La revue

Recycler les friches pour relever le défi de la sobriété foncière

Par Karine Enjolras - 03.03.2023

Symboles d’un passé industriel actif, de nombreuses friches sont présentes sur les territoires, urbains comme ruraux. Elles dessinent un paysage en mutation, en attente de nouvelles perspectives. Celles-ci semblent justement s’ouvrir depuis août 2021 avec la loi Climat & Résilience qui entraîne un changement de paradigme pour l’aménagement des territoires en fixant, à l’horizon 2030, un objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Les friches deviennent donc une véritable ressource, sous réserve que les collectivités dépassent les difficultés à projeter de nouvelles valeurs d’usage pour ces espaces délaissés qui constituent un potentiel foncier précieux, véritable terrain de jeu et d’expérimentation pour tester des projets urbains désormais contraints à une plus grande sobriété et fédérer une filière d’acteurs dédiée autour d’une stratégie commune.

Nous donnons ici un aperçu de l’accompagnement et des outils développés par l’Agence d’Urbanisme.

UNE DÉMARCHE DE PROJET TERRITORIAL

Des expérimentations sont en cours sur nos territoires et les premiers points de vigilance apparaissent. La reconversion des friches ne peut être réalisée au “coup par coup”, en fonction d’opportunités, au risque de produire une structure binaire qui d’un côté sanctuarise des espaces, tandis qu’elle en densifie d’autres. D’autant que les modèles économiques de développement urbain qui ont cours sont basés sur une échelle restreinte, un site ou une zone, et non à une échelle territoriale induite par le recyclage foncier.

En ce sens, l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central propose des méthodes et des outils d’aide à la décision pour accompagner décisionnaires et acteurs concernés, à se saisir de l’enjeu de la reconversion des friches dans une optique de transition écologique.

Sur de nombreux territoires, la reconversion des friches est abordée par le biais du développement économique, pour répondre à la perte d’attractivité des zones d’activités et leur mutation progressive vers l’activité commerciale et de services, activités par nature plus « volatiles », qui renforcent la déqualification de ces zones.

La réponse souvent apportée à cette problématique est l’extension urbaine. Du foncier agricole ou naturel est ainsi mis à disposition pour le développement économique. Ce modèle de développement par l’étalement urbain, qu’il soit par ailleurs économique ou résidentiel, repose sur des méthodes et des outils éprouvés, des modèles financiers sûrs, des documents de planification et d’urbanisme réglementaires favorables.

Sans partir d’une page blanche, la planification du recyclage foncier, avec la mobilisation des friches, reste aujourd’hui à expérimenter et à consolider afin de poser une méthode de recyclage du foncier, plus qu’un modèle de développement.

UN ACCOMPAGNEMENT DES TERRITOIRES

Les agences d’urbanisme de France et l’ADEME accompagnent désormais l’aménagement des territoires et leur inscription dans l’atteinte des objectifs de la transition écologique. En 2021, dans un contexte de sobriété foncière renforcée, l’ADEME, avec l’appui du réseau Urba4 rassemblant les quatre agences d’urbanisme de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a mis à l’honneur le thème de « La reconversion des friches économiques et leur contribution dans les stratégies de transition écologique ».
L’objectif ZAN de la loi Climat et Résilience rend en effet indispensable le recyclage du foncier issu des friches économiques vers les différentes fonctions nécessaires à une politique territoriale d’aménagement du territoire.

Pour économiser la “ressource sols” et atteindre les objectifs de transition écologique, il apparaît ainsi important que la dynamique de conversion des friches économiques s’accroisse et que les territoires s’emparent de ce sujet à fort enjeu.

La démarche proposée articule expertise technique et temps politique pour définir une stratégie territoriale de reconversion des friches. À partir d’un corpus de sites en friches repérés, les décisionnaires cheminent vers un choix de sites pilotes, qui seront des démonstrateurs de situations de remobilisation et de thématiques choisies (valorisation du patrimoine bâti, renaturation ou optimisation foncière). Le choix de ces sites pilotes définit une feuille de route pour le territoire, pour la mise en œuvre de sa stratégie territoriale.

L’étude de gisement des friches  fournit un état des lieux du potentiel du territoire, les éléments d’analyse et d’aide à la décision pour faciliter les choix de priorisation et de planification des interventions. Déroulé : AUCM

Cette démarche s’appuie sur deux outils de qualification des gisements friches : l’outil Mutabilité et l’outil TransiFriches.

L’OUTIL MUTABILITÉ

La reconversion de sites en friches est un processus complexe, souvent long, qui mobilise de multiples acteurs. Mieux qualifier les friches, c’est enclencher un projet en lien avec le territoire : faire d’une opportunité localisée un potentiel pour une stratégie territoriale.

Au-delà d’un inventaire quantitatif et cartographique, l’outil Mutabilité interroge les caractéristiques des espaces vacants. La qualification des sites se construit selon les grandes thématiques de l’aménagement déclinées en plusieurs critères, par exemple : l’accessibilité et la desserte en transport en commun, leur situation en secteur de déprise ou d’attractivité. On obtient ainsi un classement du potentiel de mutation des friches.

