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1 – http://www.nouveauxcommanditaires.eu

2 – https://www.lille.fr/Nos-equipements/Le-Tripostal

3 – https://www.les-souffleurs.fr/territoires-po%C3%A9tiques/aubervilliers-2009-2023

4 – https://colibris-wiki.org/leruisseaucaravelleaygalades/?TE

5 – Pour en savoir :  le projet mené par la compagnie HVDZ à Chalmazel-Jeansagnière

POLAU : Le POLAU est une structure ressource et de projets située à la confluence de la création artistique et de l’aménagement des territoires. https://polau.org/

Arteplan : plateforme de recensement les initiatives et actualités à la croisée de la création artistique et de l’aménagement des territoires. https://arteplan.org/

Urbanisme culturel : comment les arts et la culture transforment la fabrique de la ville

Par Elodie Biétrix, Chargée d’études Massif central, Culture et réorientations écologiques - 28.06.2023

Dans le contexte d’un monde ébranlé, marqué par l’instabilité et l’incertitude et où les plus vulnérables paient le prix fort, la fabrique de la ville et des territoires revêt une importance cruciale en devenant le véritable cœur politique de nos sociétés. Il ne s’agit plus seulement d’aménager mais bien de penser et construire une cité incarnant une communauté réunie par le choix de bien vivre ensemble. Non plus seulement de faire preuve d’habilité technique et d’optimisation de nos processus d’édification, du financement à l’entretien, mais de redonner place au sens et l’émotion, cette part essentielle de l’Habitation trop souvent négligée, que l’urbanisme culturel vise à remettre au premier plan.

La culture pour redonner sens à la fabrique des villes et territoires

Comment œuvrer à la construction d’un sens commun générant l’envie de faire et de se projeter collectivement ? Nous voilà contraints de produire et partager de nouveaux récits, pleinement imprégnés des territoires et de ceux qui les vivent, les habitent et les façonnent, d’offrir la possibilité de penser des territoires et des espaces en prise avec l’existant et tout ce que ce dernier porte en lui : le visible, comme les bâtiments, les routes, les places, mais aussi l’invisible : les mémoires, les représentations, les espoirs, les imaginaires…

L’appréhension du sensible s’additionne aux vues des acteurs traditionnels de la fabrique urbaine, (aménageurs, urbanistes, paysagistes…). Si la planification reste un élément incontournable de la fabrique urbaine, il est essentiel de donner du sens à ces plans en les envisageant dans une vision globale. Il ne s’agit pas simplement d’actes techniques mais bien de créer des conditions d’émergence de la cité, portée par ses citoyens. Qui mieux que la culture pour accompagner l’établissement de ces récits partagés ?

L’urbanisme culturel : un art du questionnement par le sensible

L’urbanisme culturel place les arts et la culture comme producteurs de valeur en eux-mêmes dans la fabrique urbaine. Nous ne parlons pas ici d’embellissement de l’espace public avec des œuvres d’arts mais bien de transcendance des frontières traditionnelles entre l’art, la culture et l’urbanisme pour façonner de nouvelles réalités urbaines en interrogeant réciproquement le rôle de l’art et de la culture dans la fabrique urbaine, ainsi que l’impact de ville sur la création artistique et culturelle. Par l’urbanisme culturel, l’exploration d’une grande diversité de sujets tels que la place de la voiture en ville, la configuration de l’espace public, le devenir des friches, l’attractivité de la ville ou la rénovation d’un quartier est possible.

Toutefois, il s’agit surtout de questionner et mener ces transformations par le biais de modes opératoires plus exploratoires, à la recherche de nouveaux possibles visant à fabriquer « avec » et non pas « pour » et prenant pleinement en compte les dimensions sensibles qui traversent et structurent la ville. En travaillant sur le sensible, les mémoires, les désirs et les craintes, l’urbanisme culturel permet d’offrir une nouvelle perspective pour la fabrique urbaine, prenant en compte non seulement l’extraordinaire mais aussi l’ordinaire et l’infra-ordinaire qui confèrent à la ville sa nature complexe, profonde et mouvante.

