pour mieux produire demain et rendre l’industrie « désirable » : le virage vers la transition écologique, la culture de l’innovation et des compétences, l’attachement au territoire, les services de vie quotidienne pour les salariés et une culture de la sobriété issue de «l’ascétisme» pratiqué jadis.

Vers une nouvelle éditorialisation du territoire ?

L’exploration « De la culture dans la ville, à l’urbanisme culturel : les approches sensibles et artistiques au service des territoires en transitions », proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences d’urbanisme, s’est articulée autour d’une réflexion sur la place et les apports des démarches d’urbanisme culturel dans un contexte de réorientation écologique.

Champ interdisciplinaire émergent au début des années 2000, l’urbanisme culturel est nommé comme tel par le Polau–pôle art & urbanisme, en 2018. S’appuyant sur des interventions artistiques et culturelles situées, cette démarche intervient en de nombreux endroits de la fabrique des territoires, en travaillant sur la scénographie, les usages, les ambiances, les relations sociales, les relations au vivant, les paysages ou la production symbolique. En bousculant les modes opératoires traditionnels, en considérant autrement l’existant, la parole citoyenne, en dévoilant attachements et récits alternatifs, les approches sensibles, au sens large, apparaissent aujourd’hui comme un outil privilégié pour traiter les enjeux contemporains de transitions.

Dans quelle mesure les démarches de recherche et de création artistiques peuvent-elles être vues comme des moyens de transformation des représentations et de la décision collective ? Quels potentiels pour les agences et leurs adhérents ? L’exploration, sous forme d’agora participante, visait à questionner plus précisément les apports de l’urbanisme culturel et des approches sensibles pour la réorientation écologique des territoires.

De l’art de faire se croiser les mondes

En quoi l’urbanisme peut-il avoir recours à d’autres intelligences que des intelligences techniques et financières ? Comment se poser la question de l’histoire à raconter, avant celle des normes, des réglementations ? À l’heure où certains acteurs de l’art et la culture se questionnent sur leur utilité sociale, l’urbanisme s’interroge sur sa capacité à produire des projets urbains alternatifs, portés collectivement… Maud Le Floc’h, directrice du Polau, souligne l’opportunité de cette crise existentielle, pour faire se rapprocher les mondes. Rapprochement qu’il convient de tisser avec patience, en « prenant le temps », afin d’éviter les liaisons parfois dangereuses entre arts, culture, urbanisme et territoires.

Les exemples sont nombreux, qui éclairent les vertus de démarches où les « forces artistiques » entrent en dialogue avec les processus de fabrique urbaine et territoriale : un élu/un artiste, expérience fondatrice imaginée en 2002 au Polau ; les Lieux infinis, d’Encore Heureux, lieux pionniers qui expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde ; Jour inondable, expédition artistique conçue par la Folie Kilomètre autour du risque inondation en bord de Loire… Maud Le Floc’h précise les apports spécifiques de la méthodologie artistique, qui compose avec le contexte, négocie avec les parties prenantes, intègre, active et souvent renverse les perspectives… Apparaît alors une nouvelle « éditorialisation » du territoire mêlant petits et grands récits, dans une logique « oblique », à la charnière de méthodes ascendantes et descendantes.

L’expérimentation Transfert [1], menée de 2018 à 2023, à Rezé (Loire-Atlantique), met en lumière les tensions qui peuvent émerger autour de projets à la croisée des mondes, l’importance de la gouvernance et la nécessité de « traductions » pour accompagner ces dynamiques hybrides et hors normes. Fanny Broyelle, membre de l’académie de l’urbanisme culturel hébergée au Polau et pilote du projet, évoque ainsi les malentendus qui ont émergé au gré du développement de cette ambitieuse aventure dédiée à la transition d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) de 15 hectares. Malgré l’abondance de financements, malgré l’adhésion des habitants à l’univers artistique, l’alchimie semble ne pas avoir opéré, entre aménageurs, urbanistes et élus à la culture. Faute d’un portage politique adapté, le projet de ZAC et le projet artistique ont ainsi temporairement cohabité, sans parvenir à se nourrir l’un l’autre.

