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« Paysages anthropocènes » : une première commande photographique expérimentale de l’AUCM pour mobiliser les savoirs sensibles et artistiques sur l’enjeu de la réorientation écologique des territoires

Par par Stéphane Cordobes, géographe et Directeur général de l’AUCM, et Serge Lhermitte, photographe et professeur d’enseignement artistique à l’ESACM - 13.11.2023

« Paysages anthropocènes » : une commande photographique expérimentale et pédagogique de l’AUCM

En septembre 2022, l’Agence d’urbanisme de Clermont Massif central se rapproche de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole pour envisager de travailler ensemble autour d’une « commande photographique » à la fois expérimentale et pédagogique pour aborder l’épreuve anthropocène par le prisme de ses paysages. Expérimentale parce qu’il n’est pas dans les habitudes de travail de l’agence d’approcher les questions urbaines, territoriales et de réorientation écologique en convoquant les savoirs sensibles et artistiques. Pédagogique parce que l’initiative, mobilisant un groupe d’étudiant.e.s de première et deuxième année et leur.s encadrant.e.s s’inscrit dans le cadre de leur formation, mais surtout vise autant à installer un dialogue qui n’existe pas, ou peu, entre des professionnels de l’urbanisme, des artistes reconnus ou en devenir, et des territoires qui emportés dans le changement global sont marqués par des mutations profondes que l’on tente ensemble d’appréhender, de représenter, de réfléchir et de ressentir. Ce cheminement commun pendant une année, fait de visites de terrain et d’échanges réguliers, d’écoute, de monstrations, d’analyses, de surprises, d’émotions, de plaisir tout simplement à se rencontrer et à s’interroger collectivement, avec nos différences et modalités d’encodage spécifiques, sur notre situation anthropocène débouche incontestablement sur un enrichissement mutuel et sur la production de dix propositions artistiques. Ces propositions photographiques, et plus généralement plastiques , sont accompagnées d’autant de textes et vidéos de présentation réalisés par leurs jeunes auteurs. Elles seront par ailleurs exposées dans le cadre de la 44ème rencontre nationale des agences d’urbanisme organisée par l’AUCM et la FNAU les 15, 16 et 17 novembre 2023 à la Comédie de Clermont-ferrand, scène nationale, sur le thème « No cultures, no futures, Pas de réorientation écologique sans recomposition culturelle des territoires. » puis dans les locaux de l’Agence.

« Paysages anthropocènes » : un projet pédagogique ESACM porté par la Fabrique « Les Vallées de l’hydre » au sein de l’Ecole Supérieure d’Art de Clermont Métropole durant l’année universitaire 2022-2023 encadré par Camille Juthier, Serge Lhermitte et Cédric Loire

La Fabrique « Les Vallées de l’hydre » réunit des enseignants et des étudiants de toutes les promotions autour de questions liées au paysages, naturel ou urbain et des différents milieux sociaux et professionnels qui le traversent.

Le projet « Paysages anthropocènes » mené, durant l’année universitaire 2022-2023 en partenariat avec l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central, propose un regard photographique sur nos paysages urbains. Chaque étudiant, après avoir assisté à différentes rencontres, visites, conférences et workshops a investi les questions posées par l’anthropocène et façonnées au fil de l’année sa vision d’un paysage urbain et péri-urbain en fonction de ses recherches formelles et théoriques. Les réalisations qui vous sont ici présentées sont le fruit de leur sensibilité, de leur regard et de leur réflexion sur un monde dans lequel ils se construisent.

 

Les oeuvres produite par les étudiants :

1/ Frontières anthropocènes, Romane Febvre (2ème année)

8 tirages pigmentaires, 34x50cm, contrecollés sur dibond, structure octogonale en bois et métal, h175 x l170cm

« Arpentage de cette cité, paysage morcelé, chargé d’histoire. Architecture fragmentée, frontière entre logement collectif et conservation du patrimoine. Le temps passe, mémoire anthropologique activée. Plusieurs environnements se reflètent, diversification et richesse de cette même terre. Imbrication de la nature et des constructions humaines. Cohabitation, partage d’une même zone, chacun à sa place. Egalité des territoires ? Je ne pense pas. Absorption de la verdure pour faire jaillir des montagnes de béton armé. L’humain grappille et prend possession de ce qui l’encercle. Les rôles s’inversent et la nature se retrouve enclavée. »

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2/ Agglomération Gustave Meynier (2ème année)

2 installations cartons solidarisés par serre flex + 5 tirages photographiques, 79×52 cm tirages papier photographique semi mat 250g contrecollés sur dibond 2mm.

