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1 – L’Étonnant Festin se singularise en considérant  l’alimentation comme un propos culturel plus que comme une pratique culinaire. Engagée dans la candidature Capitale européenne de la Culture de Clermont-Massif-central-2028, l’association réunit chaque année autour de 120 producteurs, restaurateurs, chercheurs, artisans et habitants, un public de 15 000 personnes pour goûter nos paysages. Le dîner de gala du 16 novembre conçu en partenariat avec l’AUCM et le cuisinier Frédéric Coursol, illustre sa capacité à raconter les enjeux sociaux et environnementaux que traduit notre alimentation du quotidien.

La soirée de gala de la 44ème rencontre des agences d’urbanisme : un métissage culinaire

Par Stéphane Cordobes, Directeur Général AUCM - 13.11.2023

La soirée de gala de la 44ème rencontre des agences d’urbanisme : un métissage culinaire

Les territoires sont faits de rencontres, de croisement, d’hybridation. Pas une culture locale qui ne porte les traces de ces échanges qui l’ont nourrie et faite évoluer, des métissages qui l’ont enrichie. Le Massif central n’échappe pas à la règle et ce sont ces dons et héritages cosmopolites que nous mettrons en scène durant cette soirée de gala conçue avec l’association l’Étonnant Festin [1] : un banquet-marché de nuit qui se déploie par-delà les frontières, autour d’échoppes du Clermont venu d’ailleurs. Eric Roux, son directeur, nous présente le menu et la manière dont il a été conçu en en faisant un véritable propos culturel.


Un menu cosmopolite concocté avec des chefs et des producteurs locaux

  • Soupe d’orge perlé réalisée par Jérôme Bru du restaurant Le Smørrebrød à Clermont-Ferrand
  • Caldo Verde d’Auvernha par Fred Pinto, chef aux Grandes Tables de La Comédie. 
  • Biryani d’Ejazz Houdijne, du restaurant le Jaiïpur à Clermont-Ferrand
  • Méchouia – oeuf poché de Sofien Habibi de l’Association du TerTerter au Terroir
  • Brochette de poitrine de porc laquée de Simon Deguirard du restaurant le 589-Bay. à Clermont-Ferrand
  • Chou farci par Lucas Texeraud de la Boucherie Durif
  • Fourme de Rochefort et Bleu d’Auvergne affinés par Olivier Nivesse, fromager
  • Croque en bouche par Martial Ray, pâtissier au Cendres
  • Pompe aux pommes d’Hervé Durif, la boulangerie Le Pistore. 

L’alimentation comme propos culturel

Par Eric Roux, L’Étonnant Festin [1]

La cuisine, et de manière plus globale, notre alimentation, offrent un formidable objet d’observation de ce que sont les respirations, tout comme les aspirations, de la manière dont veulent évoluer nos sociétés. Contraintes par un grand nombre de déterminants économiques, sociaux, religieux, juridiques et moraux, elles sont un espace de créations, d’expérimentations, et de dynamiques. En cela, nos pratiques de cuisine du quotidien, et nos manières de construire nos alimentations, sont le miroir et la rythmique de nos désirs de nourriture qui font culture. Oui, elles sont un fait social total. Et placer l’alimentation à l’intersection créative de regards multiples et divers, c’est admettre que “produire, transformer, conserver, distribuer et manger” sont avant tout un propos culturel. 

Une alimentation du droit du sol

Le dîner de gala du 16 novembre à la Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale est conçu comme un voyage dans la cuisine actuelle d’Auvergne où cuisiniers et producteurs sont convoqués pour élaborer un menu, racontent une alimentation « du droit du sol ». Notre alimentation du quotidien s’enrichit de tous les apports, de plats, de façons de faire, mais aussi des produits, cuisinés et proposés par ceux qui ont choisi de venir travailler et vivre ici.

Ainsi, biryani, “caldo verde d’Auvernha”, méchouia, aux origines indienne, portugaise, maghrébine, racontent l’adoption, et la transformation de nos alimentations. Même si le riz vient d’ailleurs, la garniture aromatique du biryani et le fait qu’il soit cuisiné par Ejaz Houdijne, cuisinier du restaurant Jaipur, nous dévoile l’histoire de vie d’un pakistanais ancré dans le paysage auvergnat. Tout comme la soupe portugaise, le caldo verde, proche parente de la plus auvergnate des soupes au chou, joue une forme de créolité culinaire distillée par la très forte communauté portugaise d’Auvergne. Pour l’anecdote, les repousses de choux qui peuvent être à la base de cette préparation, appelées « grelos » au Portugal, se nomment « grelons » en occitan d’Auvergne et signent un cousinage alimentaire. Enfin, la méchouia, nous raconte aussi que poivrons et tomates, si éloignés de la tradition d’ici, sont aujourd’hui disponibles auprès des marchands au panier, jardiniers offrant le surplus de leur production familiale aux mangeurs sur les marchés clermontois.

Repenser les traditions culinaire à l’aune du changement global

Mais s’ouvrir au monde n’exclut en rien le fait que nous soyons tous « des transformateurs fidèles » de la tradition. La soupe d’orge perlé et le chou farci sont bien des marqueurs de notre mémoire alimentaire en Auvergne. Pourtant, notre mémoire du goût et les contraintes d’aujourd’hui nous engagent à remodeler et conjuguer au présent ces madeleines d’identité. Le chou, légume hivernal central d’une cuisine « pauvre et paysanne », s’il n’est plus la base de l’alimentation, permet bien de composer une nourriture plus frugale et végétarienne de notre cuisine d’aujourd’hui. L’orge perlé, orge débarrassé de son son, qui fut une des productions caractéristique des plateaux volcaniques du sud de l’Auvergne, retrouve une place dans la production et la cuisine d’aujourd’hui où céréales et légumes secs sont une solution où le carné doit laisser plus de place au végétal. 

Il faut goûter les paysages et imaginer des sources alimentaires plus inscrites dans la proximité et le local. Ce manger local est un enjeu majeur et favorise le soutien à l’économie de ceux qui élèvent, cultivent à proximité mais aussi de tous ceux qui exercent leur métier d’artisans de bouche en proposant charcuterie, fromages, conserves, valorisant productions et surtout savoir-faire locaux. La difficulté inhérente à une telle injonction se trouve dans la définition apportée au terme de proximité. Celle d’un produit brut, légumes, fruits ou viandes, est avant tout contrainte par la distance sur laquelle il peut être transporté dans les meilleures conditions et surtout au moindre coût, environnemental et pécuniaire. C’est une proximité, courte et rapide, réduisant le nombre d’intermédiaires. De manière différente, certaines productions, élaborées pour être conservées, et dont la technique d’élaboration permet de reporter leur consommation, ont vocation à s’inscrire dans une proximité plus élargie et aux distances de circulation plus importantes. 

Les fourmes de Rochefort et bleu d’Auvergne, fermiers et au lait cru, proposés pour le dîner de gala, sont une technique pour mettre en attente et transporter un lait toujours trop abondant pour être consommé frais. Fourme et bleu ne sont pas qu’une transformation au goût remarquable, ils sont aussi la possibilité d’allonger les distances de consommation et de partager un imaginaire gustatif.

Une cuisine populaire née de la nécessité du quotidien

En jouant sur des desserts de formes et d’histoires très différentes nous racontons bien l’importance de cette cuisine populaire qui puise son inspiration dans les nécessités du quotidien à varier nos alimentations et exploiter un répertoire nourri de la richesse des cuisines paysannes et des cuisines plus académiques. Une pompe, en occitan, désigne une sorte de brioche réalisée sur la base d’une pâte à pain enrichie d’oeufs, de crème et de matière grasse et pouvant s’agrémenter de tome, d’huile parfumée de noix, de grattons, résidus croustillant de la fabrication du saindoux ou bien évidemment de fruits. La pomme fut un des fruits les plus produits en Auvergne avec des variétés comme la feuillou, la blanche de Biozat ou l’armoise qui pourraient offrir un renouveau de l’arboriculture locale. Quant aux croques en bouche, ils sont bien une balise des repas de famille, de fêtes, de ce repas gastronomique des français labellisé par l’Unesco. 

En cela « La cuisine, fait social total », permet de percevoir tous les enjeux, toutes les évolutions et transformations sociales que nécessite une pratique au fil des jours et qui cherche à être en accord à toutes nos attentes et espoirs. Si elle est « bonne à penser avant d’être bonne à manger » c’est bien qu’elle est contrainte par ce qui nous fabrique culturellement, collectant un grand nombre de déterminants économiques, sociaux, religieux, juridiques et moraux. Cette cuisine populaire, cette alimentation pour tous, donne à imaginer et à expérimenter les enjeux du local, de l’ouverture au monde, de contraintes économiques satisfaisantes pour les producteurs et pour les mangeurs, tout en étant saine pour notre santé et en préservant écologiquement les espaces de production.

S’intéresser à notre alimentation comme un fait culturel et non comme une simple technique culinaire, permet ainsi d’embrasser l’ensemble des contraintes et des aspirations qu’elle déploie au quotidien dans les changements nécessaires de nos sociétés.