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1/En médecine, ensemble des renseignements fournis au médecin par le
malade sur l’histoire d’une maladie ou les circonstances qui l’ont précédée.

2/Guide ISadOrA pour l’intégration de la santé dans les opérations
d’aménagement, mars 2020.

3/Réseau régional regroupant les quatre agences d’urbanisme d’Auvergne-
Rhône-Alpes : Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble et Saint-Étienne.

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Article paru dans le Hors-série Urbanisme n°79, reproduit avec l’aimable autorisation de la revue Urbanisme.

Consulter le sommaire et commander la revue :
https://aucm.fr/publication/hors-serie-urbanisme-n79/

Image d’illustration : La Place Brosson, Châtel-Guyon © D. R.

Ici-Même [Gr.] est un groupe d’artistes dont la démarche est ancrée
dans l’espace urbain, envisagé comme lieu et objet d’expérimentation.
Entremêlant sons, images, installations, voix, gestes, bricolage et technologies
de communication – parfois dans des dispositifs de longue
durée et de géographie étendue –, la pratique artistique d’Ici-Même
est protéiforme et transversale. www.icimeme.org

Ausculter la ville comme un médecin

Par Sandrine Babonneau, Mathieu Benoit, Olga Braoudakis et Amélie Leroux - 19.08.2024

L’exploration «Territoires en cure : comment la culture du soin peut infuser l’urbanisme?» a emmené les participants dans la ville thermale de Châtel-Guyon, pour une balade sonore et sensorielle, afin d’appréhender la manière dont notre environnement influe sur notre santé.

Dans un contexte de changement global de nos milieux de vie face aux enjeux climatiques (pluies intenses, épisodes caniculaires), mais également de développement des maladies chroniques et d’apparition des zoonoses (maladies infectieuses qui passent de l’animal à l’homme) à l’échelle mondiale, la situation nous oblige à repenser la manière dont notre environnement, nos espaces de vie influent sur notre santé. Mais comment faire ? Quels sont nos besoins dans l’espace urbain pour rester en bonne santé, qu’elle soit physique, mentale ou sociale ? C’est à Châtel-Guyon, ville thermale et lieu de santé par excellence, que nous avons lancé nos procédures de diagnostic, pour appréhender les différentes thérapeutiques favorisant un urbanisme favorable à la santé (UFS).

Le maire de Châtel-Guyon, Frédéric Bonnichon, et son équipe, dont Danielle Faure-Imbert, première adjointe, nous ont donné de premiers éléments. Comme pour tout questionnaire médical ont été abordés les habitudes de vie, les antécédents médicaux, urbains, les traitements mis en place, et l’histoire du coeur de ville, récemment repensé autour de la place Brosson, espace central de Châtel-Guyon. Le traitement appliqué l’a libéré de la voiture, créant un espace de rencontre, de festivités et de flânerie, avec une attention particulière au mobilier urbain : une fontaine sèche et des gradins, pour admirer le patrimoine thermal et profiter des animations. Mais, pour nous, aspirants médecins de la ville, cette anamnèse [1] n’est pas suffisante pour établir un diagnostic : une auscultation est nécessaire. C’est ainsi, qu’accompagnés de la troupe Ici-Même (lire ci-contre), nous avons marché, éprouvé nos sens – parfois les yeux fermés, parfois les oreilles grandes ouvertes – pour inspecter les chemins de forêt, écouter le bruit de la nature et de la ville, palper l’humeur des habitants et examiner le bourg de Châtel. Afin de dresser le bilan de cet examen physique, nous avons repris le tracé de nos cheminements, à la main et à la voix.

Au regard de nos incertitudes, une coexpertise semblait nécessaire. Aussi, avons-nous réalisé des examens complémentaires par petits groupes, chacun apportant son regard propre : géographe, urbaniste, cartographe, écologue, etc., ont ainsi pu amender le diagnostic. Afin d’obtenir des radiographies précises de la situation, nous nous sommes mis dans la peau de différents usagers.

Dans les antécédents de notre patient « ville », les facteurs de risques pour la santé ont été identifiés : omniprésence de la voiture, topographie marquée rendant difficile la mobilité, espaces publics très imperméables, peu d’espaces de rencontre et peu de cheminements actifs entre le centre-bourg, les équipements ou la forêt. Puis, ce fut au tour des facteurs de protection mis en place au travers des aménagements récents : meilleure lecture des paysages depuis l’espace public, création d’un espace de rencontre qui invite à la marche en lien avec le parc, mise en place de mobilier urbain propice au repos et à l’échange. Ces imageries, sous forme de Post-it® collés sur les photos aériennes de la ville, ont permis d’envisager des actions de prévention complémentaires, afin d’éviter le développement de nouveaux maux : augmenter la végétalisation des espaces pour amplifier le rafraîchissement de l’air en été, aménager des liaisons piétonnes entre le bourg, les espaces pavillonnaires, la forêt, dans une logique intergénérationnelle, et augmenter le nombre d’équipements liés à l’hygiène. Cette coanalyse fait écho aux 15 déterminants de la santé identifiés par les travaux de Barton et al. (2006) et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) dans le guide ISadOrA [2] et sur lesquels l’aménagement peut avoir un impact, qu’il soit positif ou négatif. Cette auscultation de la ville nous a permis de comprendre comment, en tant qu’acteur de l’aménagement, nous avons un rôle à jouer sur les déterminants de la santé, et comment envisager des modèles d’amplification permettant de rendre la ville plus favorable à la santé dans nos domaines d’expertises respectifs.