Itinéraires bis

Au-delà de l’urbanisme culturel à proprement parler, l’hybridation des approches, à des degrés divers, semble une voie possible vers des projets urbains et territoriaux davantage ancrés et donc plus robustes en contexte de réorientation écologique.

À Saint-Omer (Pas-de-Calais), le portage du Pays d’art et d’histoire (PAH) par l’agence d’urbanisme, de développement et du patrimoine Pays de Saint-Omer (AUD) depuis 2013 – cas unique en France – crée une synergie qui facilite les approches transdisciplinaires. Cette mise en proximité confère au label PAH un rôle d’ingénierie active dans les politiques d’aménagement, tout en apportant une légitimité dans les actions culturelles. Sans toutefois s’inscrire dans le mouvement de l’urbanisme culturel, l’agence du Pays de Saint-Omer s’attache ainsi à faire travailler ensemble urbanisme et culture. L’approche patrimoniale s’intègre ainsi naturellement dans l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (SCoT) et du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) ou dans les projets pré-opérationnels (restauration, renouvellement urbain…). Des visites à deux voix sont régulièrement organisées, associant chargés d’études et guides conférenciers, où le patrimoine sert de porte d’entrée pour sensibiliser le public aux défis écologiques. L’agence expérimente également les résidences d’artistes en accompagnement de mutations urbaines.

Basée à Cunlhat (Puy-de-Dôme), l’association Rural Combo conçoit des démarches expérimentales mêlant architecture, design, gouvernance, urbanisme, écriture, action artistique… Éloignée des codes du mouvement de l’urbanisme culturel, elle s’implique aux côtés des habitants – parmi lesquels les élus – pour favoriser l’émergence de communs. Invitée à intervenir sur les questions d’aménagement, son action s’établit finalement sur la gouvernance et s’articule systématiquement sur le temps long, selon les principes de la permanence architecturale, en complicité avec La Preuve par 7 [2]. Dans le village de Pérignat-sur-Allier (Puy-de-Dôme), ce sont ainsi deux ans d’ateliers, de chantiers, d’actions culturelles et artistiques, qui engagent une nouvelle manière de faire démocratie. Au sein des 7 000 m2 de l’ancien collège jésuite de Billom, l’équipe s’attache à transformer pas à pas la norme et la réglementation par le faire, vers de nouveaux possibles collectifs.

Sur le territoire voisin de Loire Forez Agglomération, l’approche culturelle se met au service de projets urbains. Un service d’accompagnement des communes souhaitant établir une stratégie de centre bourg/ville a été mis en place dans la lignée du projet de territoire issu de la fusion des EPCI en 2017. Claudine Court et Évelyne Chouvier, vice-présidentes, ont très vite compris les vertus d’une démarche croisée. Cette posture politique a permis d’initier et d’expérimenter de nouvelles formes de dialogues et de coconstruction avec les habitants, à travers la présence artistique. Malgré certaines réticences initiales, malgré les revirements liés aux élections, les expérimentations se sont inscrites dans le mode de faire de l’EPCI, au bénéfice d’un projet territorial plus directement relié aux imaginaires habitants.

De la nécessité d’un nouveau logiciel

Stefan Shankland note que la formalisation de cadres rassurants tels le label démarche à haute qualité artistique et culturelle (HQAC), qu’il développe depuis quelques années, peut favoriser l’émergence de nouvelles pratiques et mettre en valeur la qualité des processus de productions artistiques, culturels et sociaux, en levant la réticence des élus vis-à-vis de démarches sensibles hors normes. Corédacteur de la tribune « Artistes, architectes, urbanistes, écologues, osez la post-disciplinarité ! [3] », il souligne l’urgence, pour être à la hauteur des défis écologiques, de systématiser les approches et méthodologies transdisciplinaires, seules susceptibles de nous permettre d’inventer de nouveaux scénarios et de nous projeter dans ce qui n’est « pas encore là ». Ce qui induit la mise en place de dispositifs de soutien financier au croisement de l’écologie, des arts et de l’urbanisme.

