Hélène Mainet et Jean-Charles Edouard sont professeurs en géographie et en aménagement,
à l’UMR Territoires de l’Université Clermont Auvergne.
[1] Programme Popsu Métropoles et publications associées : https://popsu.archi.fr/programme/popsu-metropoles
[2] FNAU, « Métroscope : les 22 métropoles françaises, analyses chiffrées et focus sur la qualité de vie », mai 2020 : https://www.fnau.org/fr/publication/metroscope-2020
[3] Cerescu Gheorghe, Bluteau Pauline, Ayache Lola, « Classement des villes étudiantes 2020-2021 : les grandes et moyennes villes concurrencent les métropoles », L’Etudiant, https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/classement-des-villes-etudiantes-2020-2021-les-grandes-et-moyennes-villes-de-serieuses-concurrentes.html. Clermont-Ferrand a atteint la 13e place de ce classement en 2022-2023.
[4] Arthur Loyd, « Baromètre de l’attractivité et du dynamisme des métropoles françaises », Villesdefrance.fr, 2020.
Les enjeux d’attractivité pour une métropole intermédiaire : le prisme clermontois
Le point de départ de cette réflexion mené dans le cadre des travaux de POPSU Métropoles [1] repose sur des questions des chercheurs et des préoccupations des élus et acteurs de la métropole clermontoise. Si Clermont-Ferrand perd en 2016, son statut de capitale régionale dans les contours géographiques et politiques de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, la communauté urbaine – 21 communes rassemblant 290 000 habitants sur 300 kilomètres carrés – obtient conjointement le statut de métropole en 2017. Ce passage d’un état à un autre constitue un moment charnière dont il semblait important de mesurer les conséquences en termes d’image, de gouvernance, de projets. L’objectif était de se saisir de ce moment pour analyser les formes de l’attractivité clermontoise et son évolution récente, ainsi que son positionnement par rapport à d’autres métropoles et aires urbaines dites « intermédiaires ».
La notion d’attractivité nourrit des débats anciens, remis à l’agenda politique par le contexte de crise sanitaire et de crise climatique qui interroge les modèles de développement. Avec une mondialisation accrue et une métropolisation croissante, la mobilité des personnes, des capitaux et des biens s’est développée, renforçant la mise en relation – qui peut prendre la forme d’une mise en concurrence – des territoires. Quelle que soit l’échelle géographique considérée, les acteurs des territoires sont incités à définir leur stratégie de développement dans un contexte où l’installation des personnes et des moyens de production n’est jamais acquise.
L’attractivité est la résultante de deux approches. La première est d’ordre quantitatif et traite la question sous l’angle de l’attraction, autrement dit des flux de personnes ou de capitaux attirés par un territoire. La seconde approche est qualitative et aborde l’attractivité sous le prisme de l’attrait ou de l’attirance pour le territoire. Dans cette optique, il s’agit de comprendre ce qui est de nature à attirer des personnes ou des capitaux sur un territoire. Dans un contexte de mobilités croissantes et de demande sociale pour un meilleur cadre de vie, les enjeux de qualité de vie sont de plus en plus mis en avant dans les facteurs d’attractivité par les décideurs locaux. Un nouveau paradigme d’attractivité se met en place, non plus fondé exclusivement sur des données quantitatives mais accordant une place importante aux aspects qualitatifs. Le « bien » (bien-vivre, bien-être, bien-vieillir, bien-travailler, etc.) s’ajoute au « plus » et devient un argument de communication et de positionnement de nombreux territoires.
Dans le cas de Clermont-Ferrand, le temps long, celui de la « capitale des Arvernes », inscrit le territoire dans une géographie profonde qui lui donne une base relationnelle ancienne et solide. Les évolutions politico-administratives récentes ne modifient pas fondamentalement le socle de l’influence métropolitaine clermontoise, qui polarise bien au-delà de l’ancienne région Auvergne. Pour autant, ce rayonnement continu n’est pas synonyme de stabilité. Les choses changent, même de manière discrète et lente, et l’attractivité se transforme en attrait, en recherche de qualité de vie.
Les caractéristiques de l’attractivité clermontoise : une image à renforcer, un territoire à inventer
Une métropole discrète mais solide
La trajectoire métropolitaine clermontoise s’ancre dans des bases solides. Aire de polarisation des services hospitaliers et zone de rayonnement des établissements universitaires contribuent à dessiner la carte actuelle de l’attractivité clermontoise à l’échelle nationale. La métropole attire habitants, patients, étudiants, sur une large aire spatiale incluant l’ancienne région Auvergne et débordant largement sur une partie du Massif central (comme le montre les zones de polarisation du centre hospitalier ou de l’université et des grandes écoles). Si les logiques de stabilité sont évidentes sur la durée, elles témoignent de l’ancrage territorial qui conforte la métropole clermontoise au sein de son système territorial.