Au chevet des territoires ?

Le choix souvent fait, notamment dans une volonté de lutter contre les inégalités de santé, est de s’intéresser aux plus fragiles. C’est l’exemple qui nous a été présenté par Vincent Challet, chargé de mission à l’Union départementale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale du Puy-de-Dôme (UDCCAS 63), qui a mené des réunions au sein de son département, en juin 2023. Ainsi, chaque territoire a pu exprimer ses spécificités au regard des enjeux de santé : désertification médicale, inégalité de santé, devenir des établissements d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad), précarité en milieu rural, santé mentale, UFS, etc. Ces temps d’échanges ont permis de sensibiliser les acteurs à la notion de déterminants de la santé et d’aboutir à une restitution et à un livret mettant en valeur les actions exemplaires du territoire. Si on se penche sur la question de la planification urbaine, les élus de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), accompagnés par l’agence de Dunkerque (Agur), ont choisi la santé et le climat comme fil rouge du plan local d’urbanisme intercommunal, habitat et déplacements (PLUi-HD). Sa spécificité : vous ne trouverez pas d’OAP santé, car les élus ont souhaité que la santé soit transversale à l’ensemble du document. C’est depuis 2014 que la CUD s’intéresse à l’approche de l’UFS. Elle est venue infuser de nombreuses politiques publiques comme celle de la mobilité, par la mise en place du réseau de bus gratuit. S’il était destiné initialement à favoriser le pouvoir d’achat, il donne aujourd’hui à chacun la possibilité « de se rendre à l’endroit où on a envie, par ses propres moyens », comme le rappelle Jean-François Montagne, vice-président à la CUD en charge de la transition écologique et de la résilience. Mais c’est aussi le cas du plan vélo ou du plan marche, en cours de réalisation ; autant de mesures agissant sur l’autonomie des individus et leur santé physique. Au-delà des politiques d’aménagement, les politiques de santé se sont également nourries des enjeux urbains, avec un contrat local de santé (CLS) qui porte un axe santé-environnement. « On a pris la question de la santé sous toutes ses formes », indique Delphine Castelli, élue déléguée à la santé, et, aujourd’hui, sur le territoire dunkerquois, l’urbanisme apparaît comme un outil de prévention en la matière.

Du côté du projet urbain, le réseau Urba 4 [3], soutenu par l’agence régionale de santé (ARS) et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), mène depuis quatre ans des expérimentations dans le cadre du plan régional santé-environnement (PRSE) n° 3. L’agence de Grenoble (Aurg) a ainsi mis en oeuvre deux démarches d’UFS pour des collectivités périurbaines, inscrites dans le cadre d’une opération de revitalisation de territoire : La Mure et Vizille. Ces travaux ont permis à l’équipe pluridisciplinaire mobilisée de partager, avec les élus et les services, le fait que l’urbanisme est un outil majeur de prévention en santé mentale et physique dans un contexte de changement climatique et de transition démographique. L’organisation de diagnostic en marchant avec des personnes âgées, des mères et des enfants de la commune a permis de faire émerger les besoins de ces publics vulnérables en matière de lien social, d’apaisement des espaces publics, de confortement des services, d’habitat adapté. Au-delà de l’identification de ces aspirations, ces démarches d’UFS ont permis, d’une part, de partager la nécessité de décloisonner les politiques publiques en matière d’urbanisme et de soins et, d’autre part, d’identifier, sur chacun des centres anciens, les leviers et les opportunités spatiales afin d’améliorer l’habitabilité de certains îlots. En conclusion de la journée, les participants ont relevé l’intérêt de développer une culture commune autour des déterminants de la santé, pour mettre en oeuvre des actions concrètes qui amplifient les ressources des territoires pour le soin et la prévention.  Il s’agit notamment de mobiliser les agences en développant les partenariats avec les ARS et en prenant appui sur la création d’un club santé au sein de la Fnau, comme l’ont souligné Françoise Schaetzel, présidente de l’agence de Strasbourg (Adeus) et viceprésidente de la Fnau en charge de la santé, et Franck Mérelle, directeur de l’agence de Dunkerque (Agur), qui ont tous deux participé à cette exploration.