La revue
Revenir à la Une
Partager

Article paru dans la revue Urbanisme Hors-série n°84 – Avril 2025
“Espace(s) public(s) en débat(s)”
45e Rencontre des agences d’urbanisme – Saint-Omer

reproduit avec leur aimable autorisation.
commander la revue ici.

Espaces publics et droits culturels : à la recherche de l’agora 2030

Par Emeline Cholet, Cheffe de projet accompagnement au changement, AUD St Omer, et Rosalie Lakatos, Responsable urbanisme culturel, partage des savoirs et communication, AUCM - 23.04.2025

« Regardons l’invisible », « Pensez l’Humain Urbain ! », « Lâchez nous l’espace public ! ». Les quelques slogans formulés à l’issue de cette journée -proposée dans le cadre de la 45ème rencontre nationale des agences d’urbanisme le 10 octobre 2024 à St Omer- donnent le ton de l’atelier. Hors des sentiers traditionnellement battus par les urbanistes lorsqu’il est question d’espaces publics, nous faisons à travers cette journée l’hypothèse d’un renouvellement de logiciel : et si l’approche des espaces publics par les droits culturels, dans leur capacité à garantir l’exercice des droits fondamentaux de chacun, nous permettait de réinventer la fabrique des espaces publics et d’aller vers davantage de démocratie ?  Afin de partir collectivement en quête de premiers éléments de réponse, la journée s’articule autour d’une série de courtes expériences, comme autant de tentatives de relier la question des droits culturels, à une réflexion sur la teneur et la fabrication de nos espaces publics.

Introduction aux droits culturels

Que sont les droits culturels ? En quoi ceux-ci peuvent-ils nous aider à porter un regard neuf sur les espaces publics, pour les rendre plus fertiles et moteurs dans nos efforts collectifs de transitions ?  A l’abri du kiosque à musique du jardin public de Saint Omer, à quelques pas des fortifications érigées sous Charles Quint, Nawel Bab-Hamed, chargée d’études sociologie, culture et mode de vie, à l’Agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise, met en valeur la spécificité de ces droits humains fondamentaux apparus en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, révélés par la Déclaration de Fribourg en 2007. Humanité, légitimité, réciprocité, coopération, démocratie…le logiciel des droits culturels s’inscrit dans une définition très large de la culture, comme espace d’expression de l’humanité des personnes et des groupes. Ces droits contribuent à donner la capacité à chaque être humain de « prendre sa part, d’apporter sa part, de recevoir sa part ». Ils permettent d’inclure toute personne dans la création et l’enrichissement d’un système de valeurs, de croyances, de langues, de savoirs et d’arts, de traditions, d’institutions et de mode de vie par lesquels un individu qu’il soit seul ou dans un groupe exerce son humanité et son rapport au monde. L’espace public, « commun de nos communs », tel que l’écrivait Luc Carton, philosophe, vice-président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de Fribourg, permet-il pour autant l’exercice des droits culturels de chacun.e ? Renforce-t-il notre capacité à créer du lien, à coopérer, à faire s’exprimer et se transmettre nos cultures ?

Enquête flash : à la recherche des héritages et référentiels culturels en présence

Quelle est l’intensité d’un espace public en matière de droits culturels ?  Le jardin public de St Omer, conçu au XIXème siècle sur le modèle des jardins « à la française », où voisinent arbres remarquables et stigmates du passé militaire, nous semble un écrin favorable pour aborder la notion d’héritage, de transmission, qui figure parmi les huit droits culturels. Qu’est-ce qui fait « héritage » dans cet espace ? Quelles sont les références culturelles, les différents narratifs en présence ?  Quels sont les grands absents, du point de vue des références culturelles contemporaines ? Course à pied, course d’orientation, manèges, concerts, photos de mariage… En quoi cet espace favorise-t-il la rencontre entre différentes cultures, le partage et le renforcement des liens entre habitants ? En quoi d’autres approches de cet espace, sous le prisme des droits culturels, pourraient-elles favoriser sur ce site un « faire patrimoine » par les acteurs ? L’expérience soulève diverses questions, des tâtonnements qui amènent les participants à considérer la charge culturelle d’un espace et son potentiel de transmission.