Qu’elles se revendiquent, ou non, de l’urbanisme culturel, les approches sensibles – hybrides, sur mesure, basées sur le lien, le faire-ensemble, et le pari de l’intelligence collective et citoyenne – semblent finalement tracer un chemin vers de nouveaux possibles. Elles induisent une vigilance particulière quant aux formes de gouvernance, de médiation, au portage politique, et nécessitent le dépassement de cadres disciplinaires et financiers devenus périmés au regard des défis de la réorientation écologique.

Inspirer la transition écologique à Riom, Limagne et Volcans

Comment aider les élus locaux, en prise directe avec le quotidien de leur territoire, à prendre de la distance et à envisager la transition écologique le plus positivement possible ? En leur montrant par l’exemple que loin de ne constituer qu’une contrainte supplémentaire, répondre au défi du changement global peut aussi être une opportunité pour se questionner, fort d’un nouveau regard, et trouver des solutions à des problèmes plus anciens. Partant de ce constat, l’agglomération de Riom Limagne et Volcans (RLV) a sollicité l’Agence d’urbanisme pour organiser et animer un cycle de rencontres à destination de ses élus communautaires et communaux.

Se poser les bonnes questions

Organiser des rencontres pour apprendre et discuter de la transition écologique est intéressant. S’assurer que les sujets traités correspondent aux situations territoriales et aux questionnements des élus est encore mieux. C’est par le moyen d’un questionnaire avant et pendant ces rencontres que l’AUCM s’est assurée de la pertinence des questions abordées. C’était aussi une manière de mieux comprendre les représentations des élus, leurs freins à la transition et toutes ces dimensions rarement explicitées que le retour d’expérience doit aussi permettre de traiter et de contribuer à dépasser. Les freins exprimés sont tout autant de l’ordre du manque de connaissances que de la nécessité d’être accompagné, outillé et formé pour relever les enjeux de la transition.

Deux thèmes ont finalement été retenus : « la transition énergétique », traitée lors de la rencontre d’octobre 2023 et « les espaces publics économes en eau et favorables à la biodiversité », traités le mois suivant. Deux rencontres  portées par la même ambition : explorer  les actions déjà en cours sur le territoire, susceptibles de faire l’objet d’une accélération. La recherche d’opérationnalité était, de fait, au cœur des attentes pour parvenir à embarquer des élus soucieux de concret et d’efficacité dans les enjeux de la transition écologique. A chaque fois la même organisation, une table ronde et un atelier participatif animés par l’Agence. Par souci d’apprendre de ce qui se fait ailleurs étaient également invités des représentants de territoires voisins, eux-mêmes engagés dans des projets significatifs.

Accélérer la transition énergétique

La première rencontre a mis en lumière des projets de transition énergétique qui placent l’humain et le local au centre de la réflexion. À Anzat-le-Luguet, une commune montagnarde de 170 habitants au cœur du massif du Cézallier, le chauffage tourne pratiquement toute l’année. Malgré la faible densité du bâti, la commune a fait le choix d’implanter deux réseaux de chaleur bois-énergie pour desservir les bâtiments communaux et les habitations, qui étaient chauffés majoritairement au fioul. Ce réseau de chaleur est alimenté par du bois, prélevé sur les massifs forestiers avoisinants.

Privilégier les matériaux locaux, c’est aussi le choix fait par la commune de Maringues pour la construction de son école primaire. Béton de terre, bois du Livradois-Forez, terre cuite,… les matériaux ont été soigneusement sélectionnés pour répondre aux exigences de confort thermique et sonore, tout en garantissant le confort de vie des élèves.

La transition énergétique passe aussi par la multiplication des unités de production. À Loubeyrat, la coopérative énergétique citoyenne Combrailles Durables , appuyée par la commune, développe des projets photovoltaïques. Son fonctionnement est simple : elle finance les installations et se rémunère sur la revente de l’énergie. Aujourd’hui l’association essaime sur tout le territoire des Combrailles : équipement d’écoles et locaux communaux, achats groupés de panneaux photovoltaïques à destination des habitants et parcs photovoltaïques au sol sur des friches en partenariat avec le réseau national de coopératives Enercoop.

