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Un plan stratégique d’adaptation au changement climatique par et pour les acteurs du Massif central

Par Stéphane Cordobes, directeur général de l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central - 08.09.2025

Entretien avec Paul-Henry Dupuy, commissaire de massif (Commissariat à l’aménagement, au développement et à la protection du Massif central)

Propos recueillis par Stéphane Cordobes, directeur général de l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central

Stéphane Cordobes :

Vous venez, avec le commissariat de massif, de concevoir un plan stratégique d’adaptation au changement climatique. Pouvez-vous nous en dire plus ? Et plus particulièrement, expliquer pourquoi le commissariat a été amené à mener ce travail ? Est-ce une obligation légale ? Qu’est-ce qui en est à l’origine ?

Paul-Henry Dupuy :

Effectivement, il y a une obligation légale. La loi Climat et Résilience de 2021 demande à tous les comités de massif d’élaborer un plan d’adaptation au changement climatique. Mais le besoin de travailler sur ce sujet s’était fait sentir depuis longtemps, et il s’était déjà manifesté dans le Massif central. Des acteurs, comme ceux du monde agricole, étaient engagés depuis 2012. Il existait donc une volonté préalable de développer une stratégie d’adaptation. L’obligation réglementaire nous a en quelque sorte imposé – ou plutôt donné – la légitimité pour lancer ce travail.

Stéphane Cordobes :

Quand vous dites “on”, est-ce le commissariat qui parle, ou le commissariat qui parle au nom du comité de massif ? Est-ce une volonté technique que vous exprimez, ou y avait-il également un engagement politique clair pour mener ce travail ?

Paul-Henry Dupuy :

Il y avait une volonté politique, certains acteurs l’ont exprimée. Il y avait également une volonté technique au niveau du commissariat de massif. Il s’agissait de rénover le cadre d’intervention des politiques de massif, et cela impliquait de trouver un nouveau fil rouge mobilisateur. Très rapidement, nous avons identifié que l’adaptation au changement climatique – parce qu’elle était déjà portée par certains – pouvait structurer cette démarche. Jusqu’alors, le fil conducteur était la reconquête démographique du Massif central. Mais ce thème était daté et renvoyait une image du territoire, même si l’enjeu de renouvellement de population et en particulier des actifs perdure, qui ne nous paraissait plus pertinente. En revanche, engager un travail sur l’adaptation de territoires particulièrement impactés permettait au Massif central de se différencier. Aujourd’hui, la dynamique est enclenchée et même si le contexte politique national et international est peut-être moins porteur, la volonté des acteurs du massif s’est manifestée par l’adoption de ce plan, l’enjeu d’adaptation entre dans les mentalités, et cela nous permet d’envisager de construire une image renouvelée d’un Massif central engagé dans l’adaptation.

Stéphane Cordobes :

On sait que ce type d’exercice – construire un projet de territoire, un plan d’adaptation – nécessite des moyens en ingénierie importants. Et dans votre cas, on peut même parler d’une ambition forte. Vous avez par ailleurs fait le choix de privilégier l’ingénierie locale. Pouvez-vous en dire un peu plus, à la fois sur ce besoin en ingénierie et sur ce choix de travailler avec des acteurs du territoire ?

Paul-Henry Dupuy :

Travailler à l’échelle du Massif central pose toujours une difficulté liée à la taille du territoire. Il s’agit d’un territoire aussi vaste qu’un pays : 85 000 km². Il fallait donc adopter une approche différente de celle qu’on peut mener à l’échelle d’un EPCI ou d’un PETR. Nous avons compris très vite que nous ne pourrions pas produire un document définissant, point par point, tout ce qu’il faudrait faire territoire par territoire. En revanche, il nous semblait essentiel de faire en sorte que les acteurs puissent s’exprimer.

Cela correspond aussi à l’esprit de la Loi montagne, c’est-à-dire à une logique d’auto-développement des territoires : un développement ascendant, fondé sur la volonté des acteurs. Il fallait donc toucher l’ensemble des territoires du massif, à la fois géographiquement et sectoriellement. Les institutions, les milieux économiques, les élus devaient pouvoir participer. Le besoin d’ingénierie était évident, car nous n’avions pas, à nous seuls, les compétences pour animer une telle démarche. Il y a un vrai savoir-faire à mobiliser pour permettre aux gens de s’exprimer, et pour les nourrir en retour avec des apports scientifiques ou techniques.