L’espace public comme support de coopérations : le cas de la Station

De retour dans le centre-ville, la visite de « La Station », écosystème territorial d’innovation initié par la Communauté d’Agglomération du Pays de Saint-Omer, invite le groupe à analyser une autre notion faisant partie des huit droits culturels : la coopération.  Mutualisation de ressources, synergies, réciprocité des échanges, gouvernance partagée…comment passer de l’individu à la communauté ? en quoi un espace partagé est-il vecteur de coopérations ? Quels sont à l’inverse les freins à la mise en liens ?

Dans l’esprit des « pratiques en chantier », outil d’analyse expérimenté par les promoteurs des droits culturels, Marie Matte, architecte-paysagiste, start-uppeuse vice-présidente de la Station, évoque la genèse du lieu, les péripéties et succès qui jalonnent la mise en place de ce type d’espace partagé. Les échanges avec le groupe révèlent l’intérêt de cet espace partagé pour tisser de nouveaux possibles collectifs. Si la vitalité de l’écosystème nécessite une attention de chaque instant, ce type d’espace de coopération s’avère néanmoins fertile, en permettant de faire œuvre commune, sans toutefois gommer les spécificités de chacun.

Une question émerge : Les agences d’urbanisme gagneraient-elles à s’adosser à un tiers-lieu d’innovation pour réinventer la fabrique des espaces publics ?

Arpenter le Haut-Pont au prisme des droits culturels

Afin de se relier à un ressenti plus intime et tenter de capter des éléments d’ambiance urbaine, une dynamique en présence, les participants sont invités, en silence, à parcourir l’allée des Marronniers – espace public le long du canal – pour rejoindre le quartier du Haut-Pont. Ce faubourg emblématique du maraichage audomarois, fruit de plus de 1000 ans de relations entre l’humain et la nature, créé la synthèse entre les notions d’héritage et de coopération évoquées en début de matinée : conçu collectivement, pas à pas, pour habiter et produire des ressources alimentaires, ce quartier charnière questionne notre capacité collective à produire des espaces, à nous fédérer, en dialogue avec le vivant.

Valérie Mathias-Husson, géographe-urbaniste à l’Agence d’urbanisme et de développement Flandre Dunkerque, formule alors une nouvelle proposition au groupe : muni.e d’un livret reprenant les huit droits culturels, chacun.e est invité.e à arpenter individuellement le haut-Pont, où cohabitent aujourd’hui une population de cadres en quête d’authenticité et les héritiers de la profession maraichère. L’occasion d’évoquer et d’éprouver l’enjeu des choix en matière de techniques d’arpentages, d’enquêtes de terrain. Quels types d’arpentage et d’enquête engager pour saisir l’épaisseur culturelle d’un espace public ?

Le marais audomarois, démonstrateur des droits culturels ?

La Maison du marais, où nous nous réfugions à la mi-journée, a investi le champ de l’imaginaire collectif en valorisant l’héritage culturel du marais audomarois sous de multiples dimensions, à travers une riche scénographie. La visite de l’exposition permanente permet au groupe d’appréhender la coopération que l’humain a construit, ici, avec le vivant non-humain, à travers l’aménagement des canaux et le développement du maraichage.  Une communauté s’est formée autour de l’activité vivrière, puis commerciale, où chacun semble trouver sa place. Ce système culturel, producteur d’aménagements, d’espaces publics, et générateur d’un tissu social complexe, repose sur un espace-temps fédérateur dont les contours résonnent avec les huit droits culturels.

Au sortir de la journée, quid de l’agora 2030 ?  Revendiquons ! La journée s’achève autour d’un atelier de création de panneaux de manifestation. Quels slogans nous inspirent cette approche par les droits culturels, à l’heure où le contexte de changement global nous incite à réinventer nos espaces publics ? « Droits humains droits urbains même combat !!! », « FNAU / Fabrique ta Nouvelle Agence d’Urbanisme »… L’envie semble partagée de faire émerger une nouvelle « grammaire » de projet, de nouvelles approches, où se renégocient la place des acteurs, leurs interactions et le rôle de l’urbaniste en tant que médiateur. Vers un nouveau modèle social des espaces publics ?