L’OUTIL TRANSIFRICHES

Les opportunités de recyclage foncier que représentent les friches, nécessitent la définition d’une stratégie territoriale pour un développement raisonné et l’atteinte des objectifs du Zéro Artificialisation Nette (ZAN).

Le potentiel de contribution à la transition écologique des friches, appréhendé par « TransiFriches », qualifie et hiérarchise les sites en vue de la définition d’une stratégie équilibrée entre développement et renaturation, et une possible projection de scénarios, construite selon les vocations préférentielles définies pour chacun des sites.

A titre d’exemple, le schéma ci-dessous présente les différents profils établis avec les outils Mutabilité et TransiFriches, pour le gisement stratégique de friches de Thiers Dore et Montagne (TDM) et la répartition des friches en fonction de leurs profils.

Les résultats obtenus avec les outils permettent une hiérarchisation des sites et leur qualification / positionnement les uns par rapport aux autres. Un travail d’analyse statistique est alors conduit afin de regrouper les sites possédant des caractéristiques similaires. Pour les friches de TDM, 6 profils de reconversion ont été définis :

  • Reconversion ouverte : tout type de projet peut être envisagé, y compris habitat, équipements ou création d’espaces naturels ;
  • Reconversion complexe et coûteuse à la fois techniquement et au regard de la division des parcelles ;
  • Reconversion peu technique mais coûteuse : pas de frein réglementaire ou environnemental, le bâti en dur existant est mobilisable en l’état mais opération coûteuse à cause de la morphologie du terrain (en pente, non viabilisé) et dépollution à prévoir ;
  • Reconversion économique très favorable : peut accueillir aisément tout type d’activité économique (terrain plat, bâti en dur peu dégradé mobilisable sans travaux important, pas de bâti léger type hangar de tôles, sans contrainte réglementaire ni interdiction dûes à des servitudes telles que réseau de gaz ou pylône électrique, …) ;
  • Reconversion économique favorable : peut accueillir tout type d’activité économique mais contraint par des règlements, présence de servitudes et de bâti léger difficile à convertir ;

Reconversion économique stratégique : susceptible de répondre le mieux aux besoins des entreprises d’un point de vue à la fois économique et technique, apporterait une image attractive au territoire et une visibilité aux entreprises.

Sur ce même gisement, 5 profils de contribution aux transitions énergétique et  écologique ont été définis :

  • Contribution optimisée pour le développement agro-environnemental : peut favorablement accueillir des éco-activités produisant des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources, telles qu’une exploitation agricole en permaculture ou un projet de renaturation (des abords d’un cours d’eau, …) ;
  • Contribution optimisée pour le développement économique et les énergies renouvelables : en plus d’être favorable à l’activité économique, le site en friche est apte à accueillir des installations de production d’énergie (parc solaire, méthaniseur, …) ;
  • Contribution optimisée pour le développement urbain ou économique : peut participer par exemple à la lutte contre les îlots de chaleur, à préserver la biodiversité, ou encore à une bonne gestion de l’eau. Ce peut être des éco-quartiers  ;
  • Contribution moyenne à faible aux transitions : des travaux importants seraient à mener pour rendre ce gisement favorable aux transitions énergétique et écologique.

Résultats issus de l’analyse à l’aide des outils Mutabilité et TransiFriches, appliqués au, territoire Thiers Dore et Montagne, illustration : AUCM

Il est ainsi apparu que la majorité des friches (21) peuvent muter favorablement pour de l’activité économique, tout en contribuant aux transitions énergétique et écologique pour 10 de ces sites, et de manière seulement modérée pour 6 d’entre eux.

Bâtir une stratégie territoriale reviendra donc à chercher un équilibre entre dynamique économique, utilisation de l’existant et contribution aux transitions énergétique et écologique. Autrement dit, une stratégie qui fait un pas vers l’objectif de Zéro Artificialisation Nette à atteindre d’ici 2050.

LIMITES URBAINES STRICTES CONTRE ÉTALEMENT URBAIN ?

La mise en œuvre du Zéro Artificialisation Nette est chiffrée et inscrite dans un calendrier national, régional et local. Des dispositions réglementaires dérogatoires sont désormais inscrites au code de l’urbanisme pour favoriser la mobilisation du foncier artificialisé et du bâti existant. Des dispositions financières, Plan France Relance puis Fonds Vert, sont actives, pour amorcer de nouvelles pratiques urbaines. Se saisir de cette problématique est pour les territoires un défi à relever, une manière de repenser leur développement, mais aussi et surtout, d’appréhender ce qui fait ressources sur les territoires, tout en conduisant une transition écologique. Alors, quelle lecture et quel regard déployer pour s’affranchir des modèles obsolètes extensifs ? Faut-il entrer dans une opposition entre étalement urbain et définition de limites urbaines strictes ? Ou bien s’interroger sur la mise en œuvre d’un écosystème urbain résilient ?