Après des échanges nourris entre les maires intervenants et la salle, les élus de RLV ont pris place en tablées, autour d’un jeu sérieux animé par l’Agence d’urbanisme et RLV. Les élus ont échangé, à l’aide d’un plateau de jeu conçu sur-mesure par l’AUCM. Au centre du jeu des cas d’école : « Quels sont les freins à lever pour intégrer les énergies renouvelables dès la conception de mon bâtiment communal ? Quels sont les leviers sur lesquels je peux compter et comment travailler en concertation avec les services de RLV ? ». Si l’atout premier de cet outil est de nourrir le dialogue entre les élus, sa finalité reste bien d’identifier leurs besoins, leurs motivations mais aussi les obstacles qu’ils rencontrent pour mener à bien leurs politiques de  transition.

Renaturer nos villes et centres-bourgs

Un mois plus tard, les élus communautaires et communaux ont de nouveau été réunis pour échanger, cette fois sur la renaturation des espaces publics. Si nos villes et centres-bourgs ont longtemps tourné le dos à la nature, il semble désormais temps de faire du végétal un allié et une priorité. La nature en ville rend plus de services qu’elle ne demande de soins, et les témoignages inspirants des élus invités en table ronde sont venus renforcer cette idée. La renaturation des espaces publics passe par deux leviers, qui ne vont pas l’un sans l’autre : la perméabilité des sols et la végétalisation.

La table ronde a ainsi débuté par le témoignage de la commune de Gannat, qui a porté le réaménagement de sa place centrale : le champ de foire. Hier minérale, cette place est aujourd’hui un lieu vivant, accueillant et perméable. La perméabilité des sols est aussi au centre des réflexions de la commune d’Ennezat, qui emploie de la pouzzolane, une pierre volcanique locale, pour pailler et drainer les aménagements paysagers de la commune.

Concernant la végétalisation, il existe de nombreuses manières de faire entrer le vivant en scène pour renaturer nos espaces publics. Les communes de Châtel-Guyon et de Romagnat s’y emploient : végétalisation des cours d’école, fleurissements et tailles raisonnés, vergers conservatoires, micro-forêts, nichoirs, végétalisation de cimetières,… autant d’exemples porteurs de sens présentés en table ronde et pendant l’atelier participatif.

Pour cette deuxième rencontre, l’AUCM a conçu un plateau de jeu où les élus purent exprimer, à partir d’un photo-langage, leurs actions pour repenser les espaces publics au prisme de la végétalisation vue sous ses trois principales composantes : renaturer, créer des espaces de nature en ville et entretenir les espaces verts. L’Agence a construit ce photo-langage autour d’exemples locaux, notamment sur le territoire de Riom Limagne et Volcans. Au contraire du premier outil d’animation, qui mettait les élus autour de cas d’école fictifs, cet atelier met au centre les projets des élus, avec toujours l’intention de mieux comprendre leurs besoins et leurs attentes pour renouveler leurs pratiques de création et d’entretien des espaces végétalisés.

De l’enjeu de faire émerger une culture commune des transitions

Sur les 31 communes que compte le territoire de Riom Limagne et Volcans, 25 ont pris part aux rencontres de la transition écologique. Créer un espace-temps où les élus peuvent échanger librement, exprimer leurs besoins, leurs craintes mais aussi partager leurs réussites est assurément un premier résultat. Ces rencontres de la transition mettent en évidence le besoin et les bénéfices de créer des liens entre les communes pour partager bonnes pratiques et retours d’expérience, pour décrypter et mieux comprendre les enjeux et les dispositifs, pour mutualiser certaines pratiques et (dé)montrer qu’il est possible de changer nos modes de faire (« ils l’ont déjà fait »). L’intérêt porté aux savoirs, savoir-faire et savoirs d’usage exposés montre également la nécessité pour les élus de se former, de se sensibiliser et de communiquer autour des bénéfices collectifs des projets de transitions. Ces sont sans doute là des conditions indispensables pour atteindre l’objectif initialement fixé : donner aux élus des clés pour amorcer des actions concrètes, pour que la transition soit pleinement incarnée et portée dans les territoires.