« Dans cet ensemble de photographies, je cherche à rendre compte de l’impact de l’activité humaine, c’est-à-dire de l’anthropisation d’un milieu. En arpentant la périphérie de Clermont-Ferrand, j’ai observé la perpétuelle mutation du paysage en zone périurbaine. L’artificialisation des sols comme réponse à un étalement urbain toujours plus gourmand. Pour satisfaire une forte demande de logement près des zones d’emploi, et malgré l’engorgement des métropoles, les zones périurbaines sont prises d’assaut comme terres d’asile. Pour ce faire, la mise en place de réseaux de flux (matériels et immatériels) permet une mobilité accrue. Dans mon installation, les empilements de cartons visent à créer un pôle d’attraction pour les regardeurs. Le public rejoue ainsi l’attraction que suscitent les métropoles urbaines sur leur périphérie. En dépit de paysages mornes/désolés/monotones…, j’y ai fait moult rencontres: de furtifs lézards, une buse aplatie par le TER, une voiture brûlée, une centaine de lapins de garenne, deux perdrix, une écolo à vélo… »

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3/ A la lisière Blandine Ballaz  (2ème année)

1 livret photographique de 16 pages sur papier Opale 170g et socle en contreplaqué.

 » Pour ce projet j’ai tout au long de l’année pris des photos, de jour et de nuit, avec différentes techniques : numérique ou argentique à la chambre, avec des résultats en couleurs, mais aussi en noir et blanc. Ces images ont été réalisées à Clermont-Ferrand, Givors, Saint-Etienne, Royat. Je les compose en jouant avec les contrastes entre des éléments architecturaux, urbains, naturels. J’ai ensuite réalisé une édition qui m’a permis de créer des liens entre mes photos, en jouant avec la composition et les lignes des images. Le vis-à-vis produit par la mise en page permet de faire se répondre les photos entre elles, d’imaginer une déambulation à travers ces paysages, en variant les cadrages, en alternant nature et architecture. Ces éléments mettent en avant la notion de paysage anthropocène, mais donnent aussi une dimension anthropologique en montrant des ruptures de classes sociales. Parfois la nature va me permettre de faire ressortir un élément architectural, et inversement, tout en créant quelquefois un cadre presque oppressant. À travers cela, je me questionne sur les besoins humains d’un point de vue historique, économique et social, afin de comprendre comment on pense, on organise et occupe un paysage aujourd’hui.  »

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4/ (Des)union Adrien Berthelemot (1ère année)

3 posters sur papier bond 90g 130x100cm
3 thaumatropes 15x13cm, sur plaque dibond 3mm et axes métal
3 supports de thaumatropes

« En laissant mon regard flâner dans la ville, je suis tombé sur des travaux de rénovation d’un grand immeuble. J’ai été surpris de voir l’ampleur des fondations et des réseaux enterrés. Je me suis demandé alors si les immeubles, les maisons, les bureaux s’étendaient dans le ciel et sous la terre. Comme une nouvelle forme de vie, une nouvelle espèce. Déployant leurs branches et leurs racines pour grandir. Des kilomètres de câbles, de canalisations, de tuyaux et de fers à béton. Tout un réseau qui court dans le ciel et sous nos pieds, de même qu’un arbre aurait autant de branches que de racines souterraines. Je veux jouer sur cet entrelacement de végétal bourgeonnant et de câble en caoutchouc inerte. Je vous invite à jouer avec les thaumatropes, à créer activement ce paysage. La toile électrique, devenue vitale à la vie humaine, rentre-t-elle en concurrence avec la croissance du végétal ? »

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5/ Cité Agricole Léon Bernard (2ème année)

1 poster sur papier bond 90g 130x100cm, 2 maquettes réalisées en PLA par imprimante 3D et socle en contreplaqué.

« J’ai été invité à passer deux jours chez Le Corbusier, à Firminy, dans son unité d’habitation. Créer des architectures pour tenter de résoudre des problématiques sociales, en voilà une étrange invention… Confronté à la crise environnementale actuelle, j’ai donc laissé parler mon imagination. Et si la nourriture poussait dans nos maisons ? Et si nous laissions se régénérer ces terres que nous exploitons ? Les tours poussent plus vite que l’herbe et les grues se multiplient… On dit qu’il y a du plomb dans l’eau. Je me demande s’il y a du mercure dans mon multifruit ? Alors je dessine puis je modélise. Comme un militant qui se mobilise. Placée dans le paysage, une photographie vient et l’immortalise. Assis sur un toit, je vois les strates de construction de la ville, depuis son centre historique. Salade hydroponique aux saveurs dystopique. »

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6/ Sans titre Mathilde Gallet (1ère année)

photographie numérique et tirage pigmentaire, bloc papier maché, 50x50cm.

« J’ai voulu construire des récits penchant sur les relations que tissent les êtres humains et leurs milieux. Représenter la ville comme un agglomérat de matériaux, où des histoires communes se déroulent. Ici sous forme fictionnelle, où un personnage se déplace en se laissant guider par un artefact. Dans ces plaques de papier des images se font phagocyter par un matériau qui ressemble à la pierre. Celle-ci semble broyée. Une pierre a la faculté de servir à construire. »

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7/ Unités Alurstratigraphiques Nina Durel (2ème année)

5 tirages pigmentaires, papier enhanced mat 230g, 5 tubes PVC diamètre 14 L : 160, 170, 186, 188, 190 cm.