Pourquoi une ingénierie locale ? Parce que c’est fondamental de travailler avec des personnes qui connaissent les modes de vie, les réalités du territoire. Et aussi avec des structures qui ont une expérience de l’animation sur des sujets d’aménagement ou de planification. Ce que nous voulions construire, c’était une stratégie pour le Massif central à l’horizon 2050. Des acteurs comme l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central, qui produit des projets de territoire, des SCoT, etc., sont donc tout à fait adaptés. Nous savions que cette agence était sensible aux questions climatiques, qu’elle articulait bien ces enjeux avec les problématiques d’aménagement, et qu’elle maîtrisait les démarches collaboratives. Il n’y a pas vraiment eu d’hésitation.

Stéphane Cordobes :

Ce type de démarche est souvent engageant. Parfois difficile ou douloureux, parfois enthousiasmant. Maintenant que le plan est élaboré, en cours de diffusion et de déploiement, si vous deviez revenir sur l’expérience : qu’avez-vous appris ? Qu’avons-nous appris collectivement ? Ce fut un travail de plus d’un an, avec des réunions régulières, des apports d’experts… Que retenez-vous de cette séquence ?

Paul-Henry Dupuy :

Avant de parler de ce que nous avons appris, je voudrais insister sur les choix forts qui ont été faits. Ces choix n’auraient pas été possibles sans un échange étroit avec l’agence d’urbanisme. Cela nous a permis de construire la méthode, de nous rassurer sur les attendus, de distinguer l’essentiel de l’accessoire, le tout dans un climat de confiance.

Un des choix structurants a été de réunir les participants pendant un an, à huit reprises, en présentiel, sur le massif. Ce n’était pas une évidence, car les déplacements sont longs et contraignants. Mais nous avons fait ce pari. De votre côté, vous étiez convaincus que c’était la bonne méthode pour embarquer les acteurs. J’ai pris un risque, mais je n’ai aucun regret. Aujourd’hui, il existe un collectif qui s’est formé, qui veut continuer à travailler, qui considère ce plan comme le sien. Nous avons réussi à faire émerger quelque chose.

Ce que cela nous a appris, c’est d’abord qu’il y a un intérêt réel pour travailler sur l’adaptation. C’est un sujet fédérateur. Nous avons réuni des personnes qui, au départ, n’avaient pas les mêmes intérêts, ni les mêmes convictions. Et plus nous les réunissions, plus elles avaient envie de participer, de passer à l’action. À la fin du cycle, elles demandaient à poursuivre. Pourtant, la démarche était exigeante.

Cela m’a conforté dans l’idée que notre mode de fonctionnement issu de la loi Montagne – qui vise à mobiliser une communauté d’acteurs pour orienter, donner un cap au massif – fonctionne. Cette communauté s’est sentie investie. Elle s’est emparée du sujet. Nous avons ravivé l’esprit d’auto-développement dans les politiques de massif. Les participants se sont dit : “Il faut qu’on prenne les choses en main”, “On ne peut pas attendre”, “Si on anticipe, on peut s’en sortir, et même se différencier”.

Stéphane Cordobes :

Vous évoquez une diversité de points de vue au sein du collectif. Or c’est un sujet qui peut générer de l’anxiété, de la controverse, du conflit. Ce collectif, très attaché au territoire, ne partageait pas toujours la même opinion, ni les mêmes orientations politiques ou idéologiques. Pourtant, vous dites qu’au fil des rencontres, l’envie de poursuivre s’est affirmée. Est-ce que cette fabrication du collectif constitue, autant que le plan lui-même, une réponse au trouble que génère ce sujet ?

Paul-Henry Dupuy :

Oui, c’est une réponse à ce trouble, à cette forme d’anxiété qui accompagne ce sujet. La démarche que nous avons menée a permis d’exprimer et de confronter les points de vue, sans les opposer. Chacun ressentait, d’une manière ou d’une autre, une inquiétude. Mais ce qui nous a rassemblés, c’est un attachement fort au territoire. Cet attachement a été exprimé à plusieurs reprises. Les acteurs sont fiers du Massif, et veulent continuer à y vivre, à le faire vivre. Cela permet de dépasser le trouble. C’est compliqué, mais on s’y met ensemble, et cela renforce le sentiment d’appartenance.

Nous avions aussi pris le parti de ne pas rendre la démarche écrasante. Il ne s’agissait pas d’enjoliver la réalité, mais de rappeler régulièrement qu’il restait une capacité d’agir. Que le Massif central de 2050 pouvait encore correspondre à nos désirs, en tenant compte des contraintes. Cette posture – pas optimiste, mais donnant une visibilité – a été décisive. Elle a limité les tensions entre les participants, malgré des intérêts divergents, et elle a atténué le caractère anxiogène du changement climatique.

Stéphane Cordobes :

Dans la méthode, vous avez choisi d’intégrer dès le début des illustrateurs, des médiateurs graphiques, en immersion complète lors de tous les temps de travail. Ils ont produit de nombreuses planches, constituant presque un récit graphique de cette aventure collective. Quelle était l’intention de départ ? Et quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce choix ?