Alimentation et culture dans la même assiette

L’exploration « Culture alimentaire et transition écologique : comment aborder l’alimentation comme un fait culturel revisitant nos marqueurs politiques, économiques, sociaux, sanitaires, territoriaux ? », proposée le 16 novembre 2023 dans le cadre de la 44ème Rencontre nationale des agences, a permis d’observer deux modèles de production agricole différents, mais aussi d’étudier les marqueurs émotionnels, symboliques, sociaux, économiques, politiques et écologiques de l’alimentation d’aujourd’hui et de demain.

Notre rapport à l’alimentation a évolué au cours de ces dernières décennies à travers de nouvelles prises de conscience qui engendrent des changements de normes, de législation, de comportements, de modes de vie. Il faudra convoquer plus d’un modèle pour relever les défis de demain et parvenir à changer nos pratiques sans détruire nos cultures alimentaires. C’est fort du constat de la complexité du sujet et pour l’appréhender dans un cadre inspirant que la journée d’exploration autour de la culture alimentaire a été conçue : trois sites, une dizaine d’intervenants et une équipe d’animation ont permis de s’imprégner, de ressentir, de prendre conscience, de débattre des solutions et actions mises en oeuvre ici et là, pour que chacun réfléchisse et trouve, à son échelle, sa marge de manoeuvre et d’intervention. L’équipe organisatrice s’est appuyée sur la Limagne, plaine agricole aux portes de la métropole clermontoise, pour évoquer la culture alimentaire à travers trois lieux démonstrateurs d’un sujet à plusieurs enjeux.

Challenger un modèle agroalimentaire à grand volume

La journée exploratoire a commencé au Biopôle Clermont-Limagne dédié aux entreprises des sciences du vivant. Les participants ont visité l’usine de panification Jacquet-Brossard et assisté à la présentation de la filière blé de la coopérative agricole Limagrain, depuis le blé planté jusqu’aux modèles des pains vendus par la grande distribution. L’exposé de leurs recherches nutritionnelles en boulangerie-pâtisserie et les discussions ont fait toucher du doigt les défis de ce modèle agroalimentaire industriel et de cet acteur incontournable du territoire, dont les exigences économiques, environnementales et marketing structurent la filière et obligent à adapter les process en permanence.

Encapaciter des modèles alternatifs

La matinée s’est poursuivie par la visite des Jardins Solidaires, à Gerzat. Porté par le Secours populaire et inscrit dans une expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), ce projet a trouvé ici les conditions de son développement : une douzaine de travailleurs en insertion produisent, sur une ancienne friche de 2 hectares mise à disposition par la commune, des légumes bio, vendus à prix coûtant préférentiellement aux structures d’aide alimentaire locales ou via le réseau de producteurs locaux 63 Saveurs.
Même si ce modèle économique de l’entreprise à but d’emploi reste à consolider, il n’en reste pas moins qu’il répond à des objectifs majeurs : permettre un retour à un emploi porteur de sens et de dignité pour les travailleurs, rendre accessible une alimentation de qualité, diversifier la production sur les terres agricoles locales et alimenter un réseau vertueux de solidarité. Le maire de Gerzat et l’équipe des Jardins Solidaires ont partagé avec le groupe leur enthousiasme, leurs convictions, mais aussi les difficultés et les incertitudes inhérentes à un tel projet qui contribue à changer de modèle.

Restaurer les sens et les perceptions

L’exploration s’est poursuivie au Pré du Puy, qui est à la fois une exploitation maraîchère, un magasin en vente directe et un restaurant. Dans ce site inspirant, un repas a été élaboré en partenariat avec la Scop Cresna, pour amener les convives à s’interroger sur leurs pratiques alimentaires. Pour être à la hauteur des défis de demain, le repas, référence culturelle et symbolique, doit évoluer dans ses ingrédients, ses quantités, ses synergies nutritionnelles : crudités, « cuidités », légumineuses, oléagineuses, produits laitiers, oeufs, épices et condiments ont été mis à disposition pour que chacun compose son assiette. L’accompagnement par l’éducatrice du goût a permis de prendre conscience des déterminants de choix et de composition des assiettes. Les échanges ont permis de se questionner sur la sensorialité en mangeant (couleur, texture, saveurs, quantité), les synergies alimentaires, la néophobie alimentaire, etc.

