1. L’enquête a été réalisée par l’Agence d’urbanisme et de développement de Clermont Métropole auprès de 1 500 habitants résidant au sein et en dehors des quartiers populaires de la métropole clermontoise.
2. INSEE recensement de la population (RP) 2015.
3. INSEE RP 2015.
4. Ce terme fait référence aux personnes victimes d’illectronisme.
Recherche d’emploi dans les quartiers populaires clermontois : Une dématérialisation, mais à quel prix ?
Un article d’Estelle Jardin et Sophie Vicario, chargées d’études à l’agence d’urbanisme, paru dans « les Cahiers du développement », n°75, du premier semestre 2022, consacré à l’emploi dans les quartier populaires et a l’inclusion numérique.
En 2022, le numérique est un outil indispensable pour effectuer des démarches en matière de recherche d’emploi. Toutefois, la dématérialisation des services constitue un frein pour certains publics. À partir de l’analyse de l’enquête téléphonique « Allo quartiers » [1], cet article revient sur les enjeux de la dématérialisation pour les publics en insertion professionnelle sur le territoire de la métropole de Clermont-Ferrand. Les autrices, Estelle Jardin et Sophie Vicario, chargées d’études à l’Agence d’urbanisme et de développement de Clermont Métropole, parviennent à qualifier les écarts territoriaux existant en matière de numérique et d’insertion professionnelle.
Aujourd’hui, l’accès au marché de l’emploi requiert tout autant des compétences d’usages de l’outil numérique que de savoir-faire professionnels. Mais pour les publics éloignés du numérique ou de l’emploi, ce système ne contribue-t-il pas à les fragiliser ?
DE L’ACCÈS À L’USAGE : DES ENJEUX CONVERGENTS POUR LES HABITANTS DES QUARTIERS POPULAIRES
Les écarts face au numérique s’observent selon la situation d’emploi. À l’échelle de la métropole, les personnes sans emploi sont moins bien dotées en matériel informatique et en connexion internet à domicile que les personnes en emploi, davantage encore pour les personnes sans emploi vivant dans les quartiers prioritaires. Quel que soit leur statut d’emploi, parmi les habitants de ces quartiers, 18% n’ont pas Internet à domicile et 21% ne possèdent pas de matériel informatique, soit deux fois plus que le reste de la métropole.
En outre, près d’un tiers des habitants des quartiers populaires se déclarent peu à l’aise avec les plateformes dématérialisées des services publics et affirment rencontrer davantage de difficultés à trouver un accompagnement pour effectuer leurs démarches administratives comparativement au coeur de la métropole (+15 points).
Ces résultats soulèvent deux enjeux convergents face aux inégalités numériques : il s’agit tout autant, pour les habitants de ces quartiers, de pouvoir accéder au matériel informatique que de disposer de compétences d’usages. Si, au sein des quartiers prioritaires, des postes informatiques en libre-service sont disponibles dans différents lieux (centres sociaux, médiathèques, etc.), cette mise à disposition nécessite la présence d’un personnel formé à l’accompagnement des usagers, ce qui n’est pas toujours le cas.
DANS LES QUARTIERS PRIORITAIRES, UN RECOURS CONSIDÉRABLE À PÔLE EMPLOI
Les personnes sans emploi résidant dans ces quartiers ont un recours plus fréquent aux services de Pôle emploi comparativement au reste de la métropole (+8 points). Ils en sont aussi plus satisfaits (+10 points). Ajoutons que les personnes actives habitant en quartier prioritaire sont également plus nombreuses à avoir trouvé leur emploi grâce à Pôle emploi (+15 points), soulignant l’importance du maintien de ce lien.
Cependant, le recours à Pôle emploi varie selon le sexe et l’âge des personnes considérées. En effet, le taux d’emploi entre les femmes et les hommes dans les quartiers populaires atteint jusqu’à 20 points d’écart contre 5 points à l’échelle de Clermont Métropole [2]. En outre, le taux de demandeuses d’emploi inscrites en fin de mois dans ces quartiers est quasiment équivalent à celui observé à l’échelle de l’agglomération. L’hypothèse d’un non-recours aux services de Pôle emploi de ces publics mériterait d’être testée.
Un parallélisme peut être fait avec les jeunes. Au sein de ces quartiers, le taux des 16-25 ans ni en emploi ni en étude est particulièrement élevé (entre 30 et 40% [3]), alors même que le taux de demandeurs d’emploi de moins de 26 ans est légèrement plus bas que dans le reste de la métropole.
PROFILS SOCIO-NUMÉRIQUES : UNE ILLUSTRATION DES EFFETS CUMULATIFS DES DIFFICULTÉS DANS LES QUARTIERS POPULAIRES
À partir du croisement entre les critères sociodémographiques et les réponses du panel d’enquêtes d’« Allo quartiers », quatre profils socio-numériques ont été établis : trois profils sont plus particulièrement touchés par les inégalités numériques, pointant l’effet cumulatif des difficultés rencontrées.
À côté de ceux-ci, on trouve des jeunes qualifiés se déclarant à l’aise avec les outils numériques.
Les déconnectés davantage présents au sein des quartiers populaires de la métropole Ils ne disposent pas de matériel informatique et n’ont pas accès à Internet à domicile. Ils sont mal à l’aise avec les outils numériques développés par les services publics, mais parviennent à trouver un accompagnement près de chez eux. Ce sont des personnes de plus 60 ans, mais on retrouve dans une moindre mesure des personnes entre 40 et 59 ans, vivant seules et ayant un faible niveau de diplôme. Les femmes sont légèrement surreprésentées.
Les séniors équipés mais illectrés [4], surreprésentés en dehors des quartiers populaires Ils disposent de matériel informatique et d’une connexion internet. Néanmoins, ils ne sont pas très à l’aise avec le numérique et trouvent peu d’accompagnement. Ce sont davantage des femmes, de plus de 60 ans, faiblement diplômées, vivant seules.
Les familles connectées, mais fragiles
Elles sont équipées mais les trois quarts d’entre elles sont peu à l’aise avec les outils numériques et un quart d’entre elles ne trouvent pas d’accompagnement à proximité. Ce profil est surreprésenté dans les quartiers prioritaires et se compose essentiellement de couples avec enfants, de familles monoparentales, entre 25 et 59 ans, souvent sans emploi.
Les jeunes, des publics à l’aise avec le numérique ?
Les jeunes sont à l’aise avec les outils numériques et ont du matériel informatique. Ils sont soit en études supérieures, soit en emploi. Parmi eux, 20% ne trouvent pas d’accompagnement près de chez eux. Ainsi, les personnes sans emploi, les habitants des quartiers prioritaires et certains publics (femmes, jeunes) semblent particulièrement touchés par les inégalités numériques. Celles-ci se juxtaposent à d’autres critères de fragilité économique et sociale comme l’âge, le niveau d’études ou la composition familiale. L’accès au numérique constitue alors un obstacle supplémentaire pour certains.
Le risque majeur est que la dématérialisation renforce la fracture sociale déjà existante. Dès lors, la lutte contre les inégalités numériques doit prendre en considération ces différentes variables et se combiner à un accompagnement global et de proximité des demandeurs d’emploi les plus fragilisés.
Sur notre territoire, c’est avant tout un enjeu métropolitain, en lien avec le recours aux droits et notamment celui des personnes âgées et des habitants des quartiers prioritaires, qui se joue.