Les questions d’images : entre stéréotypes et changement d’échelles
Il y a eu un basculement dans l’idée que les acteurs se font de leur territoire : à la fois un changement d’image et un changement d’échelle. Pendant longtemps, les Clermontois ont eu une vision un peu étriquée, une forme d’auto-assignation à un déficit de légitimité, une crainte de perdre des habitants et des activités économiques. Les conceptions, parfois stéréotypées et fortement ancrées dans les imaginaires, de la capitale provinciale reculée et rurale, pour ne pas dire agricole, à « Michelin-Ville », masquent la réalité d’un tissu économique diversifié et d’une métropole que l’on peut décrire comme dynamique et accueillante. Clermont est dotée des équipements supérieurs mais elle reste accessible, au sens du temps et du coût : les prix du logement restent modérés et les étudiants peuvent se loger sans trop de difficultés ; les espaces productifs et récréatifs sont proches… Clermont Auvergne Métropole, c’est une ville, une agglomération et des espaces naturels qui les bordent et qui constituent un capital environnemental. Elle bénéficie finalement des avantages d’une métropole sans en avoir les externalités négatives.
Depuis quelques années, palmarès et baromètres divers montrent le changement d’image qui est en train de s’opérer, étayé par des indicateurs démographiques et économiques. Clermont-Ferrand fait partie des métropoles nationales où le nombre de brevets déposés par les cadres des fonctions métropolitaines est le plus élevé, devant Saint-Étienne, Lyon et Toulouse [2]. Dans un autre registre, la métropole poursuit sa progression dans le palmarès des villes étudiantes, atteignant la 15e place en 2020-2021 grâce à la diversité de ses formations, à sa qualité de vie reconnue et à l’accessibilité financière [3]. Récemment, le réseau de conseil en immobilier d’entreprise Arthur Loyd a publié un « Baromètre de l’attractivité et du dynamisme des métropoles françaises » qui place Clermont- Ferrand en tête des métropoles intermédiaires françaises (200 000 à 500 000 habitants) les plus attractives et les plus dynamiques [4].
Le positionnement de Clermont-Ferrand dans cet espace régional recomposé est celui d’une singularisation et d’un ancrage volontaire au Massif central. La démarche actuelle, portée par la ville et la métropole, de candidature comme capitale européenne de la culture pour 2028 est emblématique de ce positionnement territorial qui associe métropole et territoires voisins, attraction et attrait, affirmation d’une métropole culturelle et territoriale. La candidature « Clermont-Ferrand-Massif central 2028 » porte en effet explicitement l’ambition d’associer les territoires du Massif central à une dynamique culturelle et territoriale élargie et partagée. De plus, cette candidature témoigne de la volonté des élus de créer un effet sur le territoire, sur son attrait et son attractivité, comme un geste politique disruptif dont la finalité est aussi de faire connaître et reconnaître les atouts métropolitains de Clermont-Ferrand.
La mise en œuvre de l’attractivité pour son territoire et avec les voisins
Dans le plan local d’urbanisme de la métropole, la place de l’attractivité est désormais explicite et l’ambition qualitative. Ce document affiche clairement l’ambition d’une métropole « attractive », mais également, et surtout, « attrayante ». Le terme même de « qualité de vie » associé à celui d’attractivité confirme cette volonté. Les mots clés associés à la plupart des actions envisagées vont dans le sens du qualitatif avec l’amélioration de l’existant et de la fonctionnalité des équipements, voire de leur renforcement. Plus encore, l’ensemble du document de 2021, fait la part belle à cette dimension « qualité de vie » présente dans de nombreux objectifs non dédiés à l’attractivité mais qui pourront favoriser l’attrait du territoire. Nous retrouvons ainsi les termes de « lieu d’échange et de partage », « bien commun », « bien-être », « qualité de l’habitat ». Si nombre de métropoles ou villes intermédiaires optent pour ce registre sémantique, les actions initiées par les élus clermontois permettent de constater une volonté de repositionnement, plus clair et plus offensif de leur part.