Paul-Henry Dupuy :

Avec le recul, je considère que c’était une très bonne décision. Je ne saurais plus dire précisément comment l’idée est née, mais dès le départ, nous voulions que cet outil soit facilement diffusable, agréable à lire. Il nous fallait un média de communication grand public. D’où les médiateurs graphiques. Il y avait aussi cette volonté d’avoir un regard extérieur, un peu décalé. C’est toujours délicat pour moi, en tant que commissaire de massif, de dire certaines choses. Je représente l’État. Le médiateur graphique, lui, peut se permettre plus de liberté, provoquer le débat. C’est comme pour l’ingénierie externe : l’intervenant extérieur peut dire ce que nous ne pouvons pas dire.

Il y avait deux volets à cette médiation graphique. Le premier, c’était le dessin en direct, pendant les séances : les illustrateurs captaient des verbatims, les représentaient immédiatement. Même les phrases dures devenaient discutables, car elles étaient mises en image, parfois avec humour. Cela détendait l’atmosphère. Les dessins étaient affichés dans la salle, les participants voyaient que leurs propos n’étaient pas censurés. Nous les avons tous conservés. Ils seront bientôt exposés, sans filtre.

Le second volet, c’était un carnet de voyage. Un récit illustré, de la première séance à la dernière, en mars. Presque une chronique, dans un style proche du journalisme. Et c’est un support très efficace, y compris pour la diffusion. Plus lisible qu’un compte-rendu classique. Dans certaines collectivités, un seul représentant assistait aux réunions, mais tout le service lisait les épisodes du carnet. Cela prouve l’intérêt du format.

Stéphane Cordobes :

Le plan d’adaptation débouche sur cinq clés stratégiques. Pourquoi ce mot de “clé” ? Et en quoi ces clés permettent-elles, selon vous, de transformer les manières de faire territoire, de s’adapter à l’échelle du Massif central ?

Paul-Henry Dupuy :

C’est une très bonne illustration de ce que le collectif a produit. Assez vite, grâce au temps pris pour dialoguer et écouter, les acteurs ont compris qu’il fallait adopter une approche transversale, coopérative. Cinq leviers ont émergé – nous les appelions ainsi au début. Des leviers d’adaptation volontairement transversaux, là où les documents stratégiques classiques fonctionnent par thématiques : agriculture, tourisme, gestion de l’eau, …

Nous avons évolué vers cette idée de “clés”, venue naturellement. Ce mot évoque l’action, la capacité à déverrouiller des blocages. Et pour cela, il faut une approche intégrée. Les cinq clés retenues – partage des ressources, diversification, décarbonation, revitalisation, coopération – reprennent et réinventent des logiques connues dans les politiques de massif. Elles ne sont pas déconcertantes. Elles parlent aux acteurs.

Prenons “diversification” : cela évoque l’économie, c’est positif, y compris pour des personnes peu à l’aise avec l’idée de transition. Idem pour “revitalisation”, qui renvoie à un vocabulaire territorial fort. Les acteurs veulent un territoire habité, vivant, partout. On ne parle pas seulement de sobriété ou de transition agricole. On emploie des mots dynamiques, accessibles. Ce n’est pas une posture de continuité, mais une manière renouvelée d’aborder les sujets.

Surtout, ces cinq clés peuvent être mobilisées localement. Elles sont adaptées à tous types d’acteurs : petites collectivités, grandes intercommunalités, filières économiques. Elles offrent un cadre d’action pour que le plan soit approprié, décliné concrètement.

Stéphane Cordobes :

Vous avez dit que cela avait permis de fédérer une communauté, et que vous aviez veillé à ce que les mots choisis soient entendables. Mais au-delà du plan et de ses formulations – y compris artistiques ou graphiques – il faut aussi que cela produise des effets. Il faut que ce soit performatif. Vous attachez beaucoup d’importance au déploiement. Il ne s’agissait pas de faire un plan pour faire un plan. Il s’agit maintenant de le faire vivre, de susciter des initiatives concrètes. Vers quoi allez-vous ? Y a-t-il déjà des projets identifiés ? Concrètement, comment se déploiera-t-il dans les prochains mois ?

Paul-Henry Dupuy :

Le déploiement passe d’abord par la diffusion. C’est une évidence. Mais je voudrais revenir un instant sur la conception même du plan, car cela éclaire notre approche. Ce plan, ce n’est pas une planification stricte. C’est un outil mis à disposition de tous les acteurs pour susciter l’envie d’agir, pour accompagner l’adaptation.

Il contient une base de diagnostic très complète, que chaque territoire peut s’approprier. Il propose aussi une méthode d’embarquement d’un écosystème d’acteurs – c’est le récit de notre travail collectif. Chaque territoire, chaque filière, peut s’en inspirer, voir que c’est possible. À condition d’y consacrer du temps, de l’animation. C’est essentiel.

