1 Insee Focus No 169 – novembre 2019 https://www.decryptageo.fr/wp-content/uploads/2019/11/Insee-Focus-169.pdf
2 Source : Enquête Déplacements Grand Territoire – Clermont Val d’Allier – 2012
3 https://www.mobin-solutions.fr/
4 Voir étude Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France, 2020, ADEME, https://www.velo-territoires.org/wp-content/uploads/2020/05/2020-05-06-Rapport_etude_eco_velo.pdf
5 Mobilités innovantes, Tome 1 (2019) et Tome 2 (2022)
6 https://www.cerema.fr/fr/actualites/boite-outils-mobilite-zones-peu-denses-fiches-pratiques
7 Webinaire du 20 octobre 2022, disponible en replay, initié et animé par Christel Griffoul et Sébastien Reilles, Agence d’Urbanisme et de Développement Clermont Métropole. Avec les intervenant·es, par ordre chronologique :
- Thomas Braud, Chargé de mission écomobilité, Plateforme Mobilités 63
- Marc Lanfranchi, Chargé d’études stratégies et services de mobilité, Cerema
- Karine Odienne, DGA communauté de communes Argonne Ardennaise
- Arthur Delacroix, Chargé d’études mobilités, Agence d’urbanisme Reims
- Romain Legros, Club des villes et territoires cyclables et marchables)
Se déplacer dans les territoires périurbains et ruraux : Quelles alternatives à la voiture solo et thermique?
Selon l’INSEE, environ un tiers de la population nationale habite dans des communes peu denses ou très peu denses (2). La mobilité est donc un ingrédient majeur de vitalité territoriale et d’inclusion sociale. Dans les espaces ruraux et périurbains, voire dans les quartiers excentrés peu desservis par les transports en commun, la voiture solo et thermique est une solution de mobilité incontournable pour se rendre au travail, faire des études ou encore avoir accès aux soins. L’indisponibilité des ressources fossiles et les effets des dérèglements climatique et écologique que nous vivons obligent à repenser ce modèle. Quelles sont alors les alternatives à la voiture individuelle à moteur thermique ?
La Loi d’Orientation des Mobilités de décembre 2019 pose un cadre pour passer du « tout voiture » à l’écomobilité. Elle encourage le développement d’Autorités Organisatrices des Mobilités (AOM) sur l’ensemble du territoire national, qui peuvent proposer une diversité de services : des transports publics (réguliers, scolaires ou à la demande) aux mobilités actives (vélo et marche), en passant par l’autopartage, covoiturage ; la mobilité solidaire ; le conseil en mobilité, jusqu’aux transports de marchandises.
Le développement de ces offres connaît une dynamique variable suivant les contextes géographiques, économiques et sociaux.
SE DÉPLACER DANS DES ESPACES DE FAIBLE DENSITÉ, UN DÉFI POUR NOMBRE DE TERRITOIRES
Dans les cœurs d’agglomérations, les mobilités évoluent en faveur de la transition écologique, avec des espaces publics encourageant les modes actifs et des réseaux de transports publics performants. Mais les couronnes périurbaines et les zones rurales restent très dépendantes de l’automobile, pour près de 3 déplacements sur 4. La durabilité et la soutenabilité de ce modèle sont donc questionnées. Non seulement parce qu’il contribue fortement à la pollution et au réchauffement climatique, mais aussi pour ses coûts élevés, qui pèsent sur les budgets publics et le pouvoir d’achat des ménages.
Comme le montre la carte ci-dessous, la plupart des communes du Puy-de-Dôme peuvent être qualifiées d’espaces périurbains (ceintures urbaines) ou ruraux.
Même au sein des agglomérations (Clermont-Ferrand, Issoire, Riom, Thiers), de nombreuses communes sont des territoires de faible densité, dont l’accessibilité dépend très souvent de la voiture. Il existe encore peu d’alternatives réellement concurrentielles pour se rendre là où l’on veut, quand on le souhaite. Les réseaux de transports collectifs sont embryonnaires ou inexistants, les transports à la demande sont limités à certains publics et onéreux pour les collectivités, le covoiturage peine à s’imposer, quant aux modes décarbonés (vélo et marche), ils disposent rarement d’aménagements qualitatifs.