La diversité des possibilités d’intervention

L’urbanisme culturel peut prendre des formes multiples et émaner de divers initiateurs. La société civile identifie ainsi une problématique présente sur un territoire donné, dans le cadre du dispositif des Nouveaux commanditaires [1] et passe commande auprès d’artistes pour la réalisation d’une œuvre destinée à répondre à la problématique identifiée. L’œuvre sera co-construite avec les habitants.

D’une manière bien différente, la culture participe à l’élaboration concrète d’une vision urbanistique à long terme via la requalification de lieux. Ce fût le cas à Lille avec la transformation d’un ancien centre de tri du courrier en espace culturel dédié à l’accueil d’évènements de natures variées aussi bien qu’à la création contemporaine in situ : le Tripostal [2]. À noter que ce type d’intervention de l’art dans la fabrique de la ville n’est pas réservée aux espaces urbains : le PNR du Vercors a souhaité penser le développement de son territoire à travers un projet participatif et pluridisciplinaire.

Le projet « Sur la place publique » [3], piloté par l’association De l’aire, a ainsi contribué à la révision du Plan Local d’Urbanisme de la commune de Saint-Jean en-Royans (3 100 habitants) en travaillant entre 2009 et 2012 sur ce territoire.

L’urbanisme culturel : une manière de dépasser les controverses

Dans le contexte de crise démocratique que nous connaissons, les politiques ne sont plus en mesure d’assurer la création de liens (aux autres, à soi, à son espace et à son territoire) nécessaires à l’investissement des citoyens dans la vie publique.  La panne des imaginaires, dominés par des dystopies décourageantes voire anxiogènes, impacte la capacité des personnes et des sociétés à construire un futur commun désirable. Par sa nature même, l’urbanisme génère souvent des situations propices aux tensions et aux conflits d’usage, c’est pourquoi les modes de fabrication de la ville doivent être profondément repensés.

En intégrant aux processus urbains l’existant d’un territoire, l’urbanisme culturel aborde la ville non seulement comme un espace physique, mais aussi comme un lieu de représentations et d’expressions, un lieu démocratique par excellence. En effet, l’intervention artistique dans l’urbanisme culturel ne vise pas à invisibiliser ou pacifier les conflits, mais plutôt à leur offrir un espace d’expression afin de trouver des convergences.

Elle prend en compte l’émotionnel, l’expérience vécue des individus, les mémoires collectives, l’expression des colères de certains et l’acceptation de la souffrance des autres. L’art permet de remettre en question les certitudes de chacun en acceptant la parole (parfois profane, non formatée) de l’autre et de s’ouvrir aux histoires, individuelles ou collectives, des autres. Il s’agit de replacer la politique, au sens de la gestion de la cité, au cœur d’une scène partagée par tous.

Cette construction collective de la cité, le dispositif « La folle tentative d’Aubervilliers », initié par la compagnie Les Souffleurs en 2009 [4], accompagne la création d’espaces de parole libre à travers la poétisation d’Aubervilliers. Ces espaces de paroles sont ouverts tant lors de temps visibles, comme Les Conseils Municipaux EXTRAordinaires, que par des moyens plus discrets mais néanmoins essentiels de poésie dans la ville lors de balades ou de projets photographiques menés par la compagnie, en résidence permanente.