Un autre aspect essentiel concerne le positionnement des territoires voisins, dans leur rapport à l’attractivité. Globalement, les thématiques liées au caractère « attrayant » de ces territoires sont très présentes. Le cadre de vie, la qualité de vie, les atouts paysagers, patrimoniaux et culturels reviennent souvent, dans un contexte de prise en compte des fortes interrelations territoriales via les mobilités pendulaires. Les thématiques touristiques sont également souvent formulées en lien avec les autres territoires, dont la métropole, avec l’idée de coordonner une offre élargie pour renforcer l’attractivité exogène (diversité des offres entre tourisme de montagne, de nature, patrimonial et urbain). Les enjeux de prise en compte globale des intérêts territoriaux sont donc importants et parfois formalisés à travers des objectifs d’accompagnement des dynamiques. « Au lieu de “subir” l’influence des grands territoires limitrophes, il s’agit plutôt d’accompagner et de tirer profit des “voisins” et de développer un travail en réseau ». Cet objectif stratégique illustre bien les actions à mettre en œuvre ou à renforcer pour coordonner davantage les nécessaires coopérations interterritoriales. L’importance des thématiques déjà fortement intégrées par des schémas et des acteurs de coopération (transports, tourisme) montre le rôle des espaces et des instances de dialogue et de projet pour favoriser une culture de projet commun, à différentes échelles comme le Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise (SMTC-AC), l’Agence d’urbanisme et de développement Clermont Métropole ou encore le Pôle métropolitain Clermont-Vichy Auvergne qui rassemble 11 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à l’échelle du grand bassin de vie qui s’étend de Vichy à Brioude.
Les enseignements de l’exemple clermontois
La métropole clermontoise, au-delà de ses caractéristiques propres, illustre les évolutions récentes et les enjeux actuels des transitions métropolitaines, en particulier pour les métropoles intermédiaires, autour de thèmes clés que sont le basculement des fondements de l’attractivité, les nécessaires coopérations interterritoriales ou l’importance du récit territorial. À travers l’exemple clermontois, ce sont bien les problématiques actuelles de l’attractivité des métropoles qui sont visibles, entre logiques exogènes et endogènes, injonctions de compétitivité et enjeux de la qualité et d’inclusion. Leur rôle d’entraînement est variable, de même que les effets de redistribution sur les territoires voisins, et dépendant des caractéristiques productives et de la nature des liens tissés avec les territoires environnants.
L’exemple clermontois est représentatif des évolutions récentes de la prise en compte de la notion d’attractivité. Aux approches classiques et quantitatives, largement basées sur des critères mesurables et des objectifs exogènes (faire venir des entreprises, des emplois, des habitants), se combinent de plus en plus des approches basées sur l’attrait, des dimensions qualitatives et sur une part non mesurable liée à l’image. Les actions publiques intègrent ces différentes dimensions tant pour attirer que pour retenir. Clermont-Ferrand offre l’exemple d’une métropole qui pendant longtemps n’a pas cherché à être attractive, puis a cherché à l’être, et qui souhaite désormais être attirante en misant sur les aspects qualitatifs plus que quantitatifs. Rester abordable et accessible pour tous est un enjeu politique dont les élus doivent se saisir. La prise en compte des transitions énergétique et écologique est également essentielle, tant la question de l’utilisation des ressources (foncières, paysagères) ou de l’accès à l’eau sont importantes pour des démarches qualitatives.
Dans un contexte règlementaire qui adjoint une mission de responsabilité des métropoles vis-à-vis des territoires qui les entourent, la question de la mise en œuvre de ces coopérations se pose. Elles doivent nécessairement être prises en compte dans les objectifs stratégiques des politiques métropolitaines et dans celles des territoires voisins. La création de Clermont Auvergne Métropole est récente (2017), son périmètre est restreint (21 communes) et ne correspond pas, loin s’en faut, à son aire fonctionnelle du quotidien, sans parler de son aire de polarisation, via ses équipements et services, qui couvre un vaste espace régional (ancienne région Auvergne) qui déborde largement sur une grande partie du Massif central. Au-delà de l’effet institutionnel et des compétences, l’enjeu est celui d’une véritable gouvernance métropolitaine, associant la métropole et les territoires voisins, celui d’une « interterritorialité » qui placent les coopérations croisées, voulues et assumées, les projets, au cœur de synergies métropolitaines. Celles-ci restent encore largement à construire.
Et Après ?
L’étape suivante, c’est de penser au-delà de l’attractivité, d’inventer un autre imaginaire politique, une invitation à faire les choses autrement, pour Clermont Auvergne Métropole et pour les autres. Quelle métropole désire-t-on pour se projeter dans un xxie siècle plus incertain, avec des crises politiques et environnementales fortes ?