Conscientiser les marqueurs culturels de l’alimentation

Comme souvent à la fin d’un bon repas, les convives sont restés à table pour continuer à débattre et discuter, en profitant de l’expertise des intervenants. L’intervention de Marie Walser (chaire Unesco Alimentations du monde), axée principalement sur le marqueur sanitaire, a approfondi les liens entre alimentation, corps, santé humaine et environnementale. En écho à la visite de l’usine du matin, l’intervenante a défendu l’idée que le changement de modèle alimentaire suppose que l’alimentation soit considérée comme un bien commun et non pas comme une simple marchandise.

Dans un contexte où les choix alimentaires se font en fonction de ses moyens économiques, de son temps, des disponibilités des produits, de sa culture, de ses goûts, mais aussi souvent en fonction du marketing et de la publicité, les améliorations apportées aux aliments ne devraient pas être des arguments spéculatifs et concurrentiels, mais au contraire être partagées au bénéfice de la santé de tous.

La présentation par Philippe Métais des actions de Gaz réseau distribution France (GRDF) autour des biodéchets et de leur engagement sociétal en faveur des collectivités, via le milieu scolaire, a alimenté le débat du marqueur écologique. Derrière ce marqueur se cache la question de l’ampleur du changement de modèle. Souhaitons-nous développer des solutions technologiques pour compenser les inconvénients d’un modèle, ou le revoir totalement pour le rendre plus vertueux ?

L’intervention de Thierry Boutonnier, artiste plasticien empreint de nature et d’agriculture, a permis d’explorer le marqueur culturel et symbolique, mais aussi ses travaux et sa colère citoyenne autour du marketing alimentaire et de la prédominance des intérêts économiques sur la politique alimentaire. La diffusion de la bande-son du projet Sugar Killer, conduit avec des collégiens, a fortement interpellé et fait sourire les participants quant aux coulisses du marketing et à l’opacité des réponses apportées aux adolescents. Le marketing habille l’alimentation de toutes les vertus, mais, dans les faits, les compositions restent mystérieuses. La question de la responsabilité des adultes et du système alimentaire sur la santé des enfants a été posée. La santé apparaît, elle aussi, comme un bien commun, avec un idéal de transparence et d’éducation pour relever les défis culturel et symbolique dès le plus jeune âge. La dernière intervention de Boris Tavernier, fondateur de Vrac (Vers un réseau d’achat en commun), a permis d’éclairer les marqueurs politiques et socio-économiques quant à l’accès à une alimentation durable et de qualité pour toutes et tous, quels que soient les moyens financiers ou la localisation géographique des personnes. En achetant en grande quantité, Vrac réussit à obtenir des produits de qualité à des prix compétitifs, que les adhérents peuvent ensuite acheter à des prix raisonnables. L’initiative est partie des quartiers populaires de l’Est lyonnais, le réseau est désormais national et milite plus globalement pour l’éducation à l’alimentation alliant plaisir, créativité et interculturalité. Il est aussi actif dans le réseau qui oeuvre pour la création d’une sécurité sociale alimentaire.

Réalimenter un imaginaire collectif

En conclusion, Éric Roux (association L’Étonnant Festin) est intervenu pour apporter son expertise sur l’approche quotidienne de la transition alimentaire en s’appuyant sur les enjeux de transmission des savoirs interculturels comme pare-feu aux normes imposées par le système étatique. Il a abordé la notion d’un projet culturel de territoire qui redistribue des savoirs et réalimente un imaginaire collectif. Les participants ont été invités à exprimer les émotions à chaque étape de l’exploration. Le niveau des débats, les visites et intervenants ont permis d’examiner la plupart des marqueurs de l’alimentation et d’ébaucher ensemble des pistes de solutions pour répondre aux défis de notre civilisation : rien de moins que la définition de la culture selon Clair Michalon [ingénieur agronome et formateur, ndlr] : « La culture, c’est la manière de trouver ensemble des réponses aux défis de notre temps. »

Avec le chantier des « 1 000 premiers jours de la vie », les cantines et les quartiers populaires sont ressortis comme les emblèmes de cette transition aussi intime que collective.