Pour autant, dans ces zones peu denses, où près d’un déplacement sur deux fait moins de 5 km, un véritable potentiel de report modal vers des modes alternatifs existe, passant notamment par un couplage de différentes solutions de mobilité.
DES SERVICES QUI SE STRUCTURENT POUR ÊTRE PLUS INCLUSIFS
Dans les zones de faible densité, l’enjeu prioritaire est d’assurer à chacun un droit à la mobilité. Or, même si la plupart des ménages sont équipés de voiture(s), dans les territoires périurbains jouxtant la métropole clermontoise, 5 à 10% des foyers n’en n’ont pas.
De plus, au sein d’un foyer doté de voiture(s), les différents membres en ont un accès différencié. Les personnes sans permis (mineurs ou adultes), ou qui ne sont pas aptes à conduire (personne âgée ou en situation de handicap) ont un accès bien moins fluide à la mobilité.
Ainsi, alors que dans les espaces de faible densité la mobilité est centrée autour de la voiture, encore synonyme de liberté et d’indépendance, une part non négligeable de la population est confrontée à des freins dans sa mobilité.
UNE OFFRE D’UTILITÉ SOCIALE, PORTÉE PAR LE MONDE ASSOCIATIF
Le développement de Transport d’Utilité Sociale (TUS) vise en particulier à donner accès à l’emploi, à la santé et aux achats, à des publics isolés ou en situation de précarité, souvent âgés. Pour répondre à cet enjeu, des initiatives associatives existent depuis plusieurs années.
Les plateformes de mobilités telles que Plateforme Mobilité 63, Solidar’Auto 43, et AFAPCA qui couvre le Cantal sont fédérées par le réseau Mob’In. En général, les aides à la mobilité sont centrées sur l’obtention du permis de conduire et/ou l’acquisition d’une voiture. Toutefois, des accompagnements individualisés offrent la possibilité à ces publics de satisfaire leurs besoins grâce au covoiturage, au vélo ou aux transports publics.
Par le contexte législatif (article L.3133-1 du code des transports, décret du 20 août 2019), ce type de service doit être assuré par des associations à but non lucratif. Comme le montre le schéma ci-dessous, celles-ci mettent en relation des personnes en situation de précarité (bénéficiaire de la couverture maladie universelle, du revenu de solidarité active…) vivant en zone rurale, avec des conducteurs bénévoles assurant des trajets jusqu’à 100 kilomètres du domicile.
Reposant sur le principe associatif, la pérennité du financement et du vivier de conducteurs bénévoles de ce modèle TUS reste menacée.
Dans ce cadre, le rôle de la collectivité en charge de l’organisation des mobilités (Communauté de communes ou Région) est d’accompagner l’organisation de ce type de services via des aides financières ou encore la mise à disposition d’un local.
LE DÉVELOPPEMENT DE SOLUTIONS PAR LES COMMUNAUTÉS DE COMMUNES, NOUVELLEMENT AUTORITÉS ORGANISATRICES DES MOBILITÉS
Des communes ou des communautés de communes ont pu, ici ou là, développer des services de mobilité. Mais la Loi d’Orientation des Mobilités impose désormais à tous les territoires d’agir sur l’organisation des déplacements des personnes et des marchandises.
En effet, la loi vise la suppression des « zones blanches de la mobilité », ces zones non couvertes par une autorité organisatrice de mobilité, en accordant de nouvelles compétences aux communautés de communes ou par substitution à la Région, lorsque la communauté de communes fait le choix de ne pas se saisir de cette compétence. Les actions peuvent concerner aussi bien le développement de solutions de transports publics, comme la promotion de la « voiture autrement » (autopartage / covoiturage) ou encore encourager l’usage du vélo.
Les personnes éloignées de la mobilité (vieillissantes, précaires…) sont à ce jour les bénéficiaires privilégiés des actions portées par les communautés de communes. Dans certains cas, le service proposé ne se limite pas à une seule solution telle que le transport à la demande. L’efficacité de ce service repose sur le développement d’un bouquet de mobilités permettant d’apporter des réponses variées et adaptées, touchant potentiellement un public plus large.