« Le principe du clou d’or : un élément significatif du changement d’air dans les couches stratigraphiques. L’idée de cette série photographique est de prélever différentes couches de paysage afin d’en extraire ce clou. Dans cette optique, j’ai prélevé des façades d’immeubles d’habitation. Des architectures de béton qui découlent des innovations des utopies réalisées. Des bâtiments situés en bordure, frontières hybrides en expansion, de villes ne s’arrêtant plus vraiment. D’autres images sont extraites d’espaces en travaux, en cours de rénovation ou d’aménagement, où le béton des structures est à nu : coffrage apparent, taches d’humidité, fissures. Des formes d’architectures creuses et incomplètes. Ces éléments sont utilisés comme toile de fond, et par montage numérique, incrustés les uns dans les autres. Aplaties en motifs, les perspectives des bâtiments sont d’abord redressées, uniformisées sur un même quadrillage, dans lequel se composent des architectures impossibles, compressées en strates. Masse géologique où viennent s’incruster des observations de détails, de petits éléments rompant les motifs créés par les répétitions des lignes d’architecture. Des images récoltées à différentes échelles pour créer une perte de repère dans la lecture, et obtenir un entremêlement de formes plus organiques. »

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8/ Conversation en non mixité choisie Angèle Carnoy (1ère année)

vidéo projetée sur le mur et casque pour bande sonore.

« Je me suis rendu compte que je portais beaucoup d’attention aux lignes qui sont sur le sol et dans la ville et que je les suivais souvent pendant mes marches Ensuite j’étais chez moi j’écoutais un podcast Arte Et j’ai découvert comme ça la sténographie ça m’a tout de suite parlé Cette sténographie c’est la Delaunay Prevost je me suis tout de suite dit que j’allais l’appliquer aux lignes que je suivais en marchant À partir de là c’est vrai que ce qui m’a intéressée c’est l’histoire de la sténographie C’est un métier qui, avec le taylorisme, précarise les femmes Il enferme les sténodactylos sous le patriarcat et le capitalisme Il est donc source de souffrances physiques et mentales systémiques et intimes Ces travailleuses reprennent cet outil de sténographie pour en faire un langage codé de soi à soi et écrire dans leurs journaux intimes qui seront indéchiffrables pour les hommes J’y ai vu une forme de lutte secrète qui m’a plu Dans les lignes que je suivais, il y avait 2 types distincts: les lignes très droites et celles plus biscornues En lisant ces lignes différentes visuellement je me suis rendu compte que leurs sons l’étaient aussi C’est-à-dire que les lignes droites avaient des sons plus attaquants avec des consonnes comme te ou de Les lignes plus biscornues, elles, ont des sons plus ronds Comme me, ne, ou a Et j’y ai vu un heureux hasard où les lignes attaquantes le sont visuellement et au niveau du son Cette violence visuelle et sonore se retrouve dans les productions pensées par les architectes, les hommes, les dominants Ces pensées font des bâtiments en dur, des axes, des routes, des choses droites qui maîtrisent et encadrent la vie jusqu’à l’étouffer Ce projet est une réapparition des choses qui dévient Et reprennent petit à petit des endroits dans les rues et textes. »

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9/ Sans titre Poe Richard (1ère année)

photographies tirages sur copieur laser, enceinte bluetooth, structure en contreplaqué 200x57x43cm

« Bruno Latour interrogeant l’approche de la modernité, il semble pertinent d’interpeller l’héritage des mouvements se réclamant de ce nom. La notion de « monde d’après » pose surtout la question de comment on se construit. Par rapport à quoi ? Quelles leçons et quelles valeurs retire-t-on de ce qui a déjà été vécu ? A Firminy j’ai pu enregistrer un texte critique du travail de Le Corbusier dans la nef de l’église St-Pierre, notamment pour jouer avec la réverbération et les échos. Le texte mélange des citations de Jean-Pierre Garnier (pour la critique des villes), Alice Coffin (sur l’incompétence des hommes) et des impressions et observations en logeant dans l’unité d’habitation. Pour requestionner le statut de Le Corbusier, j’ai pris plusieurs photos qui ne mettent pas en valeur le bâtiment. Il n’y a rien de stimulant au niveau plastique ; elles sont petites et imprimées sur du papier d’imprimante, sans valeur, froissable. Le texte, enregistré sur téléphone (pour la qualité moindre) et diffusé par enceinte, est inaudible. »

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10/ Séduire seulement Léa Portet (1ère année)

6 broderies numériques 13x18cm, tiges métalliques

« Je ne comprenais pas tout
Alors j’ai cherché Jusqu’à te trouver
Ô toi mon beau projet
Broder ton affreuse beauté
Cherchant à reproduire ta symétrie
J’ai dessiné avec mes fils, tes traits
Pour montrer ton excès de chirurgie
Pourquoi t’ont-ils autant transformé ?
Je ne vois plus ton vrai visage
Je ne vois plus que ta cage
Pourquoi tant de mal infligé ?
Ils ont détruit tes terres
T’ont défiguré à coups de poings
Servir nos besoins en oubliant les tiens
Maquillé le tout avec des arbres verts
Tu n’en es pas moins séduisante
Je continue de t’observer très intriguée
Tu es hypnotisante
Souris ma beauté je vais te broder  »

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