Donner sa juste place au paysage dans la construction urbaine et territoriale

L’art et sa capacité à intégrer ou réintégrer un élément du paysage dans le quotidien des habitants, à faire de cet élément un indissociable du reste du territoire et à constituer un récit commun autour de cet élément pour embarquer le territoire dans une réflexion écologique est également à souligner. Le collectif des Gammares [5] s’est ainsi constitué en 2009 pour prendre soin du ruisseau Caravelle-Aygalades. Dans le cadre des opérations urbaines menées notamment par Euroméditerranée, l’implication forte du collectif dans les années 2010 a permis le maintien de la présence d’intérêts écologiques et sociaux autour de cette rivière dans le contexte de réécriture d’un récit territorial mené via le projet urbain marseillais. L’urbanisme culturel, par son caractère expérimental, participe ainsi à créer des hétérotopies ; des lieux d’utopie au sein même de la ville, où de nouvelles formes de sociabilité, de nouvelles pratiques artistiques et culturelles, de nouvelles manières d’habiter et de vivre ensemble, de nouveaux outils et modes de faire peuvent être inventés et testés. Ces hétérotopies sont des espaces de rupture, des utopies concrètes où l’imagination et la créativité libèrent la possibilité de construire des alternatives à l’ordinaire de l’aménagement et de l’urbanisme, au moment même où ceux-ci, heurtés par le changement global et convoqués par le rendez-vous anthropocène doivent se réinventer. En interrogeant notre rapport au monde et décalant nos vues, l’urbanisme culturel conduit à considérer les éléments humains et non humains comme parties intégrantes d’un écosystème dont il convient de trouver et préserver l’harmonie afin de mettre en œuvre les réorientations écologiques des territoires qui s’imposent à nous. Dès lors que les processus de projets permettent l’implication d’artistes au cœur même des démarches et non simplement au temps de la célébration d’une transformation, faire de l’urbanisme culturel, c’est créer des villes capables de faire face aux crises, de s’adapter et de se transformer de manière créative. Les artistes et les acteurs culturels jouent un rôle clé dans cette transformation en stimulant l’imaginaire collectif, en favorisant la participation citoyenne, en revitalisant les espaces publics, en promouvant la diversité culturelle et en renforçant le lien social.


Une mise en pratique de l’urbanisme culturel : l’exemple de Chalmazel-Jeansagnière

Dans le cadre de la 44ème rencontre nationale des agences d’urbanisme qui se déroulera les 15, 16 et 17 novembre 2023 à Clermont-Ferrand sur le thème « No cultures no futures ! Pas de transition écologique sans recomposition culturelle des territoires », les quatre agences d’urbanisme de la Région Auvergne Rhône-Alpes s’associent tout au long de l’année pour aborder les liens entre culture et urbanisme selon des prismes divers.

Faisant suite à la première rencontre lyonnaise traitant de la santé culturelle, l’agence d’urbanisme de Saint-Etienne (epures) a proposé, le 13 juin dernier, une rencontre à Chalmazel-Jeansagnière. Le village, accompagné par Loire-Forez Agglomération, a initié en 2019 une démarche de redynamisation de son centre-bourg pour gagner en attractivité. Afin d’améliorer la décision collective et l’efficience du projet, cette démarche a été accompagnée par plusieurs collectifs artistiques. Le collectif Virage, composé d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes, a ainsi résidé dans la commune en septembre 2019. Cette résidence a pris place dans deux espaces de vie afin de recueillir les attentes de la population : la bibliothèque et lors de la fête patronale. La compagnie artistique HVDZ s’est ensuite installée dans le territoire afin de récolter les témoignages des habitants en allant à leur rencontre. Ce travail a fait l’objet d’une restitution sous forme de film-spectacle le 4 octobre à laquelle la moitié des habitants ont répondu présents.

Une visite du bourg sillonnant entre les chantiers en cours, des échanges d’expérience lors d’une table-ronde et d’un atelier animés par epures ainsi qu’un exercice de projection proposé par le collectif Carton Plein pour imaginer la transformation de l’ancien collège de la commune ont permis d’explorer la question de l’art comme moyen d’aide à la décision publique dans un projet urbain.

Le prochain rendez-vous de cette série régionale aura lieu le 27 septembre 2023 à Clermont-Ferrand et traitera du sujet suivant : « Culture de l’aménagement des territoires : hier l’attractivité, et demain ? ».