LE RETOUR D’EXPÉRIENCE DE MOBIL’ARGONNE DANS LE GRAND-EST
Dans le cadre du bouquet de services Mobil’Argonne développé dans le département des Ardennes, il s’agit à la fois de proposer des services :
– de mobilité solidaire : accès à la mobilité pour des personnes en insertion, transport à la demande, location de scooters ;
– de mobilité inversée : pour rapprocher les services de populations qui ont des difficultés à se déplacer ;
– visant au changement de comportement à travers des dispositifs d’animation autour du covoiturage, l’installation de bornes électriques, ou encore le déploiement de sites de télétravail.
Le retour d’expérience de Mobil’Argonne montre que les dispositifs à destination des publics éloignés de l’utilisation de la voiture connaissent un succès alors que les initiatives visant des publics plus larges, comme le covoiturage et le télétravail, n’ont pas toujours le succès escompté.
LE CONTEXTE ANTHROPOCÈNE APPELLE À REPENSER LES MOBILITÉS
L’indisponibilité des ressources fossiles et les effets subis des dérèglements climatique et écologique imposent d’amplifier les changements de comportement dans toutes nos mobilités. Dans les espaces de faible densité, l’enjeu est alors de sortir du « tout voiture » décliné sur l’unique mode de l’auto-solisme et de l’usage thermique.
La distance domicile-travail des personnes résidant dans des espaces de faible densité fait que la voiture gardera probablement, du moins dans l’avenir proche, un rôle structurant dans les mobilités pendulaires périphérie–centre. Mais il convient de repenser :
– son utilisation par des pratiques plus régulières du covoiturage ou un recours plus large aux transports collectifs (tramway, bus et car à haut niveau de service, train) ;
– sa motorisation via l’électrification du parc.
Une part des déplacements en zones de faible densité se réalise en proximité. En effet, se rendre à l’école, dans les commerces de base (boulangerie, supérette…) et à des activités culturelles et sportives reste à l’échelle de la commune. Les modes actifs, marche et vélo, pourraient donc être plus utilisés.
D’ailleurs, historiquement, le vélo était assez présent dans le mix mobilité des territoires peu denses. Mais sa place s’est réduite durant les trente dernières années. En effet, la part modale du vélo était de l’ordre de 3,5% dans les espaces ruraux en 1994, quand elle était autour de 2% dans les villes et même moins de 1% à Paris. Actuellement, le vélo représente 2% des déplacements dans les espaces ruraux… alors qu’il connaît une redynamisation dans les grandes villes (4% dans les villes de plus de 100 000 habitants ; près de 6% à Paris).
Demain, vélo mécanique, vélo à assistance électrique et marche pourraient assurer une part conséquente des déplacements de proximité. Les freins à lever sont la mauvaise qualité des cheminements piétons, l’absence d’aménagements cyclables et les difficultés pour les petites communes à se doter de l’ingénierie technique et financière permettant de construire une politique globale en faveur des modes actifs.
DEMAIN, LA FIN DU « TOUT VOITURE » DANS LES ESPACES PEU DENSES ?
Faut-il en conclure que l’avenir des déplacements dans les territoires peu denses reposera de moins en moins sur la voiture solo ? Les distances à parcourir, la faible densité de population ou la difficulté à changer de culture de mobilité pourraient constituer des obstacles majeurs à la transformation.
Les réponses actuelles s’adressent principalement aux personnes qui n’ont pas un accès simple à la voiture et qui peuvent être éloignées de la mobilité. Mais au regard des enjeux de climat et d’énergie, la montée en puissance d’alternatives est indispensable pour que tous les automobilistes puissent penser leur mobilité autrement.
Il existe une combinaison de différents outils et dispositifs à adapter en fonction du contexte et des besoins pour transformer les mobilités en zones peu denses. Les agences d’urbanisme de la région Auvergne-Rhône-Alpes accompagnent les collectivités et capitalisent les enseignements au travers de publications sur les mobilités innovantes. Le Cerema propose une boîte à outils des mobilités en zone peu dense. Ces différents supports recensent des expériences réussies, qui peuvent se dupliquer dans des territoires aux contextes économiques, géographiques et sociaux similaires. Les solutions sont diverses : de l’autopartage au transport régulier, en passant par le vélo. Ce dernier est une solution prometteuse dans les espaces périurbains et ruraux.
La crise énergétique que nous connaissons en 2022 va-t-elle favoriser la mobilité vélo dans les espaces de faible densité ? Ce fut le cas de la pandémie Covid-19, qui a replacé le cyclisme au cœur des mobilités urbaines.