La revue

Quelles ruptures dans les pratiques de mobilité au travers des premiers enseignements de la Grande Enquête Mobilité 2022 ? 

Par Sébastien Reilles, Chargé d'études Mobilités - 24.09.2025

Ces dernières années se caractérisent par d’importants bouleversements dans la sphère des mobilités (émergence de la mobilité électrique, déploiement des vélos en libre-service, intensification des livraisons, hausse des prix des carburants…) et plus largement dans la société (crise sanitaire du COVID 19, accélération de la crise climatique, période de forte inflation…). Par une enquête conduite à l’automne 2022, les connaissances en termes de demandes de mobilité des habitants de l’aire d’attraction clermontoise ont été mises à jour.

En termes de comportements de mobilité, alors que la tendance observée localement depuis le début des années 1990 portait sur une croissance continue de la mobilité des personnes, associée à un plus grand usage de la voiture, il est fait le constat qu’au cours de la dernière décennie, on assiste à deux ruptures majeures : la baisse du nombre de déplacements (env. 15 % de déplacements en moins) et le moindre recours à la voiture (- 5 points de parts modales pour la voiture). Ces évolutions ne sont pas propres au territoire clermontois puisque toutes les grandes agglomérations françaises et leurs zones d’attraction connaissent ce phénomène depuis le milieu des années 2010.


La Grande Enquête Mobilité 2022 : périmètre, objet, nombre de personnes enquêtées

La Grande Enquête Mobilité 2022 a fait l’objet d’un projet collectif fédérant 11 EPCI, afin de connaître les pratiques de mobilité de près de 600 000 habitants répartis dans 285 communes. Cette enquête s’appuie sur la méthode définie par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), sous le terme d’Enquête Mobilité Certifiée Cerema (EMC²).

D’octobre 2022 à janvier 2023, près de 10 000 personnes ont répondu à cette enquête, qui permet de décrire l’ensemble des déplacements réalisés.

Cette enquête mesure les déplacements des personnes qui se définissent ainsi : mouvement d’une personne, effectué pour un certain motif (travail, études, achats…), sur une voie publique entre une origine et une destination à l’aide d’un ou de plusieurs modes de transport. Par exemple, aller de la périphérie thiernoise au cœur de Clermont-Ferrand pour le travail en utilisant la voiture, puis le train, puis la marche, compte pour un seul déplacement (en train, car c’est le mode majeur utilisé pour ce déplacement). Le fait d’aller acheter du pain depuis son domicile, puis de la presse dans un autre commerce et revenir chez soit amène à réaliser au total trois déplacements. A noter que la notion de distance n’intervient pas dans la définition du déplacement.  


La baisse du nombre de déplacements

Alors que les différentes enquêtes réalisées autour de Clermont-Ferrand en 1992, 2003 et 2012 mettaient en évidence une augmentation régulière du nombre de déplacements réalisés par jour et par personne, l’enquête de 2022 se distingue par une baisse de la mobilité des personnes. En effet, à l’échelle du périmètre du Grand Clermont (SCoT) le nombre de déplacements par jour et par personne passe de 4,15 à 3,38. Si l’augmentation des prix des carburants (pour le diesel le prix moyen annuel passe de 1,41 € / litre en 2012 à 1,87 € en 2022) ou le développement du télétravail apparaissent comme des facteurs explicatifs « naturels », les raisons sont plus diverses : vieillissement de la population, développement du e-commerce, nouvelles pratiques de mobilité (moins de déplacements le temps de midi), voir des signes de moindre sociabilité de certaines catégories (la baisse de mobilité des étudiants le jeudi est de l’ordre de –40 %). Ainsi, c’est une combinaison de facteurs, qui amène au constat de moindres mobilités des personnes. De plus, cette baisse n’est pas uniforme territorialement (elle concerne surtout les habitants du Grand Clermont qui se déplaçaient plus que leurs homologues résidants dans des territoires plus éloignés) ni socialement (la baisse concerne surtout les catégories cadre / profession intellectuelle supérieure et profession intermédiaire).

Concernant les kilomètres parcourus, on assiste également à une baisse, même si elle est moins marquée. En effet, alors que le nombre de déplacements décroit de 16 %, celui des kilomètres parcourus par les habitants du Grand Clermont ne recule que de 11 %. Mais, l’enquête révèle aussi que l’éloignement est croissant entre le domicile et le travail passant de 12,6 km à 13,4 km (soit + 6,3 %). Ainsi, il apparait d’une part que les habitants rationnalisent leur programme de mobilité (faire moins de déplacements, aller moins loin chercher un service), et d’autre part qu’ils ne sont pas en capacité à rapprocher lieu d’habitat et lieu de travail. Il existe deux évolutions territoriales à l’œuvre : une concentration de l’emploi dans certaines communes et en premier lieu dans la Métropole clermontoise / une diffusion de la périurbanisation dans un arc allant de Combronde à Billom.

La baisse de l’usage de la voiture

La deuxième rupture concerne l’usage de la voiture. Si au fil des enquêtes de 1992 à 2012, la part modale de la voiture était stable (environ 63 %), l’enquête de 2022 met en évidence un recul de l’usage de la voiture qui ne pèse « plus que » 60% des déplacements… mais 80 % des kilomètres parcourus et 90 % des émissions de CO².

Ainsi la voiture reste au centre des mobilités des habitants de l’aire d’influence de Clermont-Ferrand, notamment pour aller travailler, accompagner (les enfants) ou faire des courses. De plus, le nombre de voitures en circulation tend à croitre du fait de l’augmentation de la population même si l’équipement moyen par ménage est en léger recul. Les motorisations non thermiques se développent mais restent marginales : seuls 5 % des véhicules ne sont pas essence ou diesel et la motorisation électrique, la plus vertueuse sur le plan environnemental, ne concerne au final qu’une voiture sur cent. Par ailleurs, aucune augmentation de l’occupation moyenne des voitures n’est observée, avec toujours aux environs de1,35 personnes par voiture pour l’ensemble des motifs et de 1,03 personnes pour les déplacements domicile-travail. Ainsi, les précédentes tentatives d’augmentation de l’occupation des voitures via des politiques publiques n’ont pas produits d’effets pérennes dans le temps.

Mais cette baisse de l’usage de la voiture (- 225 000 déplacements ; part modale passant de 64 à 59 % à périmètre comparable) constitue un signal pour aller vers une nouvelle approche des mobilités, avec une plus grande appétence pour les modes actifs (marche et vélo), alors que l’usage des transports collectifs stagne. La marche a gagné trois points passant de 26 à 29 % des déplacements et le vélo voit sa part doubler passant de 1 à 2 % des déplacements. Toutefois, ces modes restent utilisés principalement pour parcourir des petites distances (en moyenne pas plus d’un kilomètre pour la marche, trois pour le vélo). Dès lors, ils n’assurent qu’une faible part des kilomètres parcourus quotidiennement par les habitants de l’aire d’influence clermontoise. Le regain du vélo s’observe principalement pour les habitants de la métropole clermontoise. Il s’explique par un plus grand maillage en aménagement cyclable, la mise à disposition de vélos en libre-service et la démocratisation du vélo à assistance électrique.

Ainsi, il ressort plutôt une rationalisation des déplacements en voiture : Les déplacements les plus courts, comme par exemple se rendre à l’école ou faire des achats de proximité, sont plus souvent réalisés à pied ou à vélo que par le passé, mais l’usage de la voiture reste central dès que la distance à parcourir dépasse les deux kilomètres.

L’évolution du processus de métropolisation

Du fait d’un grand nombre d’habitants, d’emplois et de services au sein de Clermont Auvergne Métropole, ce territoire concentre une grande partie de la mobilité locale. En effet, près de 900 000 déplacements recensés dans la Grande Enquête Mobilité 2022 se réalisent en son sein. Les déplacements réalisés dans le reste des 10 autres EPCI ou en lien entre les EPCI périphériques et Clermont Auvergne Métropole représentent environ 780 000 déplacements.

L’analyse des déplacements dans le temps, entre les enquêtes de 2012 et de 2022, permet de cerner les évolutions dans la géographie des flux de mobilité. Cette analyse a été réalisée à périmètre constant (le Grand Clermont – soit les EPCI de Clermont Auvergne Métropole, Riom Limagne et Volcans, Mond’Arverne, Billom communauté).

Pour les habitants du Grand Clermont, il ressort que :

  • Les déplacements internes à chaque EPCI génèrent les plus gros volumes de déplacements. Néanmoins, ceux-ci sont moins nombreux en 2022 qu’en 2012 et plus particulièrement au sein de Clermont Auvergne Métropole. En effet, près de 173 000 déplacements quotidiens s’effectuent en moins au sein de ce territoire (-16 %). La baisse de mobilité dans la métropole représente environ deux-tiers de la baisse de la mobilité de l’ensemble du Grand Clermont (1 589 265 déplacements en 2012 à 1 338 065 déplacements en 2022).
  • Les déplacements d’échanges entre Clermont Auvergne Métropole et les EPCI de Riom Limagne et Volcans / Mond’Arverne / Billom communauté représentent des volumes bien moindres en nombre, mais génèrent des distances importantes. Pour cette catégorie de déplacements il est plutôt observé une stabilité en nombre et en distance. A noter que les échanges entre Mond’Arverne et Billom communauté sont peu nombreux. Ces deux territoires échangent très peu avec Riom Limagne et Volcans.
  • Les déplacements avec les territoires extérieurs du Grand Clermont sont modestes. De plus, les chiffres présentés ne prennent pas en compte les déplacements réalisés par les habitants vivant aux portes du Grand Clermont (Dômes Sancy Artense, Entre Dore et Allier, Agglomération Pays d’Issoire…) et qui se déplacent en direction du Grand Clermont. Les chiffres montrent seulement que les habitants du Grand Clermont sont moins tournés vers ces territoires extérieurs en 2022 qu’en 2012.

Au final, le phénomène marquant est la réduction de déplacements de proximité au sein de son EPCI de résidence, expliquant que la baisse de la mobilité est plus forte en volume de déplacements (-16 % à l’échelle du Grand Clermont) qu’en kilomètres (-11 %).