Les cinq clés offrent ensuite un cadre structurant pour établir une stratégie locale d’adaptation. Enfin, le plan recense de nombreuses actions déjà engagées. Ce sont souvent des démarches légères, sans regret, mais elles montrent que c’est faisable. L’objectif est donc de donner envie, et de fournir les premiers repères.

La première étape est donc de diffuser largement. D’expliquer, de faire de la pédagogie. Notamment en lien avec les autres démarches de planification écologique. Ce plan doit pouvoir contribuer aux objectifs d’adaptation.

La deuxième étape, c’est créer les conditions de la massification. Il faut que les territoires du Massif central s’engagent. Cela suppose d’inventer des méthodes d’accompagnement, de mobiliser une ingénierie adaptée – y compris pour les territoires qui en sont aujourd’hui éloignés.

Dès 2025, le commissariat financera des projets d’expérimentation. Des méthodes d’accompagnement appliquées dans des territoires pilotes. Des approches différenciées, parfois thématiques : sur l’eau, sur les risques, sur l’éducation au risque… avec des contenus spécifiques. L’idée est de constituer une gamme large, adaptée à toute typologie de territoire.

Il faudra aussi convaincre les financeurs. Leur montrer que ces démarches sont utiles, efficaces, et qu’elles méritent d’être soutenues. Pour que l’adaptation se déclenche partout.

Stéphane Cordobes :

Vous évoquez là les deux extrémités de la chaîne : les acteurs de terrain d’un côté, les financeurs de l’autre. Et entre les deux, il y a l’ingénierie. Vous avez travaillé avec notre agence, mais aussi avec d’autres. Ce qui est intéressant, c’est que vous ne cherchez pas à privilégier un acteur, mais à faire converger les ressources existantes, locales et nationales, pour créer une sorte de “pack” d’acteurs au service de l’adaptation. Est-ce bien cela ?

Paul-Henry Dupuy :

Oui, exactement. C’est le grand chantier qui s’ouvre. Nous allons le lancer avec l’appui de l’Agence d’urbanisme, à travers la création d’un réseau des acteurs pour l’adaptation du Massif central. Le nom n’est pas encore arrêté.

Ce réseau comprendra une communauté de territoires engagés, qui pourront en inspirer d’autres. Mais surtout un ensemble – un “pack”, comme vous dites – d’acteurs de l’ingénierie, qui devront se structurer en complémentarité. Pour répondre à tous les besoins : par sujet, par type de territoire, par profil d’acteur.

Il faudra connecter tout cela. Mobiliser les ingénieries locales déjà existantes, bien implantées, pour les orienter davantage vers l’adaptation. Il n’est pas nécessaire de tout réinventer. Nous avons des ressources, des personnes compétentes, qui connaissent les spécificités du territoire. Il s’agit de les mettre en réseau avec des expertises plus pointues, parfois extérieures.

C’est cela qu’il faut orchestrer. Et c’est une clé de réussite, non seulement pour le Massif central, mais au-delà. C’est le chantier que nous allons ouvrir, avec un premier temps fort prévu le 30 septembre pour en poser les fondations.

Stéphane Cordobes :

Dernière question : ce plan ne va-t-il pas aussi transformer le commissariat lui-même, ou le comité de massif ? Est-ce que ce travail va vous amener à faire évoluer vos objectifs, vos modes de fonctionnement, vos leviers de financement ?

Paul-Henry Dupuy :

Quand le comité de massif a adopté, le 23 mai, le plan stratégique d’adaptation au changement climatique, il a affirmé que l’adaptation devenait la priorité des politiques publiques de massif. C’est désormais le fil rouge.

Cela implique que le commissariat, qui gère les crédits de l’État pour le Massif central, mais aussi les autres partenaires (régions, départements), doivent interroger leurs dispositifs pour les aligner sur cette priorité. Je laisse à chacun le soin de porter ces réflexions. En ce qui concerne l’État, nous allons faire évoluer nos manières de travailler. Nous allons prioriser les projets qui relèvent de l’adaptation, en nous appuyant sur les cinq clés. Et dans un contexte de moindres moyens, cette ligne claire est nécessaire. Ce plan nous aidera à orienter nos financements.

Stéphane Cordobes :

Est-ce que cela ira jusqu’à une révision du document cadre, le schéma de massif ?

Paul-Henry Dupuy :

Oui, j’aurais même dû commencer par là. Quand le comité dit que l’adaptation devient la priorité, et que les cinq clés structurent cette vision, cela implique forcément une révision du schéma. C’est notre document stratégique de référence. Et le vote à l’unanimité du plan nous conforte dans l’idée que cette révision est